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16/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52855

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juin 2025, 52855


Tribunal administratif N° 52855 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52855 5e chambre Inscrit le 14 mai 2025 Audience publique extraordinaire 16 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52855 du rôle et déposée le 14 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par la société à responsa

bilité limitée NCS AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-8080 Bertrange...

Tribunal administratif N° 52855 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52855 5e chambre Inscrit le 14 mai 2025 Audience publique extraordinaire 16 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52855 du rôle et déposée le 14 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NCS AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-8080 Bertrange, 89, route de Longwy, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B225706, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Aline CONDROTTE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Guinée) et être de nationalité guinéenne, actuellement assigné à la maison de retour sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 29 avril 2025 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 juin 2025, Maître Aline CONDROTTE s’étant excusée.

Le 12 mars 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci - après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur l’identité et l’itinéraire suivi par lui pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à cette occasion par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait introduit une demande de protection internationale en France, en date du 29 décembre 2020.

Le 31 mars 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 1er avril 2025, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises en vue de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III. A défaut par les autorités françaises de répondre à ladite demande, les autorités luxembourgeoises les contactèrent par courrier du 17 avril 2025 pour les informer qu’elles considéraient la France comme ayant tacitement accepté la reprise en charge de l’intéressé en date du 16 avril 2025, en application de l’article 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III. La demande de reprise en charge du demandeur fut ensuite formellement acceptée en date du 18 avril 2025 par les autorités françaises sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par décision du 29 avril 2025, notifiée le lendemain en mains propres à l’intéressé, le ministre informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 12 mars 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 25(2) et 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 12 mars 2025 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 31 mars 2025.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 12 mars 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

2 La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 29 décembre 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 31 mars 2025.

Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 1er avril 2025, demande qui fut acceptée tacitement par lesdites autorités françaises en date du 16 avril 2025.

Le 18 avril 2025, les autorités françaises ont confirmé leur responsabilité en envoyant un accord explicite, basé sur l’article 18(1)d, incluant les modalités pour votre transfert en France.

2.

Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

La responsabilité de la France est acquise suivant l’article 25(2) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux semaines équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3 3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 29 décembre 2020.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine le … 2015 en direction du Mali. Au Mali, vous auriez séjourné … mois avant de partir en Algérie en passant par le … . En Algérie, vous auriez vécu pendant … ans. En 2019, vous auriez décidé de partir en Libye pendant quelques mois mais vous auriez finalement décidé de retourner en Algérie. Vous seriez ensuite parti au Maroc pendant … mois. De là, vous auriez pris une embarcation clandestine en direction de l’France. Vous déclarez avoir vécu pendant … mois à … . En décembre 2020, vous auriez rejoint la France et vous auriez vécu à … jusqu’en 2022. Début 2022, vous seriez venu au Luxembourg et vous avez été emprisonné de … 2022 jusqu’en … 2023. A votre sortie de prison en … 2023, vous auriez trouvé du travail dans un centre commercial au Luxembourg.

Le … 2024, vous avez été arrêté à nouveau et emprisonné jusqu’au … 2025. A votre sortie, vous auriez essayé de chercher du travail. En date du 12 mars 2025, vous décidez d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 31 mars 2024, vous avez mentionné que vous souffririez de l’hépatite B, ainsi que de douleurs lombaires. Il y a cependant lieu de soulever que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. Torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

4 En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions belges, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du 5 transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 29 avril 2025.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche tout d’abord au ministre d’avoir refusé l’application de l’article 17 du règlement Dublin III, dont il cite les dispositions, en faisant valoir que ce dernier n’aurait pas tenu compte de sa situation particulière qui serait caractérisée tant par son parcours pour arriver au Luxembourg, lequel l’aurait conduit de la Guinée, vers le …, …, …, …, …, …, la France et finalement le Luxembourg, que par son état de santé puisqu’il souffrirait d’une hépatite B ainsi que de douleurs lombaires.

A son avis il semblerait « judicieux » de solliciter un examen approfondi des motifs à la base de sa demande de protection internationale au vu de son parcours et du fait que sa situation relèverait « d’un cas humanitaire compte tenu de son état de santé ».

