Tribunal administratif N° 51997a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:51997a 3e chambre Inscrit le 25 novembre 2024 Audience publique du 17 juin 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51997 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 13 novembre 2024 de statuer sur le bien-
fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus d’octroi d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 décembre 2024 ;
Vu le jugement du 17 décembre 2024, inscrit sous le numéro 51997 du rôle, rendu par le premier juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal, renvoyant l’affaire devant la formation collégiale de la troisième chambre du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er avril 2024.
Le 16 septembre 2022, les parents de Madame (A), alors mineure d’âge, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, tant en leur nom personnel qu’en son nom et pour son compte, ainsi que de celui de son frère et ses deux sœurs, également mineurs, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 », les six étant ci-
après désignés par les « consorts (A) ».
Le même jour, le père de (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une 1recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC, que les consorts (A) avaient franchi irrégulièrement la frontière croate le 4 septembre 2022 et introduit une demande de protection internationale en Croatie à la même date.
Le 20 septembre 2022, les parents de (A) furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 27 septembre 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues croates une demande de reprise en charge des consorts (A) basée sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités croates en date du 11 octobre 2022, sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.
Par décision du 23 février 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa les consorts (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner leur demande de protection internationale et de les transférer dans les meilleurs délais vers la Croatie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.
Le recours contentieux introduit par les consorts (A) contre ladite décision ministérielle de transfert fut définitivement rejeté par un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2023, inscrit sous le numéro 48682 du rôle.
Une première tentative de transfert des consorts (A) vers la Croatie fut organisée pour le 26 juillet 2023, laquelle échoua cependant en raison de la disparition de (A) du foyer où elle était logée avec sa famille.
Par arrêté du 16 juillet 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », ordonna le placement de (A), dans l’attente de son transfert, au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de sa notification sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015.
Par arrêté du 18 juillet 2024, le ministre ordonna la mainlevée du placement en rétention de (A) décidé en date du 16 juillet 2024.
Il ressort ensuite des éléments du dossier administratif qu’après l’échec d’une deuxième tentative de transfert des consorts (A) en date du 19 juillet 2024, ces derniers furent transférés vers la Croatie le 13 septembre 2024, à l’exception de Madame (A), celle-ci ayant de nouveau disparu du foyer où elle était logée avec sa famille.
Par arrêté du 18 septembre 2024, le ministre ordonna le placement de (A), dans l’attente de son transfert, au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de sa notification sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015.
2En date du même jour, le ministre chargea la police grand-ducale de procéder au signalement national de l’intéressée en vue de la notification d’une mesure de placement en rétention en son chef.
Par décision du 15 octobre 2024, notifiée à l’intéressée par affichage public, le ministre informa (A) que sa demande de protection internationale était provisoirement clôturée, conformément à l’article 23, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.
Le 28 octobre 2024, (A) sollicita la réouverture de son dossier conformément aux dispositions de l’article 23, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressée en mains propres également le même jour, le ministre ordonna le placement de (A) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de sa notification sur le fondement de l’article 22, paragraphe (2), point b) de la loi du 18 décembre 2015.
Le 5 novembre 2024, (A) fut, au sein du Centre de rétention, entendue par un agent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, ci-après désigné par le « ministère », sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par arrêté du 13 novembre 2024, le ministre ordonna la mainlevée du placement en rétention de (A) décidé en date du 28 octobre 2024.
Par décision du même jour, notifiée à l’intéressée en mains propres également le même jour, le ministre refusa de faire droit à la demande de protection internationale de (A) dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et ce, sur base des motifs suivants :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale introduite en date du 16 septembre 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Madame, vous vous êtes présentée pour la première fois aux autorités luxembourgeoises compétentes en matière d'immigration et d'asile en date du 16 septembre 2022 avec vos parents, vos deux sœurs et votre frère. Etant mineurs à cette date, vos parents ont introduit des demandes de protection internationale en votre nom, ainsi qu'au nom de vos sœurs et votre frère. Par la suite, les recherches effectuées dans la base de données « EURODAC » ont révélé que vous aviez tous les six déjà introduit des demandes de protection internationale en Croatie le 4 septembre 2022.
En conséquence, une demande de reprise en charge a été adressée aux autorités croates le 27 septembre 2022, conformément à l'article 18 (1) b) du règlement « Dublin Ill ». Les 3autorités croates ont accepté cette reprise en charge le 11 octobre 2022, sur base de l'article 20, paragraphe (5) du même règlement.
Le 23 février 2023, une décision de transfert concernant l'ensemble de votre famille vers la Croatie a été prise. Devenue majeure le …, vous avez été informée avec votre famille le 13 juillet 2023 dudit transfert prévu pour le 26 juillet 2023, mais celui-ci n'a pas pu avoir lieu car vous n'étiez pas présente dans le foyer à cette date. Un deuxième transfert a alors été programmé pour le 19 juillet 2024, mais il a également dû être annulé en raison des problèmes médicaux de votre mère. Un troisième transfert a ensuite été programmé pour le 13 septembre 2024, par vol charter spécialement affréter pour vous et votre famille. À cette date, vos parents et votre fratrie ont été transférés en Croatie, mais étant donné que vous étiez de nouveau absente du foyer dès le 12 septembre 2024, et que les tentatives pour vous retrouver ayant toutes échouées, vous n'avez pas été transférée avec eux en Croatie.
Depuis cette date, vous êtes restée introuvable alors que vous n'étiez plus retournée au foyer. Par la force des circonstances, et étant donné que les délais impartis pour ce faire en vertu du règlement « Dublin III » avaient expiré, le Luxembourg est devenu responsable du traitement de votre demande de protection internationale à partir du 30 septembre 2024. Le 15 octobre 2024, votre demande de protection internationale a été clôturée provisoirement conformément à l'article 23 (2) de la Loi de 2015 car vous n'aviez pas renouvelé votre attestation de demandeur de protection internationale depuis le 9 août 2024 et vous n'aviez pas répondu à la convocation du Ministère sollicitant de vous présenter à la Direction générale de l'immigration. Par ailleurs, vous ne disposiez plus d'une adresse de résidence officielle au Luxembourg depuis le 24 septembre 2024.
Cependant, plus d'un mois et demi après votre disparition, vous avez sollicité la réouverture de votre demande le 28 octobre 2024, en vertu de l'article 23 (3) de la Loi de 2015.
