Tribunal administratif N° 50128 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50128 1re chambre Inscrit le 1er mars 2024 Audience publique du 16 juin 2025 Recours formé par Madame (A1), …, et Madame (A2), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50128 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A1), née le … à … (Salvador), et de Madame (A2), née le … à … (Salvador), toutes les deux de nationalité salvadorienne et demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 13 février 2024 portant refus de faire droit à la demande de Madame (A1) en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 avril 2025.
Le 22 juin 2022, Madame (A1) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame (A1) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 15 novembre et 13 décembre 2022, Madame (A1) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
1 Par décision du 13 février 2024, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le 15 février 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Madame (A1) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite en date du 22 juin 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1) Quant à vos déclarations Madame (A1), vous déclarez être de nationalité salvadorienne, de confession … et avoir vécu de 2005 au 18 mai 2022 à … à … ensemble avec votre fille, Madame (A2), également de nationalité salvadorienne et de confession ….
Madame (A1), vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez que la mafia vous « tue » car vous auriez hébergé votre nièce (A3) à la suite de la plainte déposée par cette dernière contre son ex-conjoint (A4) pour agression sexuelle sur leur fille mineure (A5), dont quelques membres de la famille seraient membres de la bande organisée (X) (dénommée ci-après « (X) ») (p.8/12 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)).
À l’appui de votre demande de protection internationale, vous dites qu’à la suite de la plainte déposée par votre nièce, le CONNA (Consejo Nacional de la Nifiez y de la Adolescencia, Conseil national de l’enfance et de l’adolescence) aurait « dit qu’il fallait que la petite change d’endroit, c’est un déplacement forcé » (p.5/12 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)). Par conséquent, vous auriez hébergé votre nièce et sa fille (A5), car elles ne pouvaient pas retourner chez elles. Vous expliquez que votre nièce aurait subi des menaces de la part de son ex-belle-mère et de ses ex-belles-sœurs, dont les conjoints seraient des membres de la (X), dû à la plainte déposée contre son ex-conjoint. Vous dites que vous auriez à votre tour été victime de menaces entre novembre 2021 et mai 2022 qui seraient liées à la plainte déposée par votre nièce. Ainsi, vous avancez que vous auriez subi « des menaces de mort. Une persécution » (p.6/12 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)). Vous racontez que vous auriez été poursuivie par une voiture de couleur foncée tôt le matin lorsque vous vous rendiez au travail et que vous auriez entendu un son comme si quelqu’un avait pris une photo de vous.
Ensuite, vous expliquez que le lendemain vous auriez repéré une autre voiture, cette fois-ci blanche, qui vous aurait poursuivie jusqu’à la route principale.
Ensuite, vous avancez un deuxième incident ayant eu lieu le 23 décembre 2021 lors duquel vous auriez « vu un véhicule à 25 mètres dans la rue » lorsque vous seriez rentrée chez vous après avoir fait les achats pour le repas de noël et vous auriez « eu peur » (p.6/12 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)).
Vous racontez un autre incident qui se serait déroulé le 12 janvier 2022 lors duquel 2« une voiture [se serait] garée en face de la maison » (p.8/12 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)). Alors que vous auriez cru qu’il s’agissait de la voiture d’une amie de votre fille, Madame (A2), qui la ramenait à la maison après une sortie entre amies, il se serait avéré, après un échange de messages entre votre fille et votre nièce, qu’il ne s’agissait pas de la voiture de l’amie de votre fille. À la suite de ces événements, vous et votre fille auriez décidé de porter plainte, mais une fois à la « fiscalia », respectivement au bureau du procureur, on vous aurait dit que votre nièce (A3) devrait porter plainte.
En ce qui concerne les menaces de mort, vous évoquez un incident ayant eu lieu le 18 mai 2022 lors duquel quatre hommes vous auraient rendu visite chez vous et auraient demandé après vous. Selon vos dires ils se seraient identifiés comme étant des membres de la (X).
