Tribunal administratif N° 49306 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49306 1re chambre Inscrit le 16 août 2023 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Madame (A), … (France), contre des décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières de l’Etat pour études supérieures
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49306 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2023 par Maître Marc FEYEREISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à F-…, élisant domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, sise à L-1611 Luxembourg, 1, avenue de la Gare, tendant à l’annulation des « décisions N° (D1) et N° (D2) du 30 janvier 2023 du ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ayant accordé une aide financière de l’État pour études supérieures pour le semestre d’hiver 2022-23, et pour le semestre d’été de la même année, mais uniquement en ce qu’elles ont déduit à tort un montant de EUR 1.728,00 sur la première décision et de EUR 1.628,00 sur la seconde », ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 16 mai 2023 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2023 par Maître Marc FEYEREISEN, au nom de Madame (A), préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2023 ;
Vu la note de plaidoiries déposée au greffe du tribunal administratif et à l’audience du 5 mars 2025 par Maître Marc FEYEREISEN, au nom de Madame (A), préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc FEYEREISEN et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 mars 2025.
Moyennant un formulaire établi par le service des aides financières auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par le « ministère », Madame (A) sollicita une aide financière pour études supérieures pour les semestres d’hiver et d’été de l’année académique 2022-2023.
1 Par un courrier du 30 janvier 2023, référencé sous le numéro 20230130-4-67, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par le « ministre », fit droit à la demande de Madame (A) en obtention d’une aide financière pour études supérieures pour le semestre d’hiver 2022-2023, tout en y déduisant un montant de 1.728 euros.
Ladite décision est libellée dans les termes suivants :
« […] En réponse à votre demande, j’ai l’honneur de vous informer qu’une aide financière de l’Etat pour études supérieures sous forme de bourses et de prêts vous a été accordée pour le semestre d’hiver 2022-2023.
Je vous prie de trouver en annexe de la présente un « certificat pour votre banque » qui vous permet de contracter le prêt étudiant.
Bourse de base 1142 € Prêt de base 3250 € Majoration pour frais d’inscription 85 € Majoration pour frais d’inscription 85 € Bourse de mobilité 0 € Majoration pour mobilité 0 € Bourse sur critères sociaux 980 € Majoration pour critères sociaux 1230 € Bourse familiale 0 € Majoration pour bourse familiale 0 € Anti-cumul -1728 Anti-cumul 0 € Montant viré sur votre compte IBAN € 479 € Montant total du prêt étudiant 4565 € Retrouvez le détail de l’anti-cumul au verso de la présente. A titre purement indicatif, je vous informe qu’un excédent d’anti-cumul de 0 € de bourse et 0 € de prêt reste à déduire pour le semestre d’hiver 2022-2023.
[…] Détail de l’anti-cumul Établi conformément à l’article 8 de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures qui stipule que toute forme d’aide financière pour études supérieures et tout autre avantage financier dont vous pouvez bénéficier, du fait que vous êtes étudiant, dans le pays de résidence du ménage dont vous faites partie, sont déduits de l’aide financière sur base semestrielle (les montants annuels sont déduits à raison de 50% au semestre d’hiver et de 50% au semestre d’été).
Elements soumis à l’anti-cumul Bourse du semestre d’hiver Prêt du semestre d’hiver Bourse du CROUS -542 € 0 € Aides au logement étudiant -1086 € 0 € Bourse du CROUS -100 € 0 € […] ».
Par un courrier séparé du même jour, référencé sous le numéro (D2), le ministre fit encore droit à la demande de Madame (A) en obtention d’une aide financière pour études supérieures pour le semestre d’été 2022-2023, tout en y déduisant un montant de 1.628 euros.
Ladite décision est libellée dans les termes suivants :
« […] En réponse à votre demande, j’ai l’honneur de vous informer qu’une aide 2 financière de l’Etat pour études supérieures vous a été accordée pour le semestre d’été 2022-
2023.
Conformément à votre demande, uniquement la partie bourse vous a été accordée.
Bourse de base 1142 € Majoration pour frais d’inscription 0 € Bourse de mobilité 0 € Bourse sur critères sociaux 980 € Bourse familiale 0 € Anti-cumul -1628 € Montant viré sur votre compte IBAN 494 € Retrouvez le détail de l’anti-cumul au verso de la présente. A titre purement indicatif, je vous informe qu’un excédent d’anti-cumul de 0 € reste à déduire pour le semestre d’été 2022-2023.
[…] Détail de l’anti-cumul Établi conformément à l’article 8 de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures qui stipule que toute forme d’aide financière pour études supérieures et tout autre avantage financier dont vous pouvez bénéficier, du fait que vous êtes étudiant, dans le pays de résidence du ménage dont vous faites partie, sont déduits de l’aide financière sur base semestrielle (les montants annuels sont déduits à raison de 50% au semestre d’hiver et de 50% au semestre d’été).
Elements soumis à l’anti-cumul Bourse du semestre d’été Bourse du CROUS -542 € Aides au logement étudiant -1086 € […] ».
Par courrier du 26 avril 2023, Madame (A) introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire de l’époque, un recours gracieux à l’encontre des décisions ministérielles précitées du 30 janvier 2023.
Par décision du 16 mai 2023, le ministre rejeta le recours gracieux de Madame (A) dans les termes suivants :
« […] Par courrier du 26 avril 2023 vous avez introduit un recours gracieux contre les décisions d’accord émises au 31 janvier 2023 en faveur de votre mandante, Madame (A) Maria Caroline, pour les semestres d’hiver et d’été de l’année académique 2022-2023 portant en déduction les aides au logement accordées par l’Etat français des parties bourses des aides financières respectives.
Or, en l’absence d’élément nouveau, je ne peux que me référer aux décisions susmentionnées, et rappeler que l’application de l’article 8 de la loi modifiée du 24 juillet 2014 3 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures entraine que les aides au logement que l’État français accorde entre autres aux étudiants, tombent dans le champ des dispositions relatif à l’anti-cumul pour les résidents en France.