Cette demande coïncide, d'une part, avec le retour de votre mère au Luxembourg, où elle a introduit pour son compte et celui de votre fratrie une deuxième demande de protection internationale le 30 octobre 2024, et d'autre part, avec votre placement au centre de rétention alors que les autorités luxembourgeoises ont estimé qu'il existait un risque de fuite dans votre chef et qu'il convenait de récupérer les motifs soutenant votre demande de protection internationale. À noter que votre mandataire n'a entamé aucune procédure pour tenter d'empêcher ou interrompre votre placement au centre de rétention.
Vous avez été entendu sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale en date du 5 novembre 2024.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Madame, vous déclarez vous nommer (A), être née le … à … en Turquie, être de nationalité turque, de confession musulmane et d'ethnie Kurde. En Turquie, vous auriez vécu toute votre vie à … avec vos parents et votre fratrie.
À l'appui de votre demande de protection internationale, vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d'origine avec votre famille en raison d'une « persécution » exercée par l'Etat turc contre les personnes d'ethnie Kurde, ce qui vous aurait constamment mise « sous pression » (p.6/13 du rapport d'entretien). Vous précisez que cette « persécution » inclut des 4mauvais traitements et des insultes, tandis que par « pression » vous sous-entendez l'obligation de se conformer aux attentes de l'Etat.
Dans ce contexte, vous rapportez que durant votre scolarité, vos professeurs de primaire vous auraient interdit de parler kurde alors qu'il se serait agi de la seule langue que vous connaissiez. Au collège, les professeurs vous auraient frappée avec une règle ou tiré les cheveux en raison de votre origine kurde. De manière générale, vous expliquez que les professeurs turcs auraient nourri des préjugés contre les Kurdes et vous auraient exclue, vous et d'autres élèves kurdes, car « ils ne nous aiment pas » (p.6/13 du rapport d'entretien). Malgré vos efforts pour apprendre le turc, vous auriez constamment été rejetée en classe, et les élèves, influencés par l'attitude hostile des professeurs, vous auraient harcelée physiquement. Vos tentatives de plaintes, que ce soit auprès du directeur de l'établissement scolaire ou auprès de la police, où vous vous seriez rendue avec votre mère, auraient été ignorées au motif que vous seriez d'ethnie Kurde et votre famille originaire de …. Certains professeurs kurdes, à qui vous auriez confié votre situation, auraient parfois discrètement alerté la police face aux abus, mais les policiers auraient considéré, une fois sur place, que les comportements dénoncés auraient été « tout à fait norm[aux] » (p.7/13 du rapport d'entretien).
Vous relatez par ailleurs avoir rendu visite à votre grand-mère paternelle à …, dans la ville de …, alors que vous étiez au collège, âgée de 10 à 11 ans. Vous y seriez allée avec votre oncle paternel pour une visite temporaire, mais en raison des violences, que vous ne contextualisez aucunement, vous y seriez restée une année entière. Durant votre séjour, vous auriez été témoin de la présence oppressante des policiers, qui auraient circulé dans les maisons, lancé des bombes lacrymogènes, exercé une surveillance intense et compté chaque matin les habitants. Bien que vous auriez souhaité partir, la peur et l'absence de moyens pour quitter la ville vous auraient poussée à rester confinée chez votre grand-mère. Vous précisez que vous n'auriez subi aucun préjudice personnel, mais vous auriez été profondément marquée par les scènes de violences : des personnes seraient décédées sous vos yeux, et les familles, interdites d'enterrer leurs morts, auraient été contraintes de conserver les corps dans des réfrigérateurs.
À …, vous expliquez que la police serait venue à trois reprises à votre domicile familial au fil des années. Ces interventions policières auraient commencé alors que vous étiez très jeune, la première—dont vous n'auriez que peu de souvenirs — se serait produite avant vos 11 ans, la deuxième se serait déroulée lorsque vous aviez 11 ans, et la troisième lorsque vous aviez 15 ou 16 ans. La police aurait généralement fouillé votre domicile, jetant vos affaires au sol, et frappé vos parents. En essayant de vous interposer pour les défendre, vous-même auriez été giflée ou tirée par les cheveux. Vous mentionnez en l'occurrence la troisième intervention qui se serait produite un an avant votre départ de votre pays d'origine. Alors que votre père aurait déjà été parti travailler, la police serait venue tôt le matin et elle aurait brutalement frappé votre mère, qui était enceinte de quatre ou cinq mois, en lui donnant des coups de pied dans le ventre. Le lendemain, vous l'auriez accompagnée à l'hôpital où vous auriez appris qu'elle avait perdu son enfant. Les médecins auraient reproché à votre mère de ne pas savoir parler le turc et d'avoir besoin de votre aide en tant qu'interprète. De plus, vous n'auriez pas osé leur expliquer que cette perte était liée aux violences subies par la police étant donné qu'il serait « difficile de dénoncer quelqu'un de l'Etat » (p.6/13 du rapport d'entretien). Vous pensez que votre mère aurait porté plainte, mais cela n'aurait donné aucun résultat.
Interrogée sur les raisons de ces interventions policières, vous répondez « je ne sais pas » (p.8/13 du rapport d'entretien), tout en estimant qu'elles auraient été motivées par 5l'origine kurde de votre famille étant donné que les autorités se seraient comportées de la même manière avec d'autres Kurdes. Il en découle que votre famille aurait déménagé à quatre reprises pour échapper à de telles interventions.
Finalement, vous évoquez le meurtre de vos grands-parents maternels, eux-mêmes ciblés en raison de leur appartenance ethnique : votre grand-père car il aurait aidé des Kurdes, et votre grand-mère, qui aurait été frappée alors qu'elle était enceinte, entraînant un accouchement fatal. Vous ajoutez également qu'avant votre naissance, votre père aurait été arrêté avec d'autres jeunes par la police et emprisonné pendant deux semaines.
Par conséquent, le 31 août 2022, vous auriez quitté avec vos parents et votre fratrie la Turquie, alors que cette volonté se serait notamment concrétisée après la troisième intervention policière, pour éviter que « nous vivions la même chose qu'elle avait vécu » et « qu'on se fasse tuer à notre tour » (p.6/13 du rapport d'entretien).
En cas de retour dans votre pays d'origine, vous craindriez de « mourir (…) parce que je suis kurde » (p.9/13 du rapport d'entretien) et redouteriez de devoir revivre les expériences passées, respectivement être maltraitée par des professeurs ou des habitants de votre quartier, ou subir des violences et insultes de la part des policiers.
