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12/06/2025 | LUXEMBOURG | N°50202

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juin 2025, 50202


Tribunal administratif N° 50202 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50202 2e chambre Inscrit le 14 mars 2024 Audience publique du 12 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50202 du rôle et déposée le 14 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Caro MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de lâ€

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Tribunal administratif N° 50202 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50202 2e chambre Inscrit le 14 mars 2024 Audience publique du 12 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50202 du rôle et déposée le 14 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Caro MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-…, tendant suivant son dispositif à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribué au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 14 décembre 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement ;

Vu l’ordonnance présidentielle du 4 avril 2024, inscrite sous le numéro 50288 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 mars 2025, Maître Cora MAGLO n’ayant été ni présente, ni représentée.

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Le 15 novembre 2019, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 4 mai 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 6 mai 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination du Venezuela ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2021, Monsieur (A) introduisit un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 4 mai 2021, recours qui fut déclaré partiellement fondé par jugement du tribunal administratif du 9 1février 2023, inscrit sous le numéro 46084 du rôle, de sorte que par réformation de la décision ministérielle du 4 mai 2021, l’intéressé se vit octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, ledit jugement fut ensuite réformé en appel par arrêt de la Cour administrative du 2 août 2023, inscrit sous le numéro 48667C du rôle, le déboutant définitivement de sa demande de protection internationale.

Par courrier de son litismandataire du 24 octobre 2023, Monsieur (A) s’adressa à la direction de l’Immigration pour solliciter le bénéfice d’un report à l’éloignement.

Par décision du 14 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande en obtention d’un report à l’éloignement en question pour les motifs suivants :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre courriel du 24 octobre 2023 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant un report à l'éloignement conformément à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que Monsieur (A) ne remplit pas les conditions à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 lues en combinaison avec l'article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

La Cour administrative, dans son audience publique du 2 août 2023, est partant amenée à retenir que le récit de Monsieur (A) est incohérent et peu plausible surtout parce que le seul document versé par ce dernier contredit sa propre version des faits. Par ailleurs, votre mandant n'apporte aucune explication ou justification satisfaisante de nature à énerver les incohérences et contradictions.

Finalement, le retour au Venezuela n'est pas exclu d'office car la situation sécuritaire au Venezuela ne serait pas telle que toute personne présente sur le territoire dudit pays risquerait de subir des menaces et atteintes graves contre sa vie ou sa personne en raison de violences aveugles dans le cadre d'un conflit armé interne ou international. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 14 décembre 2023.

Par requête séparée déposée le 4 avril 2024, inscrite sous le numéro 50288 du rôle, il a encore fait introduire un recours tendant à voir ordonner un sursis à exécution, sinon à voir instituer une mesure de sauvegarde afin de se voir autoriser à séjourner provisoirement sur le territoire luxembourgeois jusqu’à l’intervention d’une décision au fond en réponse à son prédit recours en annulation, laquelle fut rejetée par ordonnance du 15 avril 2024.

Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée refusant de faire 2droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et après avoir exposé les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, le demandeur invoque de prime abord, en s’appuyant sur des décisions des juridictions administratives nationales ainsi que sur une décision du Conseil d’Etat français, une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », pour insuffisance de motivation de la décision déférée.

Dans ce contexte, le demandeur souligne que pour fonder son refus au report à l’éloignement, le ministre se serait limité à évoquer « sommairement les bases légales […] sans réellement exposer en quoi [il] ne répond[rait] pas aux conditions pour bénéficier du report à l’éloignement » et à lui reprocher des incohérences et des contradictions relevant de sa procédure de demande de protection internationale.

A cet égard, le demandeur estime que s’il n’était pas fondé à invoquer des motifs tirés de sa demande de protection internationale au soutien de sa demande tendant à obtenir un report à l’éloignement, cette restriction devrait alors également s’appliquer au ministre qui ne serait dès lors pas non plus fondé à invoquer des éléments tirés de cette même demande pour justifier un refus de report à l’éloignement, tout en affirmant, dans ce contexte, avoir fait valoir à l’appui de sa demande en obtention d’un report à l’éloignement d’autres motifs que ceux invoqués dans le cadre de sa demande de protection internationale, à savoir les mauvaises conditions humanitaires qui règneraient actuellement au Venezuela et qui contreviendraient au principe de prohibition de traitements inhumains et dégradants.

Le demandeur en conclut que la décision déférée encourrait l’annulation faute de motivation suffisante.

Le demandeur se prévaut, ensuite, d’une violation des articles 125 bis et 129 de la loi du 29 août 2008, en se référant à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 27 mai 2008, N. c. Royaume-Uni, dans lequel celle-ci aurait précisé que les mauvaises conditions humanitaires dans le pays de destination justifieraient l’opposition à l’exécution d’une mesure d’éloignement. Il explique ensuite qu’il ne pourrait pas quitter le territoire luxembourgeois pour des raisons indépendantes de sa volonté, à savoir la situation humanitaire qui prévaudrait au Venezuela, et renvoie à ce sujet à un article, intitulé « Venezuela : l’urgence manifeste d’une solution politique et démocratique », publié sur le site « www.eeas.europa.eu » en date du 8 octobre 2020, ainsi qu’à un « rapport sur le Venezuela », publié par la « Protection Civile et Operations d'Aide Humanitaire Européennes » en mars 2023, pour en conclure que son pays d’origine traverserait actuellement une « crise politique et économique sévère ». Il fait valoir que l’inflation galopante aurait « vidé l’argent de sa valeur », rendant ainsi toute perspective de réintégration « économiquement inenvisageable ». Etant donné les taux de pauvreté et d’homicide très élevés, combinés à la pénurie alimentaire et au fait que la majorité de la population vénézuélienne n’aurait pas accès à l’eau potable, son retour en ce qu’il aurait travaillé dans le secteur bancaire avant son départ du Venezuela, serait « tout simplement irréalisable ».

Dans un même ordre d’idées, le demandeur se base sur un rapport qui aurait été 3« récemment » rendu concernant le Venezuela pour soutenir que le danger qui y régnerait en raison de la « violence étatique » ne lui laisserait « aucune perspective d’établissement sûr » dans ce pays.

Enfin, il réitère son reproche suivant lequel le ministre se serait contenté de se fonder sur les motifs qu’il avait invoqués à la base de sa demande de protection internationale pour refuser de lui octroyer un report à l’éloignement sans avoir procédé à un réel examen au fond des motifs qu’il avait invoqués à la base de sa demande en obtention d’un report à l’éloignement et, plus particulièrement, de la situation humanitaire régnant au Venezuela.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne d’abord le moyen de légalité externe tenant à une insuffisance de motivation de la décision déférée en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, force est de relever que si la décision déférée rentre effectivement dans le champ d’application dudit article 6, aux termes duquel toute « décision doit formellement indiquer les motifs par l´énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base », notamment lorsqu’elle « refuse de faire droit à la demande de l´intéressé », il convient de relever qu’au-delà du fait qu’il est de jurisprudence constante qu’un défaut de motivation formelle d’une décision administrative n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette dernière, mais seulement la suspension du délai de recours, et que l’autorité administrative est toujours autorisée à fournir de plus amples motifs même en cours de procédure contentieuse, il faut d’abord souligner que l’article 6 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’impose pas une motivation exhaustive et précise, mais que seule une motivation sommaire est expressément exigée.

En l’espèce, force est de constater que la décision déférée du 14 décembre 2023, telle que reprise in extenso ci-avant, est non seulement motivée en droit en ce qu’elle se réfère expressément aux articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008, bases légales sur lesquelles est fondée la demande en obtention d’un report à l’éloignement de Monsieur (A), mais également en fait en ce qu’elle précise que le demandeur n’apporterait aucune explication ou justification susceptible d’énerver les incohérences et contradictions contenues dans son récit invoqué à la base de sa demande de protection internationale et que son retour au Venezuela ne serait pas exclu d’office dans la mesure où la situation sécuritaire y régnant ne serait pas telle que « toute personne présente sur le territoire de ce pays risquerait de subir des menaces ou atteintes graves contre sa vie ou sa personne en raison de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé ou international ». A cela s’ajoute que le délégué du gouvernement a, à travers son mémoire en réponse, complété cette motivation en donnant des précisions quant aux raisons ayant amené le ministre à refuser au demandeur un report à l’éloignement.

Par conséquent, dans la mesure où la décision se trouve suffisamment motivée en droit et en fait et que le demandeur aurait, par ailleurs, pu prendre position à travers un mémoire en réplique par rapport à la motivation complémentaire fournie par la partie étatique en cours de procédure contentieuse, ce qu’il est resté en défaut de faire, le moyen tiré d’un défaut de motivation est rejeté, étant, à cet égard, relevé que l’indication des motifs de refus n’est pas à confondre avec la question de l’existence des motifs et de leur bien-fondé, examen qui sera fait ci-après.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le reproche du demandeur suivant lequel faute 4pour lui d’être en droit d’invoquer des éléments tirés de son dossier de demande de protection internationale dans le cadre de sa demande tendant à l’obtention d’un report à l’éloignement, il en devrait aller de même pour le ministre qui aurait pourtant, dans sa décision du 14 décembre 2023, fait référence à l’arrêt rendu par la Cour administrative en date du 2 août 2023 par lequel le demandeur a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale et qui aurait ainsi fait état d’éléments tirés de sa demande de protection internationale, sans par ailleurs, avoir procédé à un réel examen au fond des motifs qu’il avait invoqués à la base de sa demande de report à l’éloignement.

En effet, outre le fait que le reproche en question touche en réalité au bien-fondé de la motivation avancée par le ministre à la base de la décision litigieuse, il convient tout d’abord de relever que dans la mesure où une demande de report à l’éloignement est intimement liée à une décision ministérielle préalable portant ordre de quitter le territoire dont elle tire son existence, le dossier administratif ayant trait à ces décisions forme nécessairement un tout indivisible. Ensuite, rien ne s’oppose à ce qu’aussi bien le ministre que le demandeur invoquent, dans le cadre d’une demande de report à l’éloignement, tous les arguments et moyens qui leur semblent appropriés pour aboutir dans cette demande, respectivement, en ce qui concerne le ministre, pour sous-tendre sa décision de refus, y compris en se référant à des éléments tirés du dossier administratif relatif à la demande de protection internationale. Le reproche afférent laisse dès lors d’être fondé. Pour être tout à fait complet, il y a lieu de relever que s’il est vrai que dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision refusant de faire droit à une demande tendant à l’octroi d’un report à l’éloignement, le tribunal conclut généralement – et c’est à cela que le demandeur semble faire allusion – qu’il ne saurait se départir des conclusions retenues dans l’arrêt ayant définitivement débouté l’intéressé de sa demande de protection internationale, tel est le cas lorsque celui-ci tente d’obtenir un report à l’éloignement en se fondant sur un récit ayant une toile de fond identique à celui dont a d’ores et déjà eu à connaître la Cour administrative, sans pour autant fournir un quelconque nouvel élément probant à la base de ses déclarations, le tout dans un souci de cohérence juridique.

Ensuite, s’agissant de la légalité interne de la décision attaquée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. […] ».

Ledit article prévoit ainsi la « faculté » pour le ministre de reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances si celui-ci justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou encore s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans un autre pays conformément à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, disposition qui, quant à elle, dispose comme suit :

« L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

5 L’article 129 précité s’oppose ainsi à ce qu’un étranger soit éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH » ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention torture ».

Partant, une lecture combinée des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 amène le tribunal à retenir qu’au cas où l’étranger réussit à établir qu’il risque sa vie ou sa liberté dans le pays à destination duquel il sera éloigné ou qu’il y sera exposé à des traitements au sens des articles 3 de la CEDH et 1er et 3 de la Convention torture, le ministre est dans l’obligation de reporter l’éloignement, nonobstant le libellé de l’article 125bis qui exprime par l’utilisation du mot « peut » l’existence d’une simple faculté dans le chef du ministre1.

Il convient encore de relever que le report à l’éloignement constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant l’éloignement de l’étranger soumis à une obligation de quitter le territoire auront cessé, la charge de la preuve des raisons justifiant un report à l’éloignement incombant en principe au demandeur qui se prévaut des conditions de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.

Par ailleurs, les obstacles visés par le premier cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 doivent avoir trait aux modalités effectives du départ, voire de l’éloignement de l’intéressé du territoire luxembourgeois, telles que notamment la délivrance de documents de voyage valables et l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé, l’obstacle à l’éloignement en raison de la situation de sécurité dans le pays de destination étant, quant à lui, expressément prévu par le second cas de figure dudit article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement de l’intéressé si sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.

Force est de constater qu’encore que le demandeur affirme ne pas pouvoir quitter le territoire luxembourgeois pour des raisons indépendantes de sa volonté, son argumentation à travers laquelle il se prévaut exclusivement d’un risque de subir des mauvais traitements inhumains et contraires au sens de l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine en raison des situations humanitaire et sécuritaire qui y régneraient, a trait au cas de figure prévu à l’article 129 de la loi du 29 août 2008. En effet, le facteur matériel à la base de l’impossibilité de quitter le territoire doit être lié au séjour au Luxembourg et non pas à un éloignement vers un autre pays, cet aspect étant couvert par l’article 129 de la loi du 29 août 20082. Le premier cas de figure défini par l’article 125bis de la loi du 29 août 2008, à savoir celui relatif à l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de la volonté de la personne concernée, n’a donc pas à être examiné par le tribunal.

Il convient ensuite de relever que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008, proscrit la torture et les peines et traitements inhumains ou 1 Trib. adm. 14 novembre 2012, n°29750, Pas. adm. 2024, Etrangers, n° 811 et les autres références y citées.

2 Cour adm. 8 juin 2023, n°48697C, Pas. adm. 2024, Etrangers, n° 814.

6dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

C’est l’effectivité de la protection étatique requise par l’article 3 de la CEDH qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements proscrits. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

En ce qui concerne, en premier lieu, la crainte du demandeur d’être exposé à des traitement inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de retour au Venezuela en raison des conditions humanitaires qui y prévaudraient sur la toile de fond d’une crise politique et économique sévère, il convient de constater que le demandeur se base, dans ce contexte et afin d’illustrer l’état de l’économie vénézuélienne, sur un rapport, intitulé « Venezuela : l’urgence manifeste d’une solution politique et démocratique » du 8 octobre 2020, qui n’est pas versé au dossier, mais dont le demandeur fournit l’hyperlien afférent dans sa requête introductive d’instance en note de bas de page. Outre le fait que ce rapport date du mois d’octobre 2020 et est partant dépourvu de pertinence dans le cadre du présent recours dans la mesure où il ne reflète plus nécessairement la situation telle qu’elle existait au Venezuela au moment de la prise de la décision litigieuse par le ministre, à savoir le 14 décembre 2023, moment auquel le juge de l’annulation doit se placer pour exercer sa mission de contrôle, il y a lieu de relever que même à considérer, pour les besoins de la discussion, que ce rapport reflète toujours la situation économique au Venezuela au 14 décembre 2023, il n’en reste pas moins qu’il ne suffit pas d’invoquer des informations générales sur le pays d’origine, mais encore faut-il pour le moins les mettre en perspective avec sa situation personnelle, ce que le demandeur reste en tout état de cause en défaut de faire.

Dans ce même contexte, et à titre d’illustration de la situation humanitaire « désastreuse » au Venezuela, le demandeur invoque encore un « rapport sur le Venezuela » du mois de mars 2023 sans toutefois le verser au dossier ni en discuter le contenu pour le mettre en relation avec sa situation personnelle, se limitant là également à n’en indiquer que l’hyperlien correspondant en note de bas de page. En tout état de cause, la mise en avant de considérations générales et abstraites sur base d’informations générales relatives à la situation humanitaire existant au Venezuela ne saurait suffire pour établir que le demandeur a des raisons de craindre qu’il encoure un risque réel et sérieux d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en raison de la situation humanitaire régnant dans ce pays.

En ce qui concerne finalement les motifs avancés par le demandeur ayant trait à la situation sécuritaire au Venezuela, il y a lieu de constater que le demandeur cite, à ce sujet, des passages en langue anglaise d’un « rapport concernant le Venezuela pour des faits situés entre janvier 2020 et août 2023 » sans toutefois en indiquer la référence correspondante, de sorte que le tribunal est dans l’impossibilité de vérifier la source citée et d’y prendre utilement position. Par ailleurs, le demandeur reste de toute façon là encore en défaut d’établir un lien suffisamment objectif entre sa situation personnelle et la « recrudescence de la violence étatique dans un contexte de prochaines élections » dont il fait état et qui ne lui laisserait « aucune perspective d’établissement sûr au sein du territoire Vénézuélien », étant souligné 7que les passages cités3 par le demandeur semblent s’inscrire exclusivement dans « un contexte de prochaines élections » et visent a priori les opposants du régime en place, le demandeur n’ayant toutefois ni allégué, ni a fortiori établi – que ce soit dans le cadre de sa demande de protection internationale ou dans celui du présent recours sous analyse – qu’il serait un opposant du régime vénézuélien et qu’il risquerait, de ce fait, des menaces graves à sa vie ou à sa liberté ou des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH, rendant impossible son éloignement vers le Venezuela.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH, le tribunal n’estime pas qu’au jour de la prise de la décision déférée, le renvoi du demandeur au Venezuela ait, dans ces circonstances, été incompatible avec l’article 3 de la CEDH.

Il s’ensuit, au vu de l’ensemble de considérations qui précèdent, que le moyen tiré d’une violation par la décision litigieuse des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 12 juin 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 3 « […] previous efforts to quash dissent […] the State continues to have the capacity to resort to the "hardline" as a means to stifle dissent […] ».


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50202
Date de la décision : 12/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-12;50202 ?

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