Il soutient ensuite que l’application de l’article 17 du règlement Dublin III relèverait du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et que ladite disposition conférerait un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres. Tout en se référant à la jurisprudence des juridictions administratives en la matière, le demandeur fait valoir que l’article 17 du règlement Dublin III trouverait application dans des situations particulières, notamment humanitaires, tel que ce serait le cas en l’espèce. A cet égard, il insiste sur ses problèmes de santé.

Il soutient enfin qu’en cas de transfert vers l’France, il existerait de sérieux risques que son état de santé se dégrade fortement compte tenu des défaillances systémiques dans les conditions d’accueil les demandeurs de protection internationale en France.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la décision déférée serait à réformer.

En deuxième lieu, le demandeur reproche au ministre une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

Le demandeur se réfère dans ce contexte à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, ainsi que à deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », des 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, et 19 mars 2019, Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, pour affirmer que l’article 4 de laCharte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », devrait être interprété en ce sens que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne pourrait être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert ait pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article. Or, selon le demandeur, les conditions d’accueil et de vie des demandeurs de protection internationale seraient déplorables en France, à tel point que des défaillances systémiques existeraient dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, impliquant des risques de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

Le demandeur conclut qu’un transfert vers la France constituerait une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », et 4 de la Charte, ce d’autant plus qu’il existerait des doutes quant aux capacités des autorités françaises à l’accueillir et à lui fournir les soins nécessaires.

En dernier lieu, le demandeur insiste à nouveau sur son état de santé et, plus particulièrement, sur le fait qu’il serait atteint d’une hépatite B et qu’il souffrirait de douleurs lombaires de sorte que sa situation serait d’une extrême gravité et exceptionnelle. Il rappelle qu’au vu de son état de santé et de l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, le Luxembourg devrait, à son avis, se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale nonobstant le fait que la France serait l’état membre responsable de sa demande Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal relève que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que. « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour reprendre en charge les demandeurs, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l’hypothèse où le ressortissant de pays tiers ou l’apatride concerné a vu rejeter sa demande de protection internationale et a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait la France où l’intéressé a de manière non contestée déposé une demande de protection internationale et que les autorités françaises ont accepté sa reprise en charge le 18 avril 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

D’ailleurs, le tribunal relève que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la France, ni, par conséquent, l’incompétence des autorités luxembourgeoises, mais qu’il considère que son transfert en France l’exposerait, notamment en raison de son état de santé, à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants dans ce pays, et qu’il invoque, à cet effet et en substance, une violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Il convient, à cet égard, de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit :

« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membreinitialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH -, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre1.

A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève » et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter, en l’espèce, par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, le demandeur estime que les défaillances systémiques graves en France résulteraient des « conditions d’accueil et de la procédure des demandeurs de protection internationale en France ». Il exprime plus particulièrement des doutes quant à la capacité de la France de l’accueillir et de l’héberger.

Le tribunal se doit, à cet égard, de constater (i) que le demandeur n’a, d’après ses propres explications, plus la qualité de demandeur de protection internationale alors que sa demande de protection internationale introduite en France a été rejetée12, de sorte qu’il ne saurait se prévaloir de l’existence de prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans ce pays pour contester son transfert vers celui-ci, et (ii) que de toute façon, lors de son entretien Dublin III, il n’a fait état ni d’agissements qu’il aurait personnellement subis de la part des autorités françaises lors du traitement de sa demande de protection internationale permettant d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence dans ledit pays de défaillances systémiques, ni d’un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibid., pt. 92.

11 Ibid., pt. 93.

12 Rapport d’audition du 31 mars 2025, page 5.

Ce constat n’est pas ébranlé par les articles de presse versés en cause par le demandeur, à savoir, premièrement un article rédigé par le directeur du « Jesuit Refugiee Service », publié le 31 mai 2024 et intitulé « Demandeurs d’asile : « Derrière les « défaillances systémiques » du dispositif d’accueil français, il y a un refus d’adopter des solutions pragmatiques » et deuxièmement un article rédigé par la Fédération des acteurs de la solidarité, Île de France, du 7 mai 2025, intitulé « Asile, Réfugiés.e.s, Droits des Etranger.ère.s ». Force est, en effet, de constater par rapport au premier des deux articles de presse que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement affirme que si ledit article renvoie à un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge, cette référence n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné que les juridictions administratives ne sont pas tenues par des jurisprudences de juridictions nationales étrangères.