Par ailleurs, je tiens à vous signaler que la validité de ladite déduction ainsi que la non-discrimination à l’égard des enfants de transfrontaliers a d’ores et déjà été tranchée dans multiples jugements et arrêts des juridictions administratives :
Jugements du Tribunal administratif : 36769, 36791, 36990, 36518, 39011, 38193, 36963, 36623 Arrêts de la Cour administrative : 38021C, 38022C, 38023C, 38024C, 41288C, 41318C, 41321C Au vu de ce qui précède, je ne peux que confirmer les décisions susmentionnées du 31 janvier 2023. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2023, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation des « décisions N° (D1) et N° (D2) du 30 janvier 2023 du ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ayant accordé une aide financière de l’État pour études supérieures pour le semestre d’hiver 2022-23, et pour le semestre d’été de la même année, mais uniquement en ce qu’elles ont déduit à tort un montant de EUR 1.728,00 sur la première décision et de EUR 1.628,00 sur la seconde », ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 16 mai 2023.
I. Quant à l’admissibilité de la note de plaidoiries déposée au greffe du tribunal administratif et à l’audience du 5 mars 2025 par le litismandataire de la demanderesse A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé la question de l’admissibilité de la note de plaidoiries déposée au greffe du tribunal administratif et à l’audience du 5 mars 2025 par le litismandataire de la demanderesse.
Le litismandataire de la demanderesse s’est rapporté à prudence de justice quant à cette question, tandis que le délégué du gouvernement a conclu à l’inadmissibilité dudit document.
Il y a lieu de relever que le document en question a été établi par le litismandataire de la demanderesse, de sorte à devoir être considéré comme une prise de position de la partie demanderesse et partant, quant à sa nature, similaire, sinon identique à un mémoire. Or, dans ce contexte, le tribunal doit constater que, conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », d’une part, il ne pourra y avoir plus de deux mémoires de la part de chaque partie, y compris la requête introductive, nombre qui est, en l’occurrence dépassé avec le dépôt du document litigieux, et, d’autre part, la production d’un mémoire supplémentaire n’a ni été sollicitée par la partie demanderesse ni ne lui a a fortiori été accordée par le tribunal.
Il s’ensuit que le document déposé par le litismandataire de la demanderesse au greffe du tribunal administratif et à l’audience du 5 mars 2025 est inadmissible et à écarter des débats.
Il ne sera, en conséquence, pas pris en considération par le tribunal dans le cadre du litige sous examen.
4 II. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Etant donné que ni la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après désignée par « la loi du 24 juillet 2014 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en matière de refus d’aides financières de l’Etat pour études supérieures, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
III. Quant au fond Prétentions des parties A l’appui de son recours, la demanderesse rappelle, en substance, les faits et rétroactes tels que relevés ci-avant, tout en précisant qu’étant donné que les sommes de 1.728 euros et 1.628 euros – correspondant aux montants qu’elle aurait perçus au titre des « Aides Personnalisées au Logement » (« APL ») en France – auraient été déduites de son aide financière pour études supérieures, elle ne percevrait qu’une bourse d’un montant réduit.
En droit, et après avoir expliqué que son recours ne vise pas l’accord d’une bourse de base, ni d’une bourse sur critères sociaux, ni d’un prêt d’un montant total de 4.565 euros, mais qu’il se limite au volet des décisions déférées relatif aux déductions de son aide financière, la demanderesse procède tout d’abord à un rappel de l’évolution des dispositions légales pertinentes en matière d’aide financière pour études supérieures, telles qu’influencées par la jurisprudence européenne.
La demanderesse fait ainsi valoir que les dispositions de l’article 1er, point 2) b. de la loi du 26 juillet 2010 modifiant l’article 2, point b) de la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après désignée par « la loi du 22 juin 2000 », auraient été jugées discriminatoires et contraires au droit de l’Union européenne par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») dans un arrêt du 20 juin 2013, n° C-20/12, affaire GIERSCH. Dans cette affaire, la CJUE aurait, en effet, conclu que les dispositions en question constitueraient une discrimination indirecte à l’encontre des enfants de travailleurs frontaliers qui se seraient vu refuser l’aide financière pour études supérieures à défaut de remplir la condition de résidence au Luxembourg. Cette condition aurait été considérée comme allant au-delà de ce qui serait nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime poursuivi par l’Etat luxembourgeois, prévu par la loi du 22 juin 2000, à savoir l’augmentation du nombre de résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. La CJUE en aurait déduit une violation de l’article 7 (2) du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, ci-après désigné par « le règlement 1612/68 ». Afin d’y remédier, la CJUE aurait suggéré de conditionner l’aide financière pour études supérieures à une période de travail déterminée du parent travailleur frontalier au Luxembourg, sans pour autant indiquer une durée précise.
A la suite de cet arrêt, la loi du 22 juin 2000 aurait subi des modifications en 2013 avant d’être abrogée par la loi du 24 juillet 2014.
En vertu des dispositions de la loi du 24 juillet 2014, la condition de résidence aurait été assouplie. Désormais, l’enfant d’un travailleur frontalier pourrait prétendre au bénéfice de 5 l’aide financière pour études supérieures, à condition que le parent concerné ait exercé une activité professionnelle au Luxembourg pendant une durée minimale de cinq ans sur une période de référence de sept ans.
En outre, des dispositions anti-cumul auraient été prévues à l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, en vertu desquelles l’aide financière pour études supérieures ne serait pas cumulable avec des aides équivalentes octroyées par l’Etat de résidence de l’étudiant, à l’exception des bourses fondées sur le mérite particulier de l’étudiant, ainsi que sur un programme international visant à favoriser la mobilité internationale des étudiants.
Cet article 8 de la loi du 24 juillet 2014 aurait ensuite connu une modification substantielle à travers la loi du 23 juillet 2016 portant modification de la loi du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après désignée par « la loi du 23 juillet 2016 », qui aurait fait apparaître, « à l’abri de tout doute », la différence de traitement entre étudiants résidents et non-résidents.
La demanderesse déplore, dans ce contexte, que la CJUE n’aurait jamais été saisie d’une question relative au caractère discriminatoire des dispositions anti-cumul prévues à l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016. Bien qu’elle reconnaisse, au regard des travaux parlementaires relatifs à cette loi du 23 juillet 2016, que la réécriture de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 aurait eu pour objectif d’en améliorer la lisibilité, une analyse de la nouvelle rédaction mettrait néanmoins en évidence, de manière non équivoque, un renforcement de la différence de traitement entre les enfants de travailleurs résidant au Luxembourg et ceux de travailleurs frontaliers, accentuant ainsi la discrimination initialement instaurée. De ce fait, les enfants de travailleurs résidant au Luxembourg pourraient cumuler la bourse d’études luxembourgeoise avec les APL lorsqu’ils poursuivraient leurs études en France. En revanche, les enfants de travailleurs frontaliers se verraient refuser ce cumul, les APL étant déduites du montant de leur bourse, ce qui instaurerait une inégalité de traitement fondée sur la résidence de l’étudiant. Cette différence de traitement se matérialiserait déjà au niveau des formulaires relatifs à la demande d’aide financière pour études supérieures, dans la mesure où il ressortirait des formulaires destinés aux étudiants résidant en France qu’ils seraient tenus de fournir les informations relatives aux APL, tandis que cette exigence ne figurerait pas dans les formulaires destinés aux étudiants résidant au Luxembourg, alors même que ces derniers pourraient, au même titre que les étudiants résidant en France, solliciter et percevoir les APL, sans que celles-ci ne soient déduites du montant de leur bourse.