À l'appui de votre demande de protection internationale, vous versez uniquement une photocopie de votre carte d'identité turque, valable jusqu'au 29 août 2030, ainsi que les photocopies des cartes d'identité turques de vos parents, de vos deux sœurs et de votre frère.
3. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27(1) se trouve être d'application pour les raisons étayées ci-après.
4. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
6Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée. Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu'une d'elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Madame, il échet de relever en premier lieu que votre comportement adopté depuis votre arrivée dans l'espace Schengen, avec vos parents alors que vous étiez mineure, n'est aucunement compatible avec celui d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée ou de devenir victime d'atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d'une protection internationale.
En effet, il sied de rappeler à cet égard que vos parents ont introduit pour leur compte ainsi que pour le vôtre et celui de votre fratrie, alors que vous étiez tous les quatre mineurs, des demandes de protection internationale en Croatie le 4 septembre 2022. Toutefois, vos parents auraient décidé de ne pas y attendre l'issu de vos demandes de protection internationale puisque vous avez tous les six rapidement quitté la Croatie pour rejoindre le Luxembourg le 14 septembre 2022, en passant notamment par l'Italie et l'Allemagne. Or, un tel comportement désinvolte n'est aucunement assimilable à celui de personnes qui seraient réellement confrontées à des persécutions ou à des atteintes graves dans leur pays d'origine et dénonce déjà un manque de réelle urgence ou de danger immédiat. De plus, le fait que vos parents ont poursuivi avec vous et votre fratrie leur parcours pour rejoindre le Luxembourg, en traversant d'autres pays sûrs tels que l'Italie et l'Allemagne, sans y introduire de nouvelles demandes de protection internationale, témoignent indubitablement d'un choix réfléchi et prémédité, guidé par des motifs de pure convenance personnelle et non pas par des motifs ayant trait à l'existence d'une menace contre vos vies ou vos intégrités physiques. Vos déclarations issues de votre entretien ministériel du 5 novembre 2024 selon lesquelles l'introduction de vos demandes de protection internationale en Croatie aurait été « contre notre volonté » (p.5/13 du rapport d'entretien) corroborent d'ailleurs le constat que le seul et unique objectif de votre famille en quittant la Turquie était de rejoindre le Luxembourg.
Madame, vous avez par ailleurs voulu justifier ce départ de Croatie par le fait que « les policiers se sont comportés mal avec nous. Ma mère a été frappée. Elle a un bleu sur la jambe. On a été traité comme des animaux » (p.5/13 du rapport d'entretien). Dans ce contexte, il sied tout d'abord de constater que vous ne versez aucun document probant à l'appui de vos déclarations de sorte que vos accusations contre les autorités croates restent en l'état de pure allégation. De plus, une telle prétendue maltraitance imputée aux autorités croates est difficilement envisageable alors que la Croatie est liée à la Charte des droits fondamentaux de 7l'Union européenne (ci-après « Charte UE »), et est partie à la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH »), à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (ci-après « Conv. torture »), et à la Convention de Genève. Ainsi, la Croatie bénéficie, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen. Par ailleurs, le comportement déplacé de certains agents étatiques ne reflète pas nécessairement la volonté de tout un système, qui peut rester engagé envers l'intégrité et le respect des droits. Il n'en demeure pas moins qu'il convient sérieusement de ne pas exclure l'hypothèse du caractère fictif de vos allégations accusatrices alors qu'il ne ressort aucunement de la lecture des rapports d'entretien « Dublin III » du 20 septembre 2022 de vos parents, et en l'occurrence de celui de votre mère, qu'elle aurait été victime d'une maltraitance physique en Croatie. Or, si de tels actes avaient effectivement eu lieu, il est raisonnable de supposer que vos parents les auraient évoqués de manière détaillée, et ce dans leur intérêt. Or, l'absence de toute allusion à ces faits laisse légitimement planer un doute quant à leur véracité.
En fin de compte, Madame, il est essentiel de ne pas se laisser duper par vos accusations infondées à l'encontre des autorités croates puisque vous utilisez ces allégations fallacieuses pour dissimuler la véritable raison du départ de votre famille de la Croatie, qui résidait dans le désir manifeste et inéluctable, tant de votre part que de celui de vos parents, de rejoindre d'autres membres de votre famille au Luxembourg : « Toute la famille de ma mère vit ici : …, …, …, …. Ce sont les oncles, les tantes ou des cousins de ma mère. Ma tante maternelle … » (p.3/13 du rapport d'entretien). Or, un demandeur de protection internationale n'est ni censé, ni autorisé à opérer un choix par rapport au pays d'introduction de sa demande pour s'installer là où cela lui conviendrait le mieux, ce qui est pourtant clairement le cas en l'espèce. Partant, il est indéniable que vos parents ont pratiqué du « forum shopping » en soumettant leurs demandes de protection internationale dans l'Etat qui leur semblait personnellement le plus favorable et qui satisferait au mieux leurs attentes.
En deuxième lieu, Madame, il est impératif de souligner que votre comportement personnel au Luxembourg, en tant que personne majeure depuis le …, n'est également pas compatible avec celui d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée dans son pays d'origine ou d'y devenir victime d'atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d'une protection internationale.
Il convient de rappeler dans ce contexte que les autorités croates ont accepté le 11 octobre 2022 la demande de reprise en charge sollicitée par la Direction générale de l'immigration le 27 septembre 2022 après avoir découvert que vous y aviez tous les six déjà introduit des demandes de protection internationale le 4 septembre 2022. Le 13 juillet 2023, vous avez été informée avec votre famille que votre transfert vers la Croatie était fixé au 26 juillet 2023, mais il a toutefois dû être annulé puisque vous n'étiez pas présente dans le foyer à cette date. Un deuxième transfert a alors été programmé pour le 19 juillet 2024, mais il a aussi dû être annulé en raison des problèmes médicaux de votre mère. Un troisième transfert a ensuite été programmé au 13 septembre 2024 et, à cette date, vos parents et votre fratrie ont été transférés en Croatie. Toutefois, étant donné que vous aviez disparu depuis le 12 septembre 2024, et que les tentatives pour vous retrouver avaient échoué, votre transfert n'a pas pu être effectué. De plus, vous ne disposiez plus d'une adresse de résidence officielle au Luxembourg depuis le 24 septembre 2024, ce qui est contraire aux obligations incombant à un demandeur de protection internationale.