De même, le demandeur se limite à renvoyer audit article, de sorte que le délégué du gouvernement affirme à juste titre que le demandeur resterait en défaut de faire état d’un quelconque lien entre la situation décrite dans ledit article et sa propre situation. Concernant le second article de presse auquel le demandeur renvoie, il échet de constater qu’il se limite à décrire de manière générale et non circonstanciée les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’accueil en France. Si ledit article dénonce certaines difficultés dans lesdites procédures d’accueil, il précise toutefois que ces difficultés ne se présenteraient que dans 50% des cas des demandeurs de protection internationale et, surtout, il se limite à faire état de difficultés sans soulever des défaillances présentant un caractère systémique dans la procédure d’accueil des demandeurs de protection internationale en France. Enfin, le demandeur reste, par rapport à ce deuxième article de presse, également en défaut d’établir un quelconque lien entre la situation décrite dans le cadre de l’article de presse cité et sa situation personnelle.

Le tribunal relève encore qu’outre de ne pas fournir de précisions quant à la situation des personnes transférées en France dans le cadre du règlement Dublin III, le demandeur n’invoque pas non plus une jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR »). Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant du UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France de demandeurs de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le demandeur reste, en tout état de cause, en défaut de rapporter la preuve que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en France ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en France aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore rappelé que la France est signataire de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions. Le demandeur reste, par ailleurs, en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités françaises n’auraient pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas eu, respectivement n’aurait pas accès à la justice française pour, le cas échéant, faire valoir ses droits.

A cela s’ajoute que, même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder au système d’aide français - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents français -, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates.

S’agissant plus particulièrement de l’affirmation du demandeur suivant laquelle il existerait de sérieux risques que son état de santé se dégrade fortement en cas de transfert vers la France compte tenu des défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, force est de constater que celle-ci est à rejeter.

A titre liminaire, le tribunal constate dans ce contexte que le demandeur n’a versé à l’appui de son recours et préalablement à la lecture par le juge rapporteur du rapport à l’audience publique des plaidoiries aucun document à l’appui de son affirmation selon laquelle il serait atteint d’une hépatite B. Ce n’est qu’après la prise en délibéré par le tribunal de l’affaire, le 4 juin 2025, et en cours de délibéré, plus précisément par courrier électronique du 10 juin 2025 que le demandeur a fait transmettre au tribunal des documents censés établir qu’il souffrirait d’une hépatite B.

Or, aux termes de l’article 8, paragraphe (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : « Toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal. ». Cette disposition s’inscrit évidemment dans le souci de garantir le respect du principe du contradictoire et de permettre à l’une des parties de prendre connaissance avant l’audience des plaidoiries des documents soumis au tribunal par l’autre partie afin de pouvoir y prendre utilement position lors de ladite audience.

Concrètement, en l’espèce, il suit de cette disposition que les documents soumis au tribunal par le demandeur après la prise en délibéré de l’affaire par le tribunal à l’audience publique des plaidoiries sont à écarter des débats. Dès lors, à défaut par le demandeur d’avoir soumis au tribunal un quelconque document relatif à son état de santé, sinon à l’appui de son affirmation selon laquelle la gravité de son état de santé serait telle qu’un transfert vers la France aurait des conséquences significatives et irrémédiables sur ce dernier, l’argumentation afférente est à rejeter pour ne constituer qu’une simple allégation.

Au-delà de cette considération et à titre purement superfétatoire, le tribunal constate qu’en tout état de cause les documents lui soumis par courrier électronique du 10 juin 2025 ne constituent que des résultats d’analyses sanguines dépourvus de tout commentaire, voire de toute explication d’un médecin, relatifs à leur signification pour l’état de santé général du demandeur, voire, le cas échéant relatifs à la nécessité pour le demandeur de suivre d’éventuels traitements médicaux.

Il ne ressort, par ailleurs, d’aucun élément soumis au tribunal que le demandeur ferait, à l’heure actuelle, l’objet d’un quelconque traitement médical.

De surcroît, même à admettre, pour les besoins de la discussion, que l’état de santé du demandeur requerrait un traitement médical, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le concerné ne pourrait pas bénéficier en France du traitement dont il pourrait avoir besoin, ce dernier ne versant pas non plus un quelconque élément de nature à établir des défaillances dans le système de santé français, voire une impossibilité quelconque d’accès des demandeurs de protection internationale aux soins médicaux en France.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient dans son chef un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.