Etant donné que la déduction des APL perçues serait opérée en fonction de l’appartenance de l’étudiant à un ménage résidant en France ou au Luxembourg, il en résulterait une différence de traitement entre ces deux catégories d’étudiants. Cette distinction constituerait une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, respectivement sur la résidence. Une telle discrimination indirecte serait toutefois prohibée par l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») relatif à la « libre circulation des travailleurs ». La demanderesse sollicite, à ce propos, la saisine de la CJUE de la question préjudicielle suivante : « Les art. 45 point 1 et 2 TFUE consacrant la « libre circulation des travailleurs » et «l’abolition de toute discrimination » qui en découle, et le « principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs, qui constitue l’un des fondements de l’Union, doivent être interprétées largement » (CJUE, Depesme e.a., 15 décembre 2016, C-401/15 à C-403/15, point 58 ; CJCE, arrêt Lebon, 18 juin 1987, aff.
316/85, ECLI:EU:C:1987:302, para 21 à 23) s’opposent-ils à une législation interne interdisant aux enfants de travailleurs transfrontaliers de cumuler une bourse d’étude avec 6 des « avantages (…) attribuables dans l’État de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie » , alors que les étudiants appartenant à un ménage résidant au Luxembourg mais étudiant dans ce même État peuvent cumuler la bourse et les avantages ? ».
Enfin, Madame (A) donne à considérer que l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016, violerait également l’article 1er du Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désigné par « le Protocole n° 12 », et l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », qui interdiraient toute discrimination en matière de prestations sociales et de pensions. Cette violation résulterait du fait qu’une discrimination au sens du droit de l’Union européenne constituerait de facto une discrimination au sens des articles 1er du Protocole n° 12 et 14 de la CEDH.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse maintient, en substance, ses développements antérieurs, tout en précisant que, bien que la CJUE n’ait jamais été saisie de la question spécifique de la conformité des dispositions anti-cumul prévues par la législation luxembourgeoise avec le droit de l’Union européenne, elle aurait néanmoins rendu plusieurs arrêts mettant en cause le Luxembourg pour des pratiques discriminatoires en matière d’allocations familiales et, plus particulièrement, d’aide financière pour études supérieures.
S’agissant plus particulièrement de l’arrêt GIERSCH, la CJUE aurait jugé qu’une disposition interne conduisant à refuser l’octroi aux enfants de frontaliers de l’aide financière pour études supérieures au motif qu’ils seraient non-résidents, serait discriminatoire. Elle aurait, en effet, explicitement condamné dans son dispositif la « différence de traitement, constitutive d’une discrimination indirecte, entre les personnes qui résident dans l’Etat membre concerné et celles qui, sans résider dans cet Etat membre, sont des enfants de travailleurs frontaliers ». Seraient, dès lors, interdites les différences de traitement fondées sur la résidence. Il s’ensuivrait qu’une autre disposition luxembourgeoise aboutissant à priver des enfants de frontaliers de 75% de l’aide financière pour études supérieures, alors que les enfants de résidents auraient droit à 100% de cette aide financière, constituerait également une « différence de traitement » fondée sur la résidence, de sorte à être manifestement discriminatoire.
Pour réfuter le raisonnement du délégué du gouvernement selon lequel la discrimination invoquée par elle ne serait pas « réelle », la demanderesse soutient que ce raisonnement reposerait sur une série d’erreurs. Tout d’abord, concernant la position du représentant étatique selon laquelle la loi du 23 juillet 2016 n’impliquerait pas une « modification substantielle » des dispositions initiales de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, il y aurait lieu de rappeler que cette loi du 23 juillet 2016 aurait fait apparaître, « au-delà de tout doute », une différence de traitement entre étudiants, en fixant explicitement le critère de l’anti-cumul des avantages applicables dans « l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie ». Selon la demanderesse, ce serait précisément la différence de traitement fondée sur la résidence du ménage qui serait interdite suivant le dispositif de l’arrêt GIERSCH. Elle estime encore que la discrimination en cause aurait déjà existé en raison de l’interprétation donnée à l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 par l’administration, ainsi que par la jurisprudence des juridictions administratives. Toutefois, selon elle, la violation du dispositif de l’arrêt GIERSCH se dégagerait de manière plus manifeste de la nouvelle rédaction de cet article 8, tel qu’issu de la modification législative.
Madame (A) expose encore que si dans l’arrêt GIERSCH, la CJUE avait certes admis 7 la possibilité pour les Etats membres de prévoir des règles anti-cumul, elle n’aurait toutefois nullement validé l’application de telles règles de manière discriminatoire. La CJUE aurait, en effet, jugé comme « constitutive d’une discrimination indirecte », « la différence de traitement » fondée sur la résidence du ménage auquel appartiendrait l’étudiant. L’idée principale serait de traiter de manière identique les enfants de travailleurs frontaliers et ceux de résidents, faute de quoi une discrimination indirecte pourrait être créée.
Pour les mêmes raisons, elle conclut à l’inexactitude de l’argumentation avancée par le délégué du gouvernement, selon laquelle la distinction opérée entre les enfants de résidents et ceux de travailleurs frontaliers ne constituerait pas une discrimination contraire au droit de l’Union européenne, au motif que ces deux catégories d’étudiants ne se trouveraient pas dans une situation comparable.
La demanderesse donne encore à considérer qu’une discrimination ne deviendrait pas plus acceptable simplement parce qu’elle n’affecterait qu’une partie des enfants de travailleurs frontaliers. En effet, la discrimination indirecte, contrairement à une discrimination directe, reposerait par nature sur des approximations, sans pour autant être moins discriminatoire.