8Le 30 septembre 2024, en vertu de l'expiration des délais établis par le règlement « Dublin III » le Luxembourg est devenu responsable du traitement de votre demande de protection internationale. Celle-ci a ensuite été clôturée provisoirement car vous n'aviez pas renouvelé votre attestation de demandeur de protection internationale depuis le 9 août 2024 et vous n'aviez pas répondu à la convocation du Ministère sollicitant de vous présenter à la Direction générale de l'immigration. Le 28 octobre 2024, date coïncidant avec le retour au Luxembourg de votre mère et de votre fratrie, vous avez demandé la réouverture de votre dossier. Au cours de votre entretien ministériel du 5 novembre 2024, vous reconnaissez qu'entre le 13 septembre et le 28 octobre 2024, vous vous seriez abritée chez votre tante maternelle au Luxembourg pendant une journée après avoir appris que votre famille aurait été transférée vers la Croatie. Vous auriez ensuite décidé de fuir son domicile lorsqu'elle aurait envisagé de vous livrer aux autorités luxembourgeoises à la suite d'une concertation avec votre mandataire.
Vous auriez alors contacté une personne dont vous ne citez pas le nom « et je suis restée chez elle jusqu'à ce que ma famille soit revenue » (p.6/13 du rapport d'entretien), respectivement jusqu'au retour au Luxembourg de votre mère et de votre fratrie qui ont introduit une deuxième demande de protection internationale le 30 octobre 2024.
Eu égard à ce qui précède, Madame, force est de constater que les démarches répétées et coûteuses mises en œuvre pour organiser votre transfert vers la Croatie ont été annulées à deux reprises en raison de votre absence volontaire et calculée au moment des opérations.
Cette conduite, par laquelle vous avez donc cherché à vous cacher intentionnellement pour éviter un transfert légitime, trahit une volonté manifeste d'échapper aux procédures légales, sans considération pour les démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises pour organiser votre transfert. En refusant de coopérer avec les autorités luxembourgeoises, vous sabotez non seulement les efforts mis en œuvre pour traiter votre demande de protection internationale conformément au cadre juridique européen, mais vous manifestez également un mépris flagrant vis-à-vis des procédures administratives européennes. Or, ceci marque inexorablement une rupture avec l'esprit de bonne foi et de coopération qui peut être attendu d'un demandeur de protection internationale authentiquement persécuté dans son pays d'origine.
En évitant donc un transfert en Croatie pour chercher à privilégier le Luxembourg, vous démontrez une préférence de confort personnel plutôt qu'une nécessité de protection. Or, c'est une démarche qui entame votre crédibilité, puisque si votre situation dans votre pays d'origine était réellement aussi urgente et grave que vous le prétendez, vous seriez encline à accepter toute forme de sécurité en Europe, sans vous engager dans des stratégies d'évitement subversives pour rester dans le pays de votre choix. En conséquence, cette conduite soulève des doutes légitimes quant à l'authenticité de votre récit et la gravité des risques que vous affirmez encourir, et met en lumière une attitude qui suggère davantage une recherche de conditions de vie optimisées qu'un besoin de protection effective contre des prétendues persécutions. En d'autres termes, votre refus de respecter les décisions des autorités relatives à votre transfert et vos tentatives d'obstruction deviennent des indices comportementaux tangibles de l'absence de sincérité de vos déclarations de persécution ou de danger personnel alors que si les risques encourus étaient réellement aussi graves que vous ne le prétendez, vous vous conformeriez sans hésitation aux procédures administratives pour assurer votre sécurité, plutôt que de persister dans des manigances fortement répréhensibles pour imposer un lieu de résidence privilégié.
Finalement, Madame, il est également important de souligner que vos justifications relatives à vos absences lors des deux transferts planifiés manquent de crédibilité et renforcent 9les doutes quant à votre manque de sincérité de manière générale. Tout d'abord, l'explication que vous avez invoqué pour le premier transfert, prévu le 26 juillet 2023 vers la Croatie, semble peu plausible. En effet, vous affirmez que vous n'auriez pas été informée de ce transfert en déclarant que « je n'étais pas au courant » (p.5/13 du rapport d'entretien). Cependant cette affirmation est fatalement fausse, étant donné que ce transfert a officiellement été organisé par la Direction générale de l'immigration qui vous en a informée, avec l'ensemble de votre famille, le 13 juillet 2023. Ensuite, cette justification est d'autant moins recevable que vous l'invoquez pour justifier votre absence lors du deuxième transfert, prévu pour le 13 septembre 2024. Il semble en effet invraisemblable qu'une personne ne soit informée ni de son premier transfert, ni de son second, qui a pourtant eu lieu à une date ultérieure et selon des modalités de communication officielles et rigoureux. La récurrence de cet argument dénonce clairement le fait que vous ne jouez pas franc-jeu avec les autorités luxembourgeoises et révèle un mépris flagrant des procédures légales, que vous semblez écarter au profit de vos propres intérêts.
Enfin, un autre élément majeur renforce cette impression puisqu'il est évident que vos autres membres de famille étaient parfaitement informés des dates et des conditions de leur transfert vers la Croatie. Il paraît donc difficilement concevable que vous auriez été la seule à ne pas avoir été mise au courant, alors que vos proches, eux, disposaient de toutes les informations nécessaires.
De surcroît, il convient de condamner fermement votre comportement lorsque vous avez délibérément choisi de vous soustraire aux autorités luxembourgeoises après le transfert de votre famille en Croatie, du 13 septembre au 28 octobre 2024. En refusant de répondre aux convocations de la Direction générale de l'immigration et en omettant de renouveler votre attestation de demandeur de protection internationale depuis le 9 août 2024, vous avez enfreint les obligations légales liées à votre statut. Votre décision ne plus disposer d'une adresse de résidence officielle au Luxembourg à partir du 24 septembre 2024 et de vous cacher impliquent que vous avez résidé illégalement sur le territoire luxembourgeois, ce qui constitue une violation de la législation en vigueur.
En troisième lieu, Madame, il convient de retenir que les motifs que vous invoquez à l'appui de votre demande de protection internationale ne sont manifestement pas d'une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution ou ne vous visent pas personnellement.
En effet, en ce qui concerne les maltraitances et insultes que vous auriez subies lors de votre scolarité, il sied de relever que les comportements relatés de la part des élèves et professeurs sont certes préoccupants, mais ils n'atteignent pas un seuil de gravité suffisant pour constituer des actes de persécution au sens de la Loi de 2015. Ces incidents, bien que déplorables, apparaissent davantage comme des actes de discrimination aléatoires ou de harcèlement scolaire, plutôt que comme une persécution contre vous en tant qu'individu kurde.