D’après vous, ils vous auraient demandé « … dollars par semaine pour la protection de [votre vie tout comme celle de votre fille] » parce que vous avez « aidé [votre nièce] (A3). Ils veulent se venger » (p.8/12 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)). Vous expliquez que l’ex-
conjoint de votre nièce habitait dans le secteur de la (X) et que dans ce même secteur les compagnons de vie des sœurs de (A4) auraient un lien avec la (X). Par conséquent, vous êtes d’avis qu’ils auraient cherché à se venger parce que vous auriez aidé votre nièce et sa fille (A5). Selon vous, il y aurait donc un lien entre le fait d’avoir aidé votre nièce (A3) et l’incident du 18 mai 2022. Ce même jour vous, votre fille, Madame (A2), votre nièce (A3) et sa fille (A5) seriez parties toutes les quatre chez votre frère. Le 20 mai 2022 vous dites avoir porté plainte sans pour autant donner de précisions sur les suites de l’enquête. Le 19 juin 2022 vous auriez quitté le Salvador en avion en passant par le Mexique et Francfort avant d’arriver en avion au Luxembourg le 21 juin 2022.
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- Votre passeport salvadorien Madame (A1), émis le … 2017 et expiré le … 2023, et votre carte d’identité salvadorienne, émise le … 2018 ;
- la copie d’un « Acta de denuncia » en langue espagnole sans traduction, du 2 août 2021;
- la copie d’un « Registro del estado familiar » en langue espagnole sans traduction, du … 2021;
- la copie du passeport de Madame (A3), émis le … 2021;
- une notification de la part de la « Unidade de Atención Especializada para la Mujer, Niñez, Adolescencia » en langue espagnole sans traduction, du 11 novembre 2021; la copie d’un « Acta de entrevista en calidade de victima » en langue espagnole sans traduction, du … 2022 ;
- trois copies du « Gado Tercero de Instrucción » en langue espagnole sans traduction, du … 2022, du … 2022 et du … 2022 ;
- une déclaration de la part du « Instituto salvadoreflo para ele desarrollo de la mujer » en langue espagnole sans traduction, du … 2022 ;
- une déclaration d’investigation en cours de la « Unidade de delitos contra la vida, Oficina fiscal de Santa Ana » en langue espagnole sans traduction, du … 2022 ;
- une autorisation de sortie du pays en langue espagnole sans traduction, du … 2022 ;
- la copie d’un « Acta de denuncia » en langue espagnole sans traduction, du … 2022.
Concernant les documents remis, il convient de souligner que selon l’article 10(5) de la Loi de 2015, tout document remis au ministre, à l’exception des documents d’identité, rédigé dans une autre langue que l’allemand, le français ou l’anglais doit être accompagné d’une 3traduction dans une de ces langues, afin d’être pris en considération dans l’examen de la demande de protection internationale. Comme vous n’avez fourni aucune traduction des documents mentionnés ci-dessus ceux-ci ne seront pas pris en compte lors de l’examen de votre demande.
2) Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Madame il ressort de l’évaluation de vos motifs de fuite que vos prétendus problèmes rencontrés au Salvador et vos craintes en découlant ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, texte qui prévoit une protecton à toute personne persécutée ou à risque d’être persécutée sur base d’un des cinq motifs de fond précités.
En effet, en se basant sur votre récit Madame (A1), vous auriez été visée par des membres de la (X) qui auraient été envoyés par la famille de l’ex-conjoint de votre nièce à la suite de sa plainte déposée contre ce dernier alors qu’il aurait agressé sexuellement leur fille (A5).
Partant, il n’est aucunement établi que vos prétendues craintes seraient liées à l’un des cinq motifs de fond prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social. Il y a ainsi lieu de relever que vos craintes ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.
4Madame, force est de constater qu’en dehors des poursuites en voiture, de la tentative d’extorsion et les menaces de mort associées, il ne vous serait jamais rien arrivé, respectivement vous n’auriez pas été agressée et vous ne faites pas état de quelconques atteintes à votre intégrité physique. Ce fait étant relayé par vos dires selon lesquels les autorités salvadoriennes auraient dit lors du moment de la plainte « [que vous n’aviez] pas d’égratignures » (p.5/11 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)) et « [que vous n’étiez] pas blessées » (p.5/11 de votre rapport d’entretien, Madame (A2)). Par conséquence, les menaces que vous auriez subies, certes extrêmement condamnables, n’équivalent pas, au vu de leur manque de gravité, à un acte de persécution, tel que prévu par les textes précités.