Néanmoins, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements de l’Union européenne, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu, même en l’absence de défaillances systémiques dans un Etat membre, que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable13.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte14, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant15.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, le sexe, l’âge et l’état de santé de l’intéressé16.

En ce qui concerne plus particulièrement les problèmes de santé mis en avant par le demandeur, il échet tout d’abord de relever qu’il ne se dégage pas de l’arrêt précité de la CJUE du 16 février 2017 que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

A cet égard, le tribunal relève que dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat 13 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, pt. 103 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts 65 et 96.

15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, pt. 88.

16 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, pt. 94 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09, pt. 219.membre responsable, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Accueil », sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats »17. Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […]18 ». Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] »19.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée20.

Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements du demandeur à cet égard, de vérifier si son état de santé présente une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et 17 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 70.

18 Ibidem, pts. 74 et 75.

19 Ibidem, pt. 96.

20 Ibidem, point 83.dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH21.

Or, bien que le demandeur affirme qu’il souffrirait d’une hépatite B, le tribunal rappelle qu’aucun des certificats médicaux respectivement analyses médicales, ni aucun autre élément soumis à son appréciation ne permet de conclure à une gravité particulière de son état de santé faisant de lui une personne à risque. Il ne ressort en outre d’aucun élément du dossier qu’un transfert du concerné vers la France pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers la France, ce dernier ne faisant d’ailleurs, à défaut d’éléments contraires soumis à l’analyse du tribunal, l’objet d’aucun traitement médical.

Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en France des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.

Si le demandeur s’appuie sur un article intitulé « Hépatite B : causes, symptômes, diagnostic et traitements », mis à jour le 15 avril 2024 sur le site internet « Doctissimo », duquel il ressortirait que l’hépatite B serait considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé comme un problème majeur de santé publique, il convient de relever que le demandeur se limite à citer de façon théorique et abstraite cet article sans le mettre en relation avec sa situation personnelle et plus particulièrement d’établir qu’il n’aurait pas accès en France aux traitements nécessités pour soigner ladite maladie.

Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière s’opposant à son transfert vers l’France.

Il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la France par le biais de la communication aux autorités françaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Pour le surplus, il convient de rappeler que si le demandeur devait estimer que le système d’asile français était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement 21 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système français n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ainsi que de la directive Accueil directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates.

Il convient ensuite de rappeler que la France respecte a priori - le demandeur ne fournissant en tout cas aucun indice tangible permettant au tribunal d’en douter - en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, les droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention contre la torture, ainsi que, plus particulièrement, le principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et que la France dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés, le règlement Dublin III qualifiant d’ailleurs explicitement, en son considérant 3, les Etats membres comme pays sûrs respectant le principe de non-

refoulement (« À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers »). Ainsi, le demandeur pourrait encore le cas échéant se prévaloir des risques prétendument encourus dans son pays d’origine devant la justice française afin d’éviter son éloignement.

Par ailleurs, il n’appert pas non plus que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only ») : le règlement Dublin III cherchant en effet à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

A cela s’ajoute que, si par impossible les autorités françaises devaient quand même décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation du principe de non-

refoulement, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises compétentes en usant des voies de droit adéquates22. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités françaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la France, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

22 Voir article 26 de la directive Accueil.

En ce qui concerne finalement le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres23, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt de la CJUE du 16 février 201724.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge25, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration26.

En l’espèce, le demandeur affirme que sa situation serait particulière et relèverait « d’un cas humanitaire » en raison de ses problèmes de santé.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant que cet argumentaire ne permettait pas de conclure que son transfert vers l’France était contraire aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et que d’autres considérations n’ont pas été mises en avant par le demandeur sous cet aspect pour infirmer le constat afférent du tribunal, celui-ci conclut qu’il n’est pas non plus établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.

Il s’ensuit que le tribunal retient que les motifs invoqués par le demandeur ne sauraient s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférant encourt le rejet.

Au vu de ce qui précède, et en l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

23 CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, affaires jointes nos C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 65.

24CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

25 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.

26 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 12 (2e volet) et les autres références y citées.Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 16 juin 2025 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Benoît HUPPERICH, premier juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 52855
Date de la décision : 16/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-16;52855 ?

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