De plus, il apparaît clairement que vous n'étiez nullement persécutée au sein de cet établissement scolaire en raison de votre origine kurde car, non seulement vous avez pu y mener une vie relativement normale en y étant régulièrement inscrite, mais il ressort de vos déclarations que des professeurs d'origine kurde y auraient exercé leur fonction sans restriction. Ces éléments démontrent que votre présence dans cet établissement ne faisait l'objet d'aucune discrimination notable et que vous n'étiez pas exposée à des actes de persécution fondés sur votre origine ethnique.
S'agissant ensuite des trois interventions policières qui se seraient produites à votre domicile familiale ce qui constitue une faible fréquence sur une période de plus de dix années - et au cours desquelles vos parents auraient prétendument subi des violences graves, 10notamment votre mère enceinte qui aurait perdu un enfant, voire vous-même lorsque vous vous seriez interposée, il sied de retenir que votre incapacité à fournir un quelconque élément de preuve tangible pour étayer vos déclarations, comme des rapports médicaux, des plaintes déposées, ou d'autres documents officiels, jette un sérieux doute sur la crédibilité de vos propos. La Direction générale de l'immigration est légitimement en droit d'estimer que votre famille devrait détenir des pièces probantes, et en l'occurrence votre mère à la suite de la perte de son enfant, et ce quand bien même vous déclarez que vous n'auriez pas « pu expliquer pourquoi cela est arrivé [aux médecins] car c'est difficile de dénoncer quelqu'un de l'Etat » (p.6/13 du rapport d'entretien). Or, un tel manquement à apporter des éléments probants, notamment dans une situation aussi grave, soulève des interrogations légitimes sur la véracité de vos allégations. Par ailleurs, le manque de détails clairs concernant les raisons de ces interventions, couplée à votre propre incertitude quant à une plainte déposée par votre mère nuisent à la crédibilité de vos déclarations. En effet, vous semblez méconnaître les raisons précises de ces interventions, ayant indiqué lors de votre entretien avec l'agent ministériel ne pas savoir pourquoi la police turque aurait ciblé votre domicile, tout en suggérant vaguement que cela pourrait être lié à votre origine kurde. Or, dans le cas de telles violences subies, cette hésitation, voire méconnaissance compromettante, semble difficilement compatible avec la probabilité d'une persécution ciblée en raison de votre origine kurde. De plus, si votre famille avait effectivement été victime de telles violences policières répétées, il serait vraisemblable que des preuves aient été conservées ou que des démarches formelles aient été entreprises pour signaler ces abus, à l'image de vos deux demandes de protection que votre famille aurait introduites « auprès de deux mairies du quartier » (p.10/13 du rapport d'entretien). Or, l'absence de telles preuves et la nature imprécise de vos déclarations poussent à sérieusement s'interroger sur la crédibilité de vos déclarations.
Dans ce contexte, Madame, il est nécessaire de rajouter que le manque de crédibilité de vos déclarations s'étend également à celles de vos parents et de votre fratrie, et plus particulièrement à celles de votre mère, qui a fait le choix de revenir au Luxembourg avec votre fratrie mineure pour introduire une deuxième demande de protection internationale le 30 octobre 2024, soit un mois et demi après son transfert. À leur retour au Luxembourg, le 28 octobre 2024, votre sœur a justifié cette démarche à travers son mandataire en formulant des allégations graves, mais non prouvées, telles que des attouchements subis en Croatie de la part d'un agent de police. En effet, si votre sœur avait effectivement été victime d'attouchements sexuels, la Direction générale de l'immigration est avec discernement en droit de s'attendre à ce qu'elle ait déposé une plainte au Croatie, sinon qu'elle entame des démarches depuis le Luxembourg. Or, force est de constater qu'à ce jour, accompagnée par un mandataire, elle n'a entrepris aucune démarche en ce sens.
Ce recours répété à des accusations sans fondement démontre clairement un mépris pour le cadre juridique, les décisions des autorités européennes et les règles régissant le système d'asile. Cette stratégie systématique, qui consiste à « réinventer » des faits à chaque étape de la procédure, visant à semer le doute et à contourner les décisions légales, révèle une volonté manifeste de manipuler le système à des fins purement personnelles, sans jamais étayer les allégations avec des preuves tangibles.
Outre la faiblesse intrinsèque de vos déclarations et des motifs que vous invoquez pour justifier votre demande de protection internationale, exacerbée par votre comportement répréhensible affiché au Luxembourg depuis votre majorité, il apparaît clairement que vos craintes relatives aux violences policières sont non seulement exagérées, mais également non fondées. Force est en effet de constater que rien ne vous est jamais arrivé personnellement, 11mais que les événements que vous relatez concernent vos parents et non vous-même. Or, des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de votre famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, tel n'est clairement pas le cas en l'espèce, alors que vous restez en défaut d'étayer un lien entre le prétendu traitement de vos parents ou grands-
parents et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. En effet, il ne ressort pas de vos déclarations que vous auriez été spécifiquement visée par les autorités turques lors de ces interventions policières, que vous auriez personnellement été recherchée pour vous être interposée ou pour une quelconque autre raison ou que vous auriez été en interaction avec la police à d'autres reprises, outre ces trois interventions qui constituent une fréquence relativement faible sur une période de plus de quinze années.
À toutes fins utiles, Madame, il échet également de noter que les Kurdes représentent plus de 20% de la population totale en Turquie et que la majorité d'entre eux vivent de manière intégrée et participent activement à la vie économique, sociale et politique du pays, et ce d'autant plus dans des grandes villes turques comme Istanbul, où leur population est significative, ou encore à Izmir, Ankara et Adana. Les Kurdes sont présents dans tous les domaines de la société turque, que ce soit dans les secteurs de l'éducation - comme le corrobore vos propres déclarations — du commerce, de la santé et même dans la fonction publique. Des Kurdes peuvent également participer aux élections et être élus au Parlement ou dans les gouvernements locaux.