Par ailleurs, tenant compte des poursuites en voiture, de la tentative d’extorsion et des menaces de mort associées, et de la plainte déposée par votre nièce (A3) contre son ex-conjoint, force est de constater que le lien entre ces actes reste purement hypothétique. En effet, à la question comment vous saviez que lors des poursuites ces voitures avaient un lien avec vous, vous répondez que vous le sentiez. De plus, vous dites ne pas avoir été en mesure d’identifier les personnes qui se trouvaient dans ces voitures. A la remarque faite par l’agent du Ministère pendant l’entretien que le lien entre l’histoire de votre nièce (A3) et l’extorsion par la (X) n’est pas claire, vous répondez « l’histoire de l’argent même moi je ne sais pas. Ils voulaient en tirer bénéfice. » (p.8/11 de votre rapport d’entretien, Madame (A1)). Par conséquent, il convient de ne pas exclure l’éventualité qu’il s’agirait ici de simples coïncidences et que la tentative d’extorsion de la (X) ne soit donc pas liée à l’histoire de votre nièce (A3). Force est donc de constater que le lien de causalité entre le motif - à savoir la plainte déposée par votre nièce contre son ex-conjoint - et les faits dont vous vous prétendez être victime - à savoir les poursuites de voiture, la tentative d’extorsion et les menaces de morts - doit être perçu comme étant hypothétique.
En outre, les premiers incidents ayant eu lieu entre novembre 2021 et janvier 2022, vous ne décidez de quitter le Salvador qu’en juin 2022, à savoir six à sept mois après ces incidents. Partant, une telle réaction tardive de votre part prouve que la gravité des motifs de fuite est moindre que ce que vous prétendez faire croire aux autorités luxembourgeoises pour vous faire octroyer une protection internationale. Force est de constater que vous n’auriez vous-même vraisemblablement pas estimé que les poursuites, cette tentative d’extorsion et les menaces de mort associées auraient été suffisamment graves, ou à percevoir comme étant sérieuses, étant donné que vous auriez encore vécu plusieurs mois dans votre pays d’origine après le premier incident en novembre 2021. En effet, il sied de relever que vous n’auriez visiblement entrepris aucune mesure de précaution après janvier 2022 puisque vous auriez poursuivi votre train de vie quotidien, hormis le fait que vous tout comme votre fille, votre nièce et sa fille, vous seriez supposément cachées chez votre frère en mai 2022 jusqu’à votre départ.
Partant, au vu du caractère hypothétique du lien entre le motif et les faits dont vous dites avoir été victime, et du manque de gravité manifeste, les menaces ne sauraient être perçues comme des actes de persécution tels que définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.
Quand bien même la gravité des prétendues craintes serait établie, il ressort de vos déclarations que les personnes vous ayant menacé seraient des membres de la bande organisée (X) envoyés par la famille de l’ex-conjoint de votre nièce (A3).
Renseignement pris, le (X), une organisation criminelle ayant ses origines à …, a vu 5son expansion au Salvador à la suite du lancement de la part du gouvernement américain d’un programme d’expulsion de résidents nés à l’étranger reconnus coupables de divers crimes qui « […]vastly increased the number of gang members being sent home to …, …, …, and elsewhere ». Alors que les pays d’Amérique latine, dont le Salvador, n’étaient pas prêts pour accueillir autant de criminels, ces pays ont connu une croissance virulente de la bande organisée (X).
Alors qu’au début des années 2000 le Salvador ne parvenait pas à faire face à la bande organisée, en 2016, « the government launched a series of "extraordinary measures" to aggressively crack down on the (X) and the country’s other gangs ». Par conséquent, la lutte entre d’un côté les forces de sécurité salvadoriennes et de l’autre côté le (X) et le Barrio 18 « began to resemble a low-intensity conflict » lors duquel les deux gangs « aligned against a government bent on destroying them ». A la suite de cette guerre de faible intensité entre les forces de sécurité et le (X), ce dernier a subi de grandes pertes ce qui a engendré une baisse de la violence. Depuis l’élection du Président Bukele en 2019, son administration « launched a historic crackdown, implementing a state of emergency (régimen de excepción) that has, for the past 20 months, given his government almost free rein in its war against the gangs ».
Il convient de noter à cet égard, que depuis 2016 le gouvernement salvadorien s’est efforcé de combattre le (X), notamment à travers l’état d’urgence déclaré en 2019 par le Président Bukele qui a produit un changement extraordinaire dans le pays. En effet, la répression menée par le président a vu plus de 64 000 personnes emprisonnées et a considérablement réduit le taux de meurtres au Salvador. Les autorités salvadoriennes ne restent donc manifestement pas inactives face aux agissements de groupes armés, et en premier lieu du (X). Par conséquent, un lien entre l’Etat salvadorien et le (X) n’est pas établi. Les membres du (X) peuvent ainsi être qualifiés comme étant des personnes privées agissant de façon indépendante de l’Etat salvadorien.
S’agissant d’actes qui auraient été perpétrés ou qui seraient perpétrés par des personnes privées, une persécution commise par des acteurs sans lien avec l’État peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités du pays d’origine. Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce, alors qu’il ressort de vos dires et des documents versés, Madame, que tant votre nièce tout comme vous et votre fille vous auriez porté plainte à plusieurs reprises. Lors de la première plainte déposée par votre nièce, son ex-conjoint aurait été arrêté le 4 août 2021 et d’après vos déclarations il serait encore détenu à ce jour en prison.
A la suite de la plainte portée par votre nièce en janvier, un détective lui aurait été attribué.
Suivant l’incident du 18 mai 2022 lors duquel quatre hommes seraient venus chez vous pour extorquer de l’argent en contrepartie de votre protection et celle de votre fille, vous dites avoir déposé une plainte. Sachant que vous avez portée plainte le 20 mai 2022 et que vous avez quitté le Salvador le 19 juin 2022, il n’est par conséquent nullement établi que les autorités n’auraient pas pu ou pas voulu vous aider ou vous offrir une protection, respectivement, qu’elles n’auraient pas déjà entretemps arrêté vos prétendus extorqueurs à la suite de la plainte déposée.
Partant, tenant compte du fait qu’il s’agit d’actes commis par des personnes privées et que les autorités salvadoriennes ont pris en compte vos plaintes tout comme mis un détective à disposition de votre nièce (A3), il y a lieu de conclure que l’Etat salvadorien est en mesure de veiller à votre protection.
Enfin, à toutes fins utiles, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la 6commission d’actes de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Madame, il y a lieu de souligner qu’à l’appui de votre demande de protection subsidiaire, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié. Au vu des conclusions ci-dessus, il y a de même, lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Salvador, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou vôtre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
7 Vos seules allégations selon lesquelles vous craindriez de vous trouver dans le collimateur du (X), ne permet en tout cas pas de se départir de ce constat, respectivement, doit être perçue comme étant hypothétique ou infondée.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Salvador, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisées à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2024, Madame (A1) et Madame (A2) ont fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 13 février 2024 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale dans le chef de Madame (A1) et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
A l’audience publique du 2 avril 2025, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH a informé le tribunal administratif que Madame (A2) renonce à son recours portant le numéro 50128 du rôle.
Il y a lieu de lui en donner acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 13 février 2024 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Madame (A1) Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 13 février 2024, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, Madame (A1) expose en substance les faits et rétroactes repris ci-avant et explique qu’elle aurait été contrainte d’héberger sa nièce, Madame (A3) et la fille mineure de cette dernière, suite au dépôt d’une plainte pénale pour agressions sexuelles sur sa fille mineure contre le père de l’enfant, raison pour laquelle celle-ci aurait été dans le collimateur des membres du groupe criminel dénommé (X).
En droit, et quant à la demande d’octroi du statut de réfugié, la demanderesse, en se référant à l’article 1A de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, ci-après désignée par la « Convention de Genève », et à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE » du 16 janvier 2024, numéro C-621/21 du rôle, fait valoir qu’elle ferait partie d’un 8certain groupe social au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où elle serait victime indirecte de violences liées au genre commises à l’encontre de sa nièce et la fille mineure de celle-ci.
Par ailleurs, la demanderesse soulève l’inefficacité et l’inexistence des mesures de protection au Salvador contre les agissements des membres de l’organisation criminelle (X).