Ainsi, la CJUE aurait retenu dans l’arrêt GIERSCH que « Pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’indirectement discriminatoire, il [ne serait] pas nécessaire qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants des autres Etats membres, à l’exclusion des nationaux. ».
Madame (A) conclut que l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016, serait manifestement incompatible avec le droit de l’Union européenne.
Cette incompatibilité ne résiderait toutefois pas dans l’existence de dispositions anti-cumul, mais dans le fait qu’elles s’appliqueraient exclusivement aux enfants de travailleurs frontaliers, à l’exclusion des enfants de résidents. Ainsi, la saisine de la CJUE d’une question préjudicielle relative à cette problématique serait d’autant plus importante.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.
Appréciation du tribunal Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant précisé que le tribunal ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.
Le tribunal est de prime abord amené à relever qu’à travers les décisions déférées, le ministre a accordé à Madame (A) l’aide financière pour études supérieures pour l’année académique 2022-2023, tout en procédant à une déduction des montants correspondant aux APL perçues de manière non contestée par l’intéressée en France. Si la demanderesse ne remet pas en cause le principe même de l’octroi de ladite aide, elle conteste en revanche la déduction opérée sur le fondement de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014. Elle soutient que cette déduction entraînerait une différence de traitement injustifiée à son détriment, dans la mesure où un étudiant rattaché à un ménage résidant au Luxembourg ne se verrait pas appliquer une telle réduction. Cette disparité, accentuée par la modification substantielle de l’article 8 de la 8 loi du 24 juillet 2014 introduite par la loi du 23 juillet 2016, constituerait, selon Madame (A), une discrimination indirecte contraire aux principes du droit de l’Union européenne.
Quant à l’application de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 Aux termes de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, en sa version applicable à l’année académique 2022-2023 résultant de la loi du 23 juillet 2016, intitulé « Dispositions anticumul » :
« L’aide financière allouée sur base de la présente loi n’est pas cumulable avec les avantages suivants attribuables dans l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie:
a) les aides financières pour études supérieures et autres aides équivalentes ;
b) tout avantage financier dont bénéficie l’étudiant ou le ménage dont il fait partie et découlant du fait que le demandeur de l’aide financière est un étudiant au sens de la présente loi.
Ne sont pas visées par les dispositions du présent article les bourses ayant leur fondement dans un mérite particulier de l’étudiant ainsi que les bourses ayant leur fondement dans un programme international visant à favoriser la mobilité internationale des étudiants.
L’étudiant est tenu d’effectuer les démarches nécessaires pour obtenir les aides définies à l’alinéa 1er, points a) et b) du présent article dans le pays de résidence du ménage dont il fait partie dans le respect des procédures y définies et de produire les certificats émis par les autorités compétentes du pays concerné, indiquant le montant des aides financières et autres avantages financiers auxquels lui-même ou le ménage dont il fait partie peuvent avoir droit de la part des autorités de l’Etat de résidence du ménage visé, respectivement le motif du refus.
Le montant précité est déduit de l’aide financière accordée sur base de la présente loi.
L’absence des certificats précités entraîne un refus de l’aide financière.
Toute forme d’aide financière et tout autre avantage financier, remboursables ou non remboursables, dont pourrait bénéficier l’étudiant dans le pays de résidence du ménage dont il fait partie sont intégralement déduits, sur base semestrielle, des montants remboursables ou des montants non remboursables de l’aide financière du premier et du deuxième semestre.
La nature des documents à produire est définie par règlement grand-ducal. ».
Il s’ensuit qu’afin que la disposition anti-cumul inscrite à l’article 8, précité, suivant laquelle l’aide financière attribuée par l’Etat luxembourgeois n’est pas cumulable avec les aides et avantages visés aux points a) et b) et qui sont attribuables dans l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie, puisse être mise en œuvre, l’étudiant visé doit fournir les certificats émis par les autorités compétentes du pays concerné indiquant le montant des aides financières et autres avantages financiers auxquels lui-même ou le ménage dont il fait partie peuvent avoir droit de la part des autorités de l’Etat de résidence du ménage visé, respectivement le motif du refus, étant précisé que l’étudiant est obligé d’effectuer les démarches nécessaires pour obtenir ces aides dans le pays de résidence du ménage dont il fait partie.
Dans ce contexte, il convient de relever que la loi du 23 juillet 2016 poursuit, selon les travaux parlementaires y afférents, l’objectif d’apporter quatre modifications majeures à la loi du 24 juillet 2014, qui consistent (i) dans une augmentation du montant de la bourse de mobilité 9 et de la bourse sociale, (ii) dans l’introduction d’une indexation des différentes bourses d’études, (iii) dans la majoration de la durée supplémentaire d’attribution de l’aide financière pour les étudiants en situation de handicap reconnue, ainsi que (iv) dans une simplification des procédures administratives. Au sujet de cette simplification des procédures, il est indiqué dans les travaux parlementaires qu’elle vise également à clarifier certains aspects de la loi du 24 juillet 2014, notamment par l’adoption de précisions en matière d’anti-cumul1.
En effet, même avant l’adoption de la loi du 23 juillet 2016, les juridictions administratives étaient amenées à apporter des clarifications à certaines notions de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014. Ainsi, à défaut de définition de la notion de « pays de résidence » dans la loi du 24 juillet 2014, le tribunal administratif, après avoir rappelé l’objet et le champ d’application de cette loi, respectivement le contexte dans lequel s’était inscrite son adoption, de même qu’en se référant aux travaux parlementaires y afférents2, a retenu, dans un jugement du 18 octobre 2017, inscrit sous le numéro 38250 du rôle, que « le pays de résidence au sens de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 est à entendre comme celui du travailleur frontalier dont l’étudiant non résident dépend »3. En d’autres termes, le « pays de résidence est à entendre comme celui où se situe le ménage dont l’étudiant […] fait partie »4.
Ainsi, eu égard aux expériences antérieures, ayant révélé des imprécisions dans l’énoncé de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, les auteurs du projet de loi ont jugé nécessaire de reformuler les dispositions anti-cumul dans leur ensemble, afin de rendre le texte afférent plus clair et opposable. La nouvelle formulation de cet article est, dès lors, censée préciser « que l’étudiant doit, pour chaque année académique, faire toutes les démarches nécessaires dans son pays de résidence en vue de l’obtention des aides financières ou autres avantages financiers liés à son statut d’étudiant dont lui-même ou le ménage dont il fait partie5 pourraient bénéficier. » 6.
Plus particulièrement, ils ont explicité ce qui suit : « D’un point de vue légistique, il a été choisi, pour des raisons de lisibilité, de remplacer l’ensemble de l’article [8 de la loi du 24 juillet 2014 relatif aux dispositions anti-cumul], même s’il s’agit plutôt d’apporter des précisions au libellé initial dudit article.
Afin de souligner que sont visés aussi bien les aides financières que tout autre avantage financier attribuables dans le pays de résidence du ménage dont fait partie l’étudiant, le bout de phrase „attribuables dans l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie“ est ajouté en début de l’article7, de sorte qu’au point a) du premier alinéa, les mots „attribuables dans l’Etat de la résidence de l’étudiant“ ayant figuré dans le libellé initial dudit article 8 peuvent être supprimés. La précision „du ménage dont l’étudiant fait partie“ est censée éviter la confusion entre le lieu de résidence de l’étudiant et son lieu d’études8.
L’étudiant peut bénéficier d’un avantage financier dans son pays de résidence dû à son statut d’étudiant, mais dont il n’est pas forcément le bénéficiaire direct, mais le ménage dont 1 Doc. Parl. n° 6975-06, Rapport de la commission de l’enseignement supérieur, de la recherche, des médias, des communications et de l’espace, p. 4.
2 Doc. Parl. n° 6670.
3 Trib. adm., 18 octobre 2017, n° 38250 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
4 Idem.
5 Souligné par le tribunal.
6 Doc. Parl. n° 6975-06, Exposé des motifs, p. 5.
7 Souligné par le tribunal.
8 Idem.
10 il fait partie. La précision apportée au point b) vise à éliminer tout malentendu dans ce sens9.
Ensuite, il est précisé que l’étudiant est dans l’obligation de faire toutes les démarches nécessaires dans le pays de résidence du ménage dont il fait partie en vue de l’obtention d’une aide financière. Il doit, chaque année, fournir un document actuel émis par une autorité compétente qui indique soit le montant de l’aide financière attribuée, soit le motif du refus.
L’absence du certificat visé entraîne un refus de l’aide financière de l’Etat luxembourgeois puisque l’administration est dans l’impossibilité de procéder à un calcul des montants attribuables. Il en est de même d’un document mentionnant que l’étudiant n’a pas introduit de demande ou qu’il a introduit sa demande hors délai ou de façon incomplète.
Suite à l’introduction d’une approche semestrielle dans le calcul de l’aide financière, les déductions à opérer suite à l’application du dispositif anticumul se feront désormais de façon proportionnelle par semestre.
Finalement, il est précisé que la nature des documents à fournir est définie par règlement grand-ducal. »10.
Il s’ensuit que, dans un souci de clarification, il est précisé dans l’énoncé de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 que les dispositions anti-cumul s’appliquent tant aux aides financières qu’à tout autre avantage financier attribuables « dans le pays de résidence du ménage dont fait partie l’étudiant ». L’ajout de la mention « ménage dont l’étudiant fait partie » visait, dès lors, à lever toute ambiguïté quant à la notion de « pays de résidence » et à prévenir toute confusion entre le lieu de résidence de l’étudiant et son lieu d’études. Cette précision n’a toutefois pas pour effet de modifier la portée de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, dans la mesure où, même avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le « pays de résidence » s’entendait déjà comme « pays de résidence du ménage dont fait partie l’étudiant ».
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, la loi du 23 juillet 2016 n’apporte aucune modification substantielle aux dispositions anti-cumul, telles qu’initialement prévues à l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014. Les développements de la demanderesse y afférents sont, dès lors, à rejeter.
Ensuite, et pour autant qu’à travers ses contestations relatives à la déduction des APL perçues en France, la demanderesse ait entendu remettre en cause l’applicabilité de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016, à ladite aide, le tribunal relève que, dans trois arrêts du 16 février 2017, portant les numéros 38021C, 38022C et 38024 C du rôle, la Cour administrative s’est prononcée sur la question de savoir si les APL touchées en France tombent dans le champ d’application des dispositions de l’article 8, précité, dans sa version antérieure à la modification opérée par la loi du 23 juillet 2016. Cette modification se limitant, tel que relevé ci-avant, à de simples précisions rédactionnelles, sans incidence sur la détermination de la nature des aides tombant sous les dispositions anti-cumul, il y a lieu de retenir que la position adoptée par la Cour administrative dans les trois arrêts, précités, conserve toute sa pertinence.
Il ressort d’abord des enseignements des arrêts précités de la Cour administrative que 9 Idem.
10 Doc. Parl. n° 6975, Exposé des motifs et commentaire des articles, ad article 8, p. 11-12.
11 les APL ne tombent pas dans le champ d’application du point a) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 en ce que ces aides ne s’analysent pas en une aide pour études supérieures ni en une aide équivalente au sens dudit article, au motif que la condition sine qua non en vue de leur obtention ne consiste pas dans la poursuite d’études supérieures.
En revanche, la Cour administrative a retenu que les APL tombent dans le champ d’application du point b) de l’article 8.
Pour arriver à cette conclusion, la Cour administrative a rappelé que pour l’enfant d’un travailleur frontalier remplissant les conditions prévues en la matière, les aides étatiques pour études supérieures constituent un avantage social au sens de l’article 7 (2) du règlement n° 492/2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, ci-après désigné par « le règlement 492/2011 », venu abroger et codifier le règlement 1612/68, l’article 7 (2) du règlement 492/2011 ayant le même contenu que la disposition correspondante du règlement 1612/68, et suivant lequel que le travailleur migrant bénéficie dans l’Etat membre où il preste son travail et exerce son activité « des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ».
La Cour a encore rappelé que l’avantage social ainsi prévu relève du principe d’égalité de traitement inscrit à l’article 45 (2) TFUE et répond à une logique de non-discrimination entre travailleurs nationaux et travailleurs non-nationaux, citoyens de l’Union Européenne, voire des personnes pour lesquelles jouent les principes du droit de l’Union.
Après s’être référée à l’arrêt GIERSCH rendu par la CJUE le 20 juin 2013, la Cour administrative a retenu que la mise en comparaison classique de nationaux et de non-nationaux n’a guère de raison d’être dans le présent contexte où la distinction première s’effectue entre l’étudiant résident et l’étudiant non-résident dont un parent, suivant les précisions fixées par un arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016, n°s C-401/15 et C-403/15, est un travailleur frontalier au Grand-Duché de Luxembourg, sous les conditions, par ailleurs, posées par la jurisprudence de la CJUE, tout en soulignant que la notion de nationalité est moins pertinente en ce sens que parmi les étudiants résidant au Luxembourg éligibles aux aides financières pour études supérieures sont susceptibles de figurer des étudiants n’ayant pas la nationalité luxembourgeoise, tout comme parmi les enfants de frontaliers peuvent également figurer des ressortissants luxembourgeois.
C’est sur cette toile de fond que la Cour administrative a analysé la règle anti-cumul, à défaut de régime harmonisé des aides étatiques pour études supérieures dans l’Union européenne. La Cour administrative a poursuivi qu’il convient de cerner le cercle des aides équivalentes prévues par l’article 8 a) essentiellement sous l’angle de l’équivalence par leur nature des aides y visées.
La Cour a ensuite souligné que l’étudiant n’ayant a priori pas de revenus propres, les aides étatiques sont à entrevoir comme un soulagement de la charge des frais d’études pour les personnes finançant les études supérieures en question, que ce soit l’étudiant seul à partir des aides touchées ou le ménage dont il fait partie, les frais d’études constituant une charge pour l’ensemble de ces personnes.
Les aides étatiques pour études supérieures sont dès lors, suivant les enseignements de la Cour administrative, à entrevoir sous l’angle d’un soulagement de la charge financière des frais d’études en question, la Cour rapprochant ce raisonnement aux arrêts de la CJUE du 15 12 décembre 2016, précités.
S’agissant plus spécifiquement de la question de la déductibilité des APL touchées en France, la Cour a estimé qu’une analyse nécessairement globale est à mener à partir de la nature et de l’objectif des prestations prévues afin de décider sur l’équivalence de celles-ci dans le contexte des dispositions anti-cumul, le tout sur la toile de fond des principes généraux du droit de l’Union, dont notamment celui de la libre circulation des travailleurs et de l’égalité de traitement et de non-discrimination.
La Cour en a déduit que les APL touchées en France par un étudiant poursuivant des études supérieures ne s’analysent pas en aides pour études supérieures ni en aides équivalentes puisque la clé d’accès nécessaire voire la condition sine qua non en vue de leur obtention ne consiste pas dans la poursuite d’études supérieures, de manière que la règle anti-cumul prévue par l’article 8 a) de la loi du 24 juillet 2014 ne s’applique pas.
La Cour a toutefois retenu qu’il n’en resterait pas moins qu’un étudiant poursuivant des études supérieures en France peut toucher les APL précisément parce qu’il poursuit encore des études et qu’il ne dispose en principe pas de moyens suffisants pour prendre de son propre chef en location un logement dans le cadre de ses études. Sous cet angle de vue, les APL servent, d’après l’analyse de la Cour, à soulager la charge d’entretien d’un étudiant, en principe majeur, poursuivant des études supérieures, de sorte que dans cette optique, les APL constituent des aides étatiques d’ordre financier, partant des aides financières au sens du point b) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 avec pour effet de soulager la charge des frais d’études de l’étudiant pour celui qui pourvoit à son entretien de manière à constituer un avantage financier au sens de cette disposition, et ce même si la poursuite des études supérieures ne constitue pas une condition sine qua non de l’obtention des APL. La Cour a souligné que c’est parce que l’étudiant, en principe majeur, poursuit précisément pareilles études et qu’il ne pourvoit en règle générale pas lui-même à son propre entretien, que les APL sont en principe touchées par lui et constituent pour lui, sinon plus globalement pour le ménage dont il dépend, un soulagement de la charge des frais d’études, de manière à conclure que les APL touchées en France sont à considérer comme un avantage financier découlant du fait qu’il était au moment pertinent un étudiant poursuivant des études supérieures conformément au point b) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014.
Force est de constater, en l’espèce, que si les arrêts précités de la Cour administrative sont définitifs en ce qui concerne les parties à ces instances, ils ne s’imposent pas en l’espèce au titre de l’autorité de chose jugée, ne s’agissant pas d’un litige se mouvant entre les mêmes parties, même s’il est vrai que la problématique est identique et le texte de loi à appliquer est semblable.
D’autre part, il convient de relever que certes les pays de droit civil ne connaissent pas la règle du précédent au même titre que les pays de common law, de sorte que la solution dégagée par une juridiction supérieure pour un même point de droit, ne s’impose pas à la juridiction inférieure de manière à commander nécessairement la même solution, les juridictions de rang inférieur n’étant pas obligées à abdiquer à leur interprétation de la loi pour se soumettre à l’interprétation des juridictions de rang supérieur11. Il n’en reste toutefois pas moins que les décisions d’une juridiction supérieure sont, même dans les pays ne connaissant pas la règle du précédent, revêtues d’une certaine autorité jurisprudentielle, de sorte à pouvoir 11 En ce sens : trib. adm., 29 janvier 2018, n° 38971 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
13 être considérées comme des recommandations pour les juridictions inférieures, afin d’éviter de placer ces dernières dans une situation de devoir trancher un litige en quelque sorte comme une instance d’appel par rapport à un arrêt rendu par une juridiction supérieure dans une affaire ayant porté sur les points de droits identiques ou similaires.
Dans ces conditions, et dans l’intérêt bien compris du justiciable, le tribunal est amené à suivre la solution retenue par la juridiction supérieure. Dès lors, le tribunal retient, pour les motifs dégagés par la Cour administrative tels que repris ci-avant et auxquels le tribunal se rallie, que les sommes perçues au titre des APL sont à qualifier d’avantage financier au sens du point b) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, alors qu’il vise tout avantage « découlant » du fait que l’intéressé est un étudiant, l’emploi de ce terme confortant l’interprétation préconisée par la Cour, que le tribunal entend suivre. Il s’ensuit que c’est a priori à bon droit, suivant une application correcte de la loi nationale, que les sommes touchées en France au titre des APL ont été déduites des aides financières pour études supérieures octroyées à la demanderesse.
Quant à la conformité de la disposition anti-cumul avec le droit communautaire S’agissant ensuite du moyen fondé sur une contrariété des dispositions anti-cumul de la loi du 24 juillet 2014 avec le droit communautaire et en l’occurrence avec les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement conformément à l’article 7 (2) du règlement 492/2011 et à l’article 45 TFUE, le tribunal constate que dans les arrêts précités du 16 février 2017 la Cour administrative a rejeté ledit moyen présenté de manière identique devant elle, au motif que « Cette solution se dégage sur base des principes directeurs régissant la matière à partir des dispositions de l’article 7, paragraphe 2, du règlement UE 492/2011 prévoyant les avantages sociaux pour un travailleur frontalier sur la toile de fond à la fois du principe de libre circulation des travailleurs et du principe d’égalité consacré par l’article 45, paragraphe 2, TFUE, ensemble les règles de non-discrimination s’en dégageant, y compris par rapport à l’étudiant résident majeur poursuivant des études supérieures, par lequel aucune allocation au logement n’est en principe touchée dans le Grand-Duché, lieu de travail du travailleur frontalier du chef duquel l’intimé tire l’avantage social des aides étatiques luxembourgeoises pour études supérieures dont s’agit.
Il n’y a dès lors pas lieu de soumettre plus en avant une question préjudicielle à la CJUE ».
La décision de la Cour administrative de ne pas soumettre une question préjudicielle à la CJUE est fondée, en substance, sur le constat que la solution à laquelle la Cour est arrivée s’agissant de l’interprétation à donner à l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 découle des principes directeurs régissant la matière à partir du principe de libre circulation des travailleurs et du principe d’égalité de traitement.
Aux termes de l’article 276 TFUE, « La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:
a) sur l’interprétation des traités, b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son 14 jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. ».
Il découle de cette disposition que si une question sur l’interprétation du droit communautaire se pose devant les juridictions nationales, la juridiction devant laquelle elle est soulevée qui rend des décisions non susceptibles de recours juridictionnel de droit interne, doit demander à la CJUE de statuer sur cette question, sous les tempéraments admis par la jurisprudence de la CJUE12, alors que si la question est soulevée devant une autre juridiction, tel que cela est le cas du tribunal administratif statuant en première instance, la juridiction a la faculté, mais non l’obligation, de saisir la CJUE d’une question d’interprétation, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement.
Aux termes de l’article 7 du règlement 492/2011, ayant repris le libellé de l’article 7 du règlement 1612/68, « 1) Le travailleur ressortissant d’un Etat membre ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.
2) Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux […] ».
Il résulte d’une jurisprudence constante de la CJUE, rappelée en l’occurrence dans l’affaire GIERSCH, de même que dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la CJUE du 14 décembre 2016, n° C-238/15, que le travailleur ressortissant d’un Etat membre bénéficie, sur le territoire des autres Etats membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux, cette disposition bénéficiant indifféremment tant aux travailleurs migrants résidents dans un Etat membre d’accueil, qu’aux travailleurs frontaliers qui, tout en exerçant leur activité salariée dans ce dernier Etat membre, résident dans un autre Etat membre, et que l’aide accordée pour l’entretien et pour la formation, en vue de la poursuite d’études universitaires sanctionnées par une qualification professionnelle, constitue pour le travailleur migrant un avantage social, dont l’enfant du travailleur migrant peut lui-même se prévaloir si, en vertu du droit national, cette aide est accordée directement à l’étudiant13.
Il est encore constant que le principe d’égalité de traitement inscrit tant à l’article 45 TFUE qu’à l’article 7 du règlement 492/2011, ayant repris les dispositions de l’article 7 du règlement 1612/68, prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toute forme indirecte de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutit en fait au même résultat14. Suivant la jurisprudence de la CJUE, une disposition implique une discrimination indirecte dès lors qu’elle est susceptible, par sa 12 CJUE, 4ème chambre, 18 juillet 2013, affaire n° C-136/12.
13 Considérants n°s 39 et 40 de l’arrêt de la CJUE du 14 décembre 2016, n° C-238/15.
14 Considérant n° 41.
15 nature même, d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers15.
Dans l’affaire GIERSCH, la CJUE a plus particulièrement retenu que la condition de résidence exigée au titre des conditions d’attribution de l’aide financière pour études supérieures, en ce qu’elle risque de jouer principalement au détriment de ressortissants d’autres Etats membres, puisque les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux16, implique une discrimination indirecte, en principe prohibée, à moins d’être objectivement justifiée, tout en rappelant qu’une mesure est objectivement justifiée si elle est propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
Le tribunal souligne de prime abord que dans la présente affaire, le reproche de la violation du principe de non-discrimination est suggéré, non pas par rapport aux conditions d’octroi de l’aide financière pour études supérieures, mais, de façon incidente, par rapport au non-cumul et partant par rapport au correctif prévu par le législateur luxembourgeois qui, suivant les documents parlementaires relatifs à la loi du 24 juillet 201417, a pour objectif – également repris dans les documents parlementaires relatifs à la loi du 23 juillet 201618 – d’éviter des discriminations à rebours, en ce sens que par le biais de l’application des conditions d’octroi de l’aide financière pour études supérieures, devant accorder en l’occurrence aux enfants des travailleurs frontaliers non-résidents les mêmes droits que ceux accordés aux nationaux, la loi aboutisse en fin de compte à une discrimination à rebours si les étudiants pouvaient cumuler des aides de même nature ou équivalentes accordées dans leur Etat de résidence avec celles accordées par la loi luxembourgeoise, le tout sur le fondement du principe de libre circulation et d’égalité de traitement. Il se dégage, en effet, du commentaire des articles à la base de la loi du 24 juillet 2014 que, tirant les enseignements de l’arrêt GIERSCH, précité, de la CJUE, le législateur a entendu inscrire dans la loi une disposition anti-cumul évitant « le risque d’un cumul avec l’allocation d’une aide financière équivalente qui serait versée par l’Etat membre dans lequel l’étudiant réside, seul ou avec ses parents ».
C’est sur cette toile de fond que l’examen quant au respect des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination est à opérer en l’espèce.
Force est de constater qu’il ressort des termes mêmes de la disposition anti-cumul inscrite à l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016, qu’elle s’applique indépendamment de la nationalité, en ce sens que les étudiants, peu importe leur nationalité ne peuvent pas cumuler les aides financières pour études supérieures avec un certain nombre d’autres aides ou avantages, de sorte qu’elle n’implique en elle-même aucune discrimination directe.
Certes la disposition anti-cumul est susceptible, le cas échéant, de toucher davantage les étudiants non-résidents, qui sont le plus souvent des non-nationaux, encore qu’il convient de relever, d’une part, que des non-résidents peuvent aussi être des nationaux luxembourgeois, 15 Arrêt Hartmann, n° C-212/05, considérant n° 30.
16 Considérant n° 44.
17 Doc. Parl. n° 6670-11, Rapport de la commission de l’enseignement supérieur, de la recherche, des médias, des communications et de l’espace.
18 Doc. Parl. n° 6975-06, Rapport de la commission de l’enseignement supérieur, de la recherche, des médias, des communications et de l’espace.
16 et, d’autre part, que les dispositions de l’article 8, précité, ne font pas la distinction entre résidents luxembourgeois et non-résidents, mais se réfèrent, de manière indistincte, aux aides touchées « dans l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie », qui peut à la fois être le Luxembourg et un autre pays de l’Union européenne. Toutefois, pour être qualifiée de discriminatoire, la disposition litigieuse devrait toucher les étudiants non-nationaux de façon plus défavorable19. Force est néanmoins de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce, dans la mesure où il s’agit justement d’un correctif de nature à éviter des discriminations à rebours en ce sens que plus particulièrement les étudiants non-résidents bénéficiaires des aides financières pour études supérieures au titre des principes de libre circulation et d’égalité de traitement consacrés par le droit de l’Union ne soient pas traités plus favorablement que les étudiants résidents s’ils pouvaient cumuler des aides équivalentes respectivement des avantages financiers accordés dans le pays de résidence du ménage dont ils font partie du fait qu’ils ont la qualité d’étudiants, avec les aides accordées par le Luxembourg. Autrement dit, l’application de la règle du non-cumul, qui repose sur la prémisse que l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie est primairement responsable pour accorder les aides financières pour études supérieures, n’aboutit pas à un résultat plus défavorable pour les étudiants non-résidents, qu’ils soient d’ailleurs luxembourgeois ou non luxembourgeois, cette disposition impliquant, au contraire, un traitement égalitaire en ce qu’elle permet d’éviter que des étudiants cumulent des aides équivalentes ou liées à la poursuite d’études touchées dans le pays de résidence du ménage dont ils font partie avec les aides pour études supérieures accordées sur le fondement de la loi du 24 juillet 201420.
La circonstance, mise en avant par la partie demanderesse, que, le cas échéant, les étudiants résidents du Luxembourg ne se font pas déduire les APL touchées en France, pays où ils poursuivent leurs études, ne provient pas de ce que la disposition anti-cumul prévue par la loi luxembourgeoise serait discriminatoire, mais de la circonstance qu’en l’occurrence le législateur français semble ne pas avoir prévu des dispositions anti-cumul, respectivement ne pas appliquer de telles dispositions dans le cadre des aides qu’il accorde aux étudiants non-
résidents poursuivant des études supérieures sur son territoire, circonstance qui ne saurait avoir une incidence sur l’appréciation du caractère discriminatoire d’une disposition luxembourgeoise.
Au-delà de ce constat et à titre superfétatoire, le tribunal relève que le caractère justifié et conforme au principe de libre circulation d’une disposition anti-cumul découle nécessairement des enseignements de l’arrêt GIERSCH, de manière qu’il convient de conclure que, même à admettre une discrimination indirecte comme l’entend la partie demanderesse, l’objectif poursuivi, à savoir celui d’éviter des discriminations à rebours, a expressément été reconnu par la CJUE dans ledit arrêt comme étant un objectif légitime de même qu’une règlementation anti-cumul est susceptible d’atteindre cet objectif de manière adéquate et proportionnée21.
En effet, dans la mesure où la CJUE a expressément suggéré, pour éviter le cumul des aides financières accordées au Luxembourg avec des aides équivalentes accordées dans le pays de résidence, de prendre en compte les aides allouées dans l’Etat de résidence pour l’attribution de l’aide versée par l’Etat luxembourgeois – étant relevé que sont nécessairement visées tant les aides pour études supérieures proprement dites que les aides équivalentes, respectivement 19 Cf. considérant n° 30 de l’arrêt Hartmann précité.
20 En ce sens : trib. adm., 7 mai 2018, n° 39011 du rôle, confirmé en appel par un arrêt du 22 novembre 2018, n° 41318C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
21 Idem.
17 celles qui découlent du fait que le demandeur est étudiant –, elle a non seulement consacré le caractère légitime et adéquat du principe d’une telle disposition, mais a encore implicitement mais nécessairement reconnu que l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie est à considérer comme étant responsable primairement de l’octroi des aides litigieuses. A cet égard, en évoquant la possibilité d’éviter le cumul avec l’aide financière versée dans l’Etat membre « dans lequel l’étudiant réside, seul ou avec ses parents », la CJUE n’a pas visé l’Etat dans lequel sont accomplies les études, mais l’Etat de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie22. Il s’ensuit que l’Etat luxembourgeois, devant certes accorder aux enfants de travailleurs frontaliers les mêmes avantages sociaux que ceux qu’il accorde à ses nationaux, peut prendre en compte, sans violer le principe de non-discrimination, les aides perçues dans le pays de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie dans l’octroi des aides prévues par sa propre législation et n’intervient dès lors qu’à titre subsidiaire pour parfaire les aides accordées dans le pays de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie jusqu’à concurrence des aides accordées au Luxembourg.
Le tribunal est dès lors amené à retenir, au regard des solutions d’ores et déjà retenues par la CJUE dans l’affaire GIERSCH, que les dispositions de l’article 8 b) de la loi du 24 juillet 2014 permettant la déduction des APL touchées dans le pays de résidence du ménage dont la demanderesse fait partie, ne sont pas contraires aux dispositions de l’article 7 (2) du règlement 492/2011 ni à celles de l’article 45 TFUE, sans qu’il n’y ait lieu de soumettre une question préjudicielle à la CJUE, le tribunal estimant que la solution retenue par lui se dégage à suffisance des enseignements tirés de l’arrêt GIERSCH.
Le moyen fondé sur une contrariété de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, tel que modifiée par la loi du 23 juillet 2016, avec le principe de la non-discrimination découlant du droit communautaire est partant rejeté.
Pour ces mêmes motifs, le moyen tenant à une violation des articles 1er du Protocole n° 12 et 14 de la CEDH est également à rejeter pour être non fondé.
Au vu de tout ce qui précède, le recours est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
En ce qui concerne la demande de Madame (A) tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros en application de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. », cette demande est, au vu de l’issue du litige, à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
22 En ce sens : trib. adm., 18 octobre 2017, n° 38250 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
18 rejette la demande de saisine de la Cour de justice de l’Union européenne ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 2.500 euros, telle que formulée par la demanderesse ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, et lu à l’audience publique du 11 juin 2025 par le vice-président Daniel WEBER en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 19