L'ensemble des conclusions ci-dessus permettent dès lors de retenir que votre comportement ne correspond nullement à celui d'une personne à la recherche d'une protection internationale. Ce constat, combiné au multiples contradictions et incohérences constatées par rapport à vos déclarations en lien avec vos motifs de fuite allégués, permet de retenir que vous n'avez manifestement pas quitté la Turquie alors que votre vie y aurait été menacée d'une manière ou d'une autre, mais pour des considérations de pure convenance personnelle, cherchant à vous installer au Luxembourg en abusant des procédures prévues en matière d'asile.
Au vu des considérations ci-dessus, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
12L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Au vu des considérations qui précèdent, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour en Turquie, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015. En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Turquie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, sinon des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Enfin, vous restez également en défaut d'établir qu'il existerait dans votre chef un risque réel d'être la victime de menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu des conclusions ci-dessus, le statut conféré par la protection subsidiaire ne saurait pas vous être accordé.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34(2) de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2024, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 13 novembre 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Par un jugement du 17 décembre 2024, inscrit sous le numéro 51997 du rôle, le premier juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal considéra que le recours n’était pas manifestement infondé et renvoya en conséquence l’affaire devant la formation collégiale de la troisième chambre du tribunal administratif.
A titre liminaire, le tribunal tient à relever qu’il a été jugé par la Cour administrative qu’il se dégage de la systémique instituée par l’article 35, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015 que l’autorité de chose jugée attachée au jugement rendu dans une première phase par le juge unique vise sa seule appréciation quant au caractère manifestement infondé ou non du recours introduit par le demandeur de protection internationale. Ainsi, si le juge unique estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant la formation collégiale qui elle est appelée à statuer sur le fond du litige et non plus à refaire une nouvelle fois l’appréciation quant à la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué dans le cadre d’une procédure accélérée, cet examen étant épuisé par le jugement rendu par le juge unique. De plus, le renvoi devant la formation collégiale doit rendre possible 13l’examen de tous les moyens présentés par le demandeur et la formation collégiale doit pouvoir statuer sur la totalité des moyens présentés en relation avec le fond du litige1.
Il s’ensuit que le tribunal de céans est dispensé de toiser le volet du recours contestant le choix du ministre de procéder à l’analyse de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions précitées du ministre du 13 novembre 2024, telles que déférées. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse expose en substance les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, en précisant qu’elle aurait, accompagnée de ses parents et de sa fratrie, quitté son pays d’origine le 31 août 2022 et qu’elle-même et ses membres de famille auraient été appréhendés le 4 septembre 2022 par les autorités croates et forcés d’introduire une demande de protection internationale en Croatie. Elle relève par ailleurs que sa mère souffrirait de troubles psychologiques graves, raison pour laquelle celle-ci aurait dû être hospitalisée au Luxembourg en juillet 2024, et qu’elle-même souffrirait, depuis une intervention policière au sein de son domicile en Turquie, d’un hoquet chronique.
En se référant à son rapport d’entretien du 5 novembre 2024, (A) fait ensuite valoir qu’elle n’aurait pas été informée du transfert en Croatie prévu pour le 13 septembre 2024 et qu’elle se serait trouvée à son lieu de travail au … à cette date, de sorte qu’elle n’aurait pas pu être transférée avec sa famille. Tout en citant quelques extraits dudit rapport d’entretien, elle explique que sa vie serait en danger en Turquie, en mettant en exergue que l’ensemble de sa famille se trouverait au Luxembourg, et notamment sa tante maternelle, Madame …, laquelle aurait obtenu le statut de réfugié suivant un arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2015, inscrit sous le numéro 36708C du rôle. Elle insiste, dans ce contexte, sur la situation dramatique de sa famille maternelle, laquelle aurait toujours subi des persécutions de la part des autorités turques en raison de l’appartenance de son grand-père maternel au PKK, tel que cela aurait d’ailleurs été retenu par la Cour administrative dans l’arrêt prémentionné.
En droit, quant au refus du ministre de lui accorder une protection internationale, et plus particulièrement le statut de réfugié, la demanderesse rappelle les faits relatés dans le cadre de son audition au ministère le 5 novembre 2024, à savoir, d’une part, qu’elle aurait subi des agressions physiques et morales de la part de ses instituteurs et professeurs et qu’elle aurait été exclue par ses camarades de classe en raison de son appartenance ethnique kurde et, d’autre part, qu’à plusieurs reprises, ses parents auraient été frappés et leur domicile saccagé par les policiers turcs, tout en relevant l’absence de protection de la part des autorités turques.
Après avoir énoncé les définitions et conditions prévues aux articles 2, points f) et h), 39 et 42 de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse critique l’argumentation ministérielle suivant laquelle son comportement adopté en Croatie, consistant à ne pas attendre l’issue de la procédure relative à sa demande de protection internationale y introduite, ne serait pas 1 Cour adm., 11 février 2020, n° 43786C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 59 et l’autre référence y citée.
14compatible avec celui d’une personne se trouvant réellement à la recherche d’une protection internationale, en soutenant qu’elle-même et sa famille auraient fait l’objet de traitements inhumains et dégradants en Croatie, tout en renvoyant à cet égard aux témoignages de ses membres de famille, lesquels feraient état des violences physiques et verbales subies de la part des autorités croates, ainsi que des conditions de vie indignes dans ledit pays, notamment en termes d’hébergement.
La demanderesse conteste, par ailleurs, le manque de crédibilité retenu par le ministre quant à son récit, en faisant valoir que sa vie aurait été marquée, depuis son plus jeune âge, par des événements traumatisants, survenus aussi bien en Turquie qu’en Croatie, qui auraient affecté sa santé mentale, de même que celle de sa mère, tel qu’en attesteraient différents certificats médicaux versés en cause, la demanderesse précisant que bien qu’entretemps majeure, elle ne serait âgée que de 19 ans. Elle ajoute à ce sujet que le Centre de rétention, où l’entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale se serait tenu, aurait influencé sa présentation des faits, alors qu’il s’agirait d’un environnement anxiogène qui ne favoriserait pas un dialogue libre et détaillé, circonstance qui expliquerait le manque de détail apporté par elle dans le cadre dudit entretien. Enfin, elle estime qu’une analyse croisée entre ses déclarations et celles de ses proches, notamment de ses parents et de sa tante, permettrait de confirmer la véracité de ses dires.
Elle en conclut que son récit devrait être considéré comme crédible, contrairement aux interprétations erronées du ministre.
La demanderesse reproche encore au ministre d’avoir omis de prendre en considération la situation de ses membres de famille.