La demanderesse conclut à (i) l’absence de la volonté des autorités salvadoriennes de protéger les femmes victimes de violences en raison de la corruption y régnant en renvoyant à cet égard à un rapport international, ainsi qu’à (ii) l’incapacité des autorités salvadoriennes de lui offrir une protection adéquate. La demanderesse précise, dans ce contexte, que le Salvador ne disposerait pas d’infrastructures et de moyens nécessaires pour garantir un procès équitable et un recours effectif tels que prévus aux articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH ». A cet égard, elle souligne, en renvoyant à un article de presse publié sur internet, que le système judiciaire salvadorien ne serait de manière générale ni indépendant ni impartial et que le délai raisonnable n’aurait pas été respecté suite à la plainte pénale pour violences sexuelles à l’encontre de la fille mineure de sa nièce, étant donné qu’une période de plus d’un an se serait écoulée sans qu’aucune audience n’ait été tenue. Elle considère encore que les poursuites engagées à l’encontre du père de la fille mineure de sa nièce seraient inefficaces, dans la mesure où ce dernier aurait été en liberté au Salvador au moment de l’introduction du présent recours.
La demanderesse fait ensuite valoir qu’elle remplirait les conditions de l’article 42 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en ce que la gravité et la récurrence des faits invoqués justifieraient à suffisance sa crainte de subir de telles persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.
A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, qui seraient à qualifier de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 3 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal En vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 92 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 10et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’octroi du statut de réfugié qu’à celle visant d’obtenir la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine 11aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal est encore amené à rappeler qu’en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, il doit examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur de protection internationale et vérifier, concrètement, si sa situation subjective a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce, le tribunal constate que la demanderesse a déclaré avoir quitté le Salvador en raison (i) des persécutions et atteintes graves subies par sa nièce, Madame (A3), (ii) des incidents lors desquels des voitures l’ont suivie, ainsi que (iii) d’un acte d’extorsion accompagné de menaces en date du 18 mai 2022.
En ce qui concerne tout d’abord les faits non personnels mais vécus par sa nièce et indépendamment de la question de savoir si la demanderesse a établi dans son chef un risque d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières1, le tribunal constate que dans son jugement du 16 juin 2025, inscrit sous le numéro 50068 du rôle, il a été retenu que Madame (A3), ainsi que sa fille mineure (A5) peuvent se prévaloir d’une protection adéquate au Salvador contre les agissements dont elles ont été victimes.
Dans la mesure où la demanderesse invoque les mêmes faits pour conclure à un risque de persécution ou d’atteinte grave dans son propre chef, c’est pour les mêmes raisons que lesdits faits ne sauraient pas davantage justifier dans son chef l’octroi d’un statut de protection internationale.
En ce qui concerne ensuite les faits personnels vécus par la demanderesse, le tribunal relève que les auteurs des persécutions, respectivement des atteintes graves invoquées par la demanderesse sont des membres de la (X), qui sont sans lien avec l’Etat salvadorien, de sorte qu’un statut de protection internationale ne saurait être accordé à la demanderesse qu’à condition qu’elle rapporte la preuve que les autorités salvadoriennes ne sont pas capables, respectivement pas disposées à fournir à elle une protection suffisante contre les menaces qu’elle a subies, ce qu’elle reste en défaut d’établir en l’espèce.
En effet, la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est celle de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur de protection internationale doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou pas disposées à lui fournir une protection suffisante.
Chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, elle n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut 1 Trib. adm. 10 janvier 2011, n° 27191 du rôle, Pas. adm. 2024 V° Etrangers, n° 197 et l’autre référence y citée.
12que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte2.
Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exige par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves. Cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés des structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux3.
Le tribunal relève que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion4.
En l’espèce, en ce qui concerne d’abord les différents incidents lors desquels la demanderesse a été suivie par des voitures appartenant à des membres inconnus de la (X), il ressort de son entretien auprès du ministère que, suite à ces événements, elle s’est rendue à la « fiscalia » pour déposer une plainte et que les agents étatiques ont demandé le nom et l’adresse des membres de la (X) et ont encore constaté qu’il n’y avait pas de blessés5. Il ressort également de l’entretien de la demanderesse auprès du ministère que lesdits agents se sont renseignés sur les circonstances des incidents et ont conclu que « dans ce cas c’est (A3) qui devait porter plainte »6. Il ressort ensuite des déclarations de la demanderesse que sa nièce a effectivement déposé une plainte, celle-ci ayant, en effet, déclaré que : « elle y est allée un lundi. Elle a dû aller à une unité d’investigation, quelqu’un allait être désigné. Mais on lui a dit que ce ne serait pas si simple »7.
Au vu des constatations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que les autorités salvadoriennes sont intervenues pour diligenter des mesures d’instruction, ce qui témoigne de la disponibilité et d’une certaine efficacité desdites autorités, de sorte que la demanderesse reste en défaut de démontrer que son pays d’origine ne peut ou ne veut pas lui accorder une protection adéquate.
En ce qui concerne ensuite l’extorsion et les menaces y relatives du 18 mai 2022 de la part des membres de la (X), la demanderesse a déclaré auprès du ministère qu’elle a porté 2 Cour adm. 12 décembre 2019, n° 43660C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 163 et les autres références y citées.
3 En ce sens : trib. adm., 25 janvier 2023, n° 46257 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
4 Ibid.
5 Rapport d’entretien, page 7.
6 Rapport d’entretien, pages 7 et 8.
7 Rapport d’entretien, page 9.
13plainte le 20 mai 20228 contre ces agissements et que : « […] on a été reçu par un inspecteur, il a dit qu’il allait envoyer quelqu’un pour faire des recherches. Qu’ils allaient nous appeler pour envoyer cette personne, mais que cela n’est jamais arrivé […] »9.
Il en ressort que les autorités salvadoriennes étaient disposées à lui offrir une protection contre les agissements dont elle a fait état dans le cadre de son entretien auprès du ministère, étant souligné que la demanderesse n’a pas attendu l’issue de sa plainte, mais a quitté le Salvador le mois suivant son dépôt, de sorte qu’elle est malvenue de reprocher aux autorités salvadoriennes de ne pas avoir réagi et ne saurait dès lors prétendre à une absence de protection adéquate des autorités salvadoriennes.
Il s’ensuit que la demanderesse n’a pas établi un défaut de protection de la part des autorités étatiques de son pays d’origine. Dans ce contexte, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande, formulée au dispositif de la requête introductive d’instance, de voir « […] [d]ésigner un organisme indépendant capable d’évaluer la capacité de l’Etat salvadorien à protéger effectivement ses citoyens vulnérables et sensibles […] », étant donné qu’une mesure d’instruction ne peut en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention d’un statut de protection internationale, étant rappelé que s’agissant de conditions cumulatives il suffit que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie pour conclure que la demanderesse ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de Madame (A1) est à déclarer non fondé en son double volet.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 13 février 2024 portant ordre de quitter le territoire dans le chef de Madame (A1) Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 13 février 2024 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Moyens et arguments des parties La demanderesse sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en ce qu’il entraînerait pour elle un risque réel de subir des atteintes graves au sens des articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015.
En outre, elle estime que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé pour violer, de façon autonome, l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », et l’article 3 de la 8 Rapport d’entretien, page 7.
9 Idem.
14CEDH. En effet, même si le tribunal devait rejeter sa demande de protection internationale, la demanderesse risquerait d’être exposée à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour au Salvador. Elle fait encore valoir que l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 interdirait justement l’éloignement d’un demandeur de protection internationale dès lors qu’il existerait un tel risque.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal Il résulte des termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015 qu’« une décision du ministre vaut décision de retour […] » et en vertu de l’article 2 q) de la même loi, la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Bien que le législateur n’ait pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre en matière de protection internationale.
Il s’ensuit que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à la demanderesse l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre a a priori valablement pu assortir sa décision de refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008 – qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34 (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 –, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à son article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte qu’il existe a fortiori un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants. Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque 15notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que la demanderesse ne remplit pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que cette dernière ne peut pas être considérée comme étant exposée à des actes de persécution, respectivement à des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine, le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH10, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la demanderesse dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que les moyens tirés d’une violation dudit article 3 de la CEDH et de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourent le rejet.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
donne acte à Madame (A2) qu’elle renonce au recours introduit en son nom en date du 1er mars 2024 sous le numéro 50128 du rôle ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit par Madame (A1) à l’encontre de la décision ministérielle du 13 février 2024 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit par Madame (A1) à l’encontre de la décision ministérielle du 13 février 2024 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande de voir « […] [d]ésigner un organisme indépendant capable d’évaluer la capacité de l’Etat salvadorien à protéger effectivement ses citoyens vulnérables et sensibles […] » ;
condamne Madame (A1) aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 juin 2025 par :
Michèle STOFFEL, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, 10 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, point 59.
16 en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Michèle STOFFEL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 17