Tribunal administratif N°52885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52885 1re chambre Inscrit le 20 mai 2025 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52885 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 mai 2025 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Maroc), et être de nationalité marocaine, actuellement assigné à …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 6 mai 2025 de le transférer vers l’Autriche comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juin 2025.
Le 20 janvier 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Les recherches effectuées le même jour dans la base de données EURODAC révélèrent que Monsieur (A) avait introduit une demande de protection internationale en Autriche le 10 décembre 2024.
Le 26 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationaleen vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 28 février 2025, les autorités luxembourgeoises introduisirent auprès des autorités autrichiennes une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur le fondement de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée le 3 mars 2025 par ces dernières sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.
Par un arrêté du 26 mars 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », assigna à résidence Monsieur (A) à la maison retour sise à …, pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question.
Par décision du 6 mai 2025, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le surlendemain, le ministre informa Monsieur (A) de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Autriche sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 20 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Autriche qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police judiciaire du 20 janvier 2025 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 26 février 2025.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 20 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 10 décembre 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 26 février 2025. Sur cette base, une demande de reprise en charge sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités autrichiennes en date du 28 février 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités autrichiennes en date du 3 mars 2025, sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII.
2 Relevons également qu’en date du 13 mars 2025 le Luxembourg a reçu une requête de reprise en charge des autorités suisses, parce que vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale en Suisse en date du 10 mars 2025. Vous êtes entretemps de retour au Luxembourg.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 20 janvier 2025 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 10 décembre 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine en juin 2024 en avion en direction de la Turquie. Une fois arrivé en Turquie, vous auriez poursuivi votre chemin dans une embarcation clandestine vers la Grèce. Après deux semaines, vous auriez emprunté la route des Balkans pour rejoindre la Hongrie. Depuis la Hongrie, vous auriez continué votre chemin à pied en direction de l’Autriche où vous auriez été contrôlé par la police et où vous auriez été obligé de donner vos empreintes digitales. Après un mois, vous auriez quitté l’Autriche sans attendre la réponse à votre demande de protection internationale et, en passant par la Suisse, l’Italie et l’Allemagne, vous seriez finalement arrivé au Luxembourg.
3 Lors de votre entretien Dublin III en date du 26 février 2025, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Autriche qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale. Monsieur, vous déclarez avoir quitté l’Autriche « suite à des gros problèmes avec des tiers (sic) personnes » (p.5 du rapport d’entretien Dublin III) et que vous n’y retournerez jamais.
Rappelons à cet égard que l’Autriche est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Autriche est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l’Autriche profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l’Autriche est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Autriche sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires autrichiennes.
Monsieur, vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Autriche ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Autriche. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Autriche ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions autrichiennes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Autriche revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles 4 seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale. Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers l’Autriche, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Autriche, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Autriche en informant les autorités autrichiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités autrichiennes n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 6 mai 2025.
Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
5 Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.
En droit, le demandeur soutient qu’au vu de sa situation personnelle, le ministre aurait dû faire usage de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III et ainsi déclarer le Grand-Duché de Luxembourg comme étant l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.
Il soulève ensuite, en substance, une violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, au motif de l’existence, en Autriche, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.
A cet égard, il fait valoir que le durcissement de la politique migratoire en Autriche ayant comme objectif la préservation des secteurs du logement, de la santé et de l’éducation, conduirait à la remise en cause des conditions minimales d’accueil et du respect du droit à la famille, le demandeur s’appuyant sur des articles de presse récents pour conclure que ce durcissement aurait indubitablement un impact concret et actuel sur l’analyse de sa demande de protection internationale par les autorités autrichiennes.
Par ailleurs, il soutient que bien que l’Autriche serait présumée respecter ses obligations découlant du droit international, il n’en resterait pas moins que ledit Etat membre aurait été, à de multiples reprises, épinglé en raison de la violation « […] de certaines dispositions, des traités internationaux auxquelles [il aurait] adhéré […] ». Ainsi, il affirme que des ONG n’auraient pas manqué de « […] souligner les défaillances systémiques de l’Autriche en matière d’asile […] ».
Le demandeur renvoie dans ce contexte à un rapport du 12 mai 2022 de la Commissaire aux droits de l’Homme lequel aurait ainsi épinglé « […] les violations des droits humains du fait de la politique d’asile restrictive mise en place en Autriche du fait notamment de l’insuffisance des conditions d’accueil, du surpeuplement des structures existantes, des lacunes en termes de l’assistance juridique nécessaire et du mauvais traitement opéré par les forces de l’ordre lors des refoulements […] », tout en dénonçant plus particulièrement le fait que les conditions d’accueil n’y seraient pas conformes aux normes minimales prévues par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », et en insistant sur la nécessité pour le gouvernement autrichien de remédier sans délai à la situation par l’identification rapide des personnes vulnérables et par le bénéfice d’un hébergement approprié.
Or, la situation ne serait toujours pas régularisée et la politique migratoire autrichienne actuelle s’annoncerait extrêmement difficile suite à l’arrivée récente au pouvoir d’un nouveau gouvernement. Le demandeur estime que la politique soutenue par la coalition gouvernementale majoritairement d’extrême droite, qui prévoirait également une clause d’exemption de la politique européenne d’asile et de migration à soumettre à la Commission européenne, induirait au final « […] un refoulement systématique par un accueil volontairement drastique des demandeurs de protection internationale en raison notamment des accords signés entre l’Autriche et les pays du Maghreb dans le cadre des réadmissions […] », le demandeur se référant à cet égard également à un document de l’association « La 6 Cimade » intitulé « Fiche Autriche » et actualisé pour la dernière fois en août 2022, ainsi qu’à un article publié sur le site Internet « www.euractiv.fr ».
Au vu de ces considérations, il devrait être admis que l’exécution de la décision ministérielle litigieuse emporterait une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte ».
En se prévalant finalement de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », et plus particulièrement de son interprétation de l’article 4 de la Charte, le demandeur insiste sur le fait qu’en cas de transfert vers l’Autriche et dans l’attente de son rapatriement éventuel vers son pays d’origine, il y subirait un traitement inhumain et dégradant notamment « […] par les lacunes pointées en termes d’accueil […] ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités autrichiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. […] ».
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Autriche et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que l’Autriche serait l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, en ce qu’il y avait introduit une demande de protection internationale le 10 décembre 2024 et que les autorités autrichiennes avaient accepté sa reprise en charge le 3 mars 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Autriche.
Il y a ensuite lieu de relever que le demandeur ne conteste ni cette compétence de principe des autorités autrichiennes ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais il considère, en substance, que son transfert vers l’Autriche l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil dans ledit pays, tout en invoquant, à cet effet et en substance, une violation des articles 3 (2), alinéa 2 et 17 (1) du règlement Dublin III.
A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
Quant au moyen tiré de la violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que cet article prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.
A cet égard, le tribunal relève que l’Autriche est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH et le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par la « Convention de Genève », et dispose a 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2 du 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 78.
3 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pt. 95.
6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.
8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91. règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.
En l’espèce, si le demandeur entend remettre en question la présomption du respect par l’Autriche des droits fondamentaux en faisant état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en Autriche telle que décrite par lui atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et des principes dégagés ci-avant.
Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne ressortent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
En effet, le demandeur se prévaut, en premier lieu, d’un rapport émis en date du 12 mai 2022 par la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe suite à sa visite en Autriche du 13 au 17 décembre 2021. Force est tout d’abord de constater que le demandeur se borne à conclure que ladite Commissaire aurait « épinglé les violations des droits humains du fait de la politique d’asile restrictive mise en place en Autriche du fait notamment de l’insuffisance des conditions d’accueil, du surpeuplement des structures existantes, des lacunes en termes de l’assistance juridique nécessaire et du mauvais traitement opéré par les forces de l’ordre lors des refoulements », sans pour autant citer les extraits pertinents dudit rapport. Cette observation étant faite, ledit rapport traduit en outre uniquement les constatations faites sur la période entre le 13 et le 17 décembre 2021 et ne permet dès lors, en tout état de cause, pas de conclure qu’il existerait à l’heure actuelle un risque réel et concret que tout demandeur de protection internationale se voie confronté en Autriche à un système d’asile contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
S’il se dégage ensuite, certes, des articles de presses publiés sur Internet, tels qu’invoqués par le demandeur, que les autorités autrichiennes connaissent une forte augmentation du nombre de demandeurs de protection internationale, qu’elles rencontrent de ce fait des problèmes quant à leurs capacités d’accueil et que le gouvernement autrichien a annoncé un durcissement de la politique d’asile par la suspension temporaire du regroupement familial, il n’en reste pas moins qu’au regard du seuil de gravité fixé par la CJUE, ces mêmes documents ne sont pas suffisants pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Autriche, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des 10 Ibid., pt. 92.
11 Ibid., pt. 93.demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.
Pour autant qu’à travers son affirmation selon laquelle « [l]a politique autrichienne indui[rai]t au final un refoulement systématique par un accueil volontairement drastique des demandeurs de protection internationale en raison notamment des accords signés entre l’Autriche et les pays du Maghreb dans le cadre des réadmissions », le demandeur ait entendu faire état de défaillances systémiques en Autriche se caractérisant par un refoulement systémique des demandeurs de protection internationales vers les pays du Maghreb, le tribunal relève que le document de l’association « La Cimade », intitulé « Fiche Autriche », actualisé pour la dernière fois en août 2022 et versé par le demandeur, ne permet pas d’étayer une telle allégation et manque, en outre, de pertinence, étant donné que la décision entreprise n’implique pas un retour du demandeur dans son pays d’origine mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale et des suites de celle-ci.
En outre, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») relative à une suspension générale des transferts vers l’Autriche voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ci-après désigné par « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Autriche dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile autrichienne qui exposerait les personnes concernées à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Autriche, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.
12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.
En l’espèce, le tribunal constate qu’il ne ressort pas des éléments soumis à son appréciation qu’au cours du séjour du demandeur en Autriche, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.
Par ailleurs, le demandeur n’a pas non plus fourni des éléments concrets et individuels dont il se dégagerait que nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence de preuve de l’existence, de manière générale, en Autriche, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3 (2) du règlement Dublin III, il serait, en cas de transfert vers ce pays, personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits, et ce de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités autrichiennes avant de le transférer.
En tout état de cause, le tribunal rappelle qu’il est constant en cause que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale par les autorités autrichiennes, ces dernières ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, précité.
En cas de transfert vers l’Autriche, il devra, dans ces conditions, y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève.
La question litigieuse, en l’espèce, se pose, dès lors, davantage en termes d’accès à l’aide sociale d’urgence de droit commun plutôt qu’en termes d’accès au système d’accueil spécifiquement mis en place pour les besoins des demandeurs de protection internationale.
Or, le demandeur n’apporte aucun élément probant dont il se dégagerait qu’en sa qualité de demandeur de protection internationale débouté, il ne pourrait accéder à l’aide sociale d’urgence en Autriche.
Dans ce contexte et de manière plus générale, le tribunal relève encore que la CourEDH a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur 13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
88.juridiction. Il ne saurait non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie15.
La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat16.
Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être le cas échéant exposé à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide autrichien – que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents autrichiens – était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités autrichiennes en usant des voies de droit adéquates.
Dans ce contexte, le tribunal relève encore que le demandeur n’a pas rapporté la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en Autriche, que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Autriche ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en Autriche aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers l’Autriche, et nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques, à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Ainsi, l’argumentation afférente est à rejeter dans son ensemble.
Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une 15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, pts 94 et 95, et les jurisprudences y citées.
16 CEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres17, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201718.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge19, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration20.
En l’espèce, pour conclure à une violation de l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, le demandeur invoque, en substance, la même argumentation que celle développée à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Or, cet argumentaire vient d’être rejeté ci-avant, le tribunal ayant plus particulièrement retenu qu’un transfert du demandeur en Autriche n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, le demandeur n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, un transfert vers l’Autriche l’exposerait à un tel risque, indépendamment de l’absence de défaillances systémiques au sens de cette dernière disposition.
Dans ces circonstances et en l’absence d’autres éléments, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
17 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt 65.
18 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
19 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
20 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 15