Elle précise dans ce contexte qu’elle craindrait avec raison de subir des persécutions dans son pays d’origine, alors qu’elle y aurait déjà subi des violences en raison de son ethnie kurde et qu’elle aurait été témoin de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », subis notamment par ses membres de famille maternelle. En effet, son arrière-grand-père aurait notamment logé des personnes appartenant au mouvement PKK, ses grands-parents auraient été assassinés en raison des activités politiques de son grand-père, ses oncles et grand-oncle auraient été recherchés par les autorités turques, sa tante aurait fait l’objet de graves persécutions, son père aurait fait l’objet d’un emprisonnement et sa mère et sa fratrie auraient subi des violences de la part des autorités turques. La demanderesse en déduit qu’elle risquerait également de faire l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine en raison des activités politiques des membres de sa famille et conclut qu’elle devrait, dès lors, se voir accorder le statut de réfugié, à l’instar de sa tante, Madame …. Elle rappelle encore, dans ce contexte, avoir été victime, d’une part, de violences policières à son domicile en Turquie et, d’autre part, de violences tant physiques que morales exercées à l’école par ses instituteurs et ses camarades de classe en raison de son appartenance à l’ethnie kurde.
La demanderesse considère encore que les conditions de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 seraient remplies en l’espèce, alors que l’acteur des persécutions en question serait l’Etat turc, représenté, d’une part, par les policiers chargés d’exécuter les ordres du gouvernement turc et, d’autre part, par l’établissement scolaire comprenant le personnel étatique. Elle estime, dès lors, remplir les conditions de l’article 42, paragraphes (1) et (2), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et relève qu’elle ne saurait prétendre à aucune protection de la part des autorités turques.
15 Il y aurait dès lors lieu de réformer la décision ministérielle litigieuse et de lui accorder le statut de réfugié.
S’agissant de la protection subsidiaire, après avoir cité les articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse soutient qu’elle risquerait, à l’instar de ses grands-
parents maternels, lesquels auraient été tués par des policiers, de subir la peine de mort ou l’exécution au sens du point a) dudit article 48, en raison de l’engagement politique de sa famille, tout en soulignant l’absence de toute protection par les autorités turques en raison de l’opposition politique de ses membres de famille, sinon en raison de son ethnie kurde.
En se référant à l’article 3 de la CEDH et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH » y relative, elle ajoute qu’elle risquerait également de faire l’objet de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, tels que prévus par le point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. A cet égard, elle se prévaut encore des dispositions de l’article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la même loi, en faisant valoir que les actes qu’elle aurait subis en Turquie seraient suffisamment graves et répétés pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme et en conclut qu’elle devrait, dès lors, se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.
Enfin, en se prévalant de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire suite à la réformation de la décision de refus d’octroi de la protection internationale à son encontre.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Analyse du tribunal A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe devant précéder celui de la légalité interne.
S’agissant de la légalité externe de la décision déférée et plus précisément du moyen tiré d’une violation de l’article 10, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement […] », au motif que le ministre aurait omis de prendre en considération la situation de ses membres de famille, force est au tribunal de constater que, contrairement à ce que fait plaider la demanderesse, le ministre a expressément fait référence et pris position par rapport aux persécutions qu’auraient subies les membres de famille de celle-ci, en retenant notamment qu’il ne s’agirait pas de faits personnels susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans le chef de l’intéressée, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection 16internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« […] a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
17« […] a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves 18avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.
L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, et indépendamment de la crédibilité du récit de la demanderesse en ce qui concerne notamment les circonstances du transfert de sa famille en Croatie, le tribunal relève que (A) invoque différents motifs à la base de sa demande du statut de réfugié, à savoir le risque d’être persécutée par les autorités turques en raison (i) de son appartenance à l’ethnie kurde et (ii) de l’engagement politique de sa famille.
A titre liminaire, il convient de relever que l’analyse d’une demande de protection internationale s’effectue par rapport au pays dont le demandeur a la nationalité, respectivement, dans le cas d’un apatride, par rapport au pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. Dans la mesure où la demanderesse a la nationalité turque, sa demande de protection internationale doit être examinée par rapport à la Turquie, de sorte que l’ensemble de l’argumentation apportée de part et d’autre relative aux faits survenus en Croatie, pays dans lequel la demanderesse a également déposé une demande de protection internationale, est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne la crainte de la demanderesse d’être persécutée par les autorités turques en raison de son ethnie kurde, et s’agissant d’abord des violences physiques et morales qu’elle affirme avoir subies au cours de sa scolarité en raison de son appartenance à l’ethnie kurde, force est de constater qu’il ressort de ses déclarations dans le cadre de son entretien au ministère qu’elle n’aurait pas eu le droit de s’exprimer en kurde à l’école primaire, alors même qu’elle ne parlerait que très peu le turc, qu’elle aurait été mise à l’écart au collège par ses professeurs, lesquels l’auraient insultée et frappée avec une règle, qu’« on [lui aurait tiré] les cheveux » et que les élèves turcs, « voyant l’attitude des professeurs [l’auraient] rejet[ée] », « [se seraient pris] à [elle] et [l’auraient] harcel[ée] physiquement »2.
Or, si les comportements ainsi relatés par la demanderesse sont certes condamnables, il n’en reste pas moins que de tels insultes et chicaneries, voire harcèlements de la part de professeurs et d’élèves n’atteignent pas un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015, ce d’autant plus qu’il ressort des explications de l’intéressée qu’elle a, mis à part les incidents relatés, pu suivre une scolarité régulière3, étant encore relevé à cet égard que des enseignants kurdes étaient autorisés à exercer leurs fonctions dans son établissement scolaire sans aucune autre restriction4.
S’agissant des interventions policières, il ressort des déclarations de la demanderesse lors de son entretien au ministère que des policiers turcs seraient venus à trois reprises à son domicile familial, occasions auxquelles ils auraient tout saccagé, frappé ses parents et les auraient emmenés sans motif, simplement parce qu’ils sont kurdes, la demanderesse ayant 2 Page 6 du rapport d’entretien.
3 Page 2 du rapport d’entretien : « […] Il me reste un an pour finir le lycée. […] ».
4 Page 7 du rapport d’entretien : « […] Certains professeurs étaient kurdes et je me confiais à eux. […] ».
19relevé à cet égard que « [l]es policiers se comportaient ainsi avec tous les Kurdes »5. Elle a ensuite précisé qu’elle ne se souviendrait plus de la date de la première intervention, mais qu’elle aurait été très jeune, et qu’elle aurait eu environ 11 ans lors de la deuxième intervention et entre 15 et 16 ans lors de la troisième intervention à l’occasion de laquelle les policiers auraient donné des coups de pied dans le ventre de sa mère enceinte, ce qui aurait entraîné la perte de l’enfant de celle-ci. Il ressort également de ses déclarations qu’à chaque fois qu’elle se serait interposée pour défendre ses parents, les policiers l’auraient tirée par les cheveux, l’auraient giflée ou bousculée.
Or, outre le constat que ces trois interventions policières se sont produites sur une période d’au moins cinq années, ce qui constitue, tel que souligné à juste titre par la partie étatique, une fréquence relativement faible, il convient de relever que les deux premières interventions, qui auraient eu lieu alors que la demanderesse était âgée de 11 ans, voire plus jeune, sont manifestement trop éloignées dans le temps pour justifier encore aujourd’hui l’octroi du statut de réfugié. S’agissant de la troisième intervention policière, encore que le fait que la demanderesse ait été tirée par les cheveux et giflée par un policier soit fortement condamnable, force est de constater que cet incident n’est pas d’une gravité suffisante pour constituer une persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, conclusion qui s’impose d’autant plus au regard du fait que la famille (A) est encore restée en Turquie pendant un an après l’incident en question6.
Force est, par ailleurs, au tribunal de constater, au regard des déclarations de la demanderesse telles qu’actées dans son rapport d’entretien, que les interventions policières, notamment celle visant sa mère et qui aurait engendré une fausse couche dans le chef de celle-
ci, ne la visaient pas directement, mais ses parents7, de sorte qu’il convient d’en conclure qu’il s’agit, tout au plus, de faits non personnels.
A cet égard, il échet de relever que des faits non personnels mais vécus par d’autres personnes ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, respectivement de faire l’objet d’atteintes graves que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières8, preuve qui n’est cependant pas rapportée en l’espèce.
En effet, au-delà du fait que la demanderesse ne fait état d’aucun incident concret permettant de conclure qu’elle aurait été personnellement ciblée par les autorités turques, elle a affirmé, dans le cadre de son entretien au ministère, ne pas savoir pour quelles raisons les policiers venaient chez ses parents en particulier, mais impute ces agissements au fait qu’ils sont kurdes9.
Or, le seul fait pour la demanderesse d’appartenir à l’ethnie kurde ne saurait, à défaut de tout autre élément personnel et concret, suffire pour établir dans son chef une crainte fondée de faire l’objet de persécutions en Turquie, étant rappelé à cet égard que la Cour 5 Page 6 du rapport d’entretien.
6 Page 6 du rapport d’entretien.
7 Page 6 du rapport d’entretien : « […] Les policiers frappaient mes parents, si on s’interposait, ils nous mettaient des claques également. Ils amenaient mes parents pour aucune raison, seulement parce que nous sommes kurdes.
[…] ».
8 Trib. adm. 10 janvier 2011, n° 27191 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 197 et l’autre référence y citée.
9 Page 8 du rapport d’entretien.
20administrative10 a déjà, à plusieurs reprises, retenu que la situation générale des Kurdes en Turquie n’est pas telle que tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d’une crainte fondée d’être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire turc.
Si la demanderesse entend encore, dans sa requête introductive d’instance, lier sa crainte de subir des persécutions de la part des autorités turques aux opinions politiques qui lui seraient imputées par lesdites autorités du fait d’être issue d’une famille soutenant le PKK, force est toutefois de constater qu’un tel lien ne ressort d’aucun élément concret du dossier.
En effet, s’il n’est pas contesté que certains membres de la famille maternelle de l’intéressée ont soutenu la cause kurde et subi des persécutions de la part des autorités turques de ce fait, tel que cela ressort également de l’arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2015, inscrit sous le numéro 36708C du rôle, par lequel la Cour a octroyé le statut de réfugié à la tante de la demanderesse, Madame …, il n’en demeure pas moins que la demanderesse ne fait, en l’espèce, état d’aucun élément concret permettant de conclure qu’elle serait personnellement ciblée ou recherchée par les autorités turques en raison de l’activité politique de sa famille.
Il convient ainsi de relever que ni la demanderesse elle-même lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration11, ni ses parents lors de l’introduction de leur demande de protection internationale en leur nom personnel et au nom de la concernée12, n’ont mentionné les activités politiques de sa famille, mais liaient leurs craintes seulement à leur ethnie kurde. De même, interrogée sur le lien entre le décès de ses grands-parents maternels et sa demande de protection internationale, la demanderesse s’est limitée à affirmer de façon générale que « [c]’est pour illustrer ce que les Kurdes vivent. Mon grand-père a été tué parce qu’il aidait les Kurdes et sa femme parce qu’elle était sa femme. Les forces de l’ordre se comportent ainsi avec toutes les familles kurdes. »13.
Par ailleurs, les actes subis par les membres de sa famille maternelle dans les années 1990 et 2000, auxquels se réfère la demanderesse, de même que la détention dont son père aurait fait l’objet en 2003, au-delà du fait qu’il s’agit de faits non personnels, sont en tout état de cause trop éloignés dans le temps pour pouvoir justifier encore actuellement l’octroi du statut de réfugié dans le chef de la demanderesse, étant souligné à cet égard qu’elle n’a quitté son pays d’origine avec sa famille qu’en août 202214, soit plus de dix ans après le départ de sa tante, Madame …, en 2011.
10 Voir notamment : Cour adm., 10 mars 2022, n° 46709C du rôle ; Cour adm., 12 mai 2022, n° 47147C du rôle ;
Cour adm., 8 juin 2023, n° 48799C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
11 Page 6 du rapport d’entretien : « […] Les policiers frappaient mes parents, si on s’interposait, ils nous mettaient des claques également. Ils amenaient mes parents pour aucune raison, seulement parce que nous sommes kurdes.
[…] » ; page 8 du rapport d’entretien : « […] Pour quelles raisons est-ce que les policiers frappaient vos parents ? Je ne sais pas. La seule chose que je sais c’est que c’est lié au fait que nous sommes kurdes. Je sais que mes grands-parents maternels ont été tués par les policiers. […] ».
12 Cf. fiches de motifs manuscrites de Monsieur … et Madame … du 16 septembre 2022 ; page 2 du rapport de police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, du 16 septembre 2022 : « Nous sommes partis de la Turquie parce que nous sommes discriminés et persécutés parce que nous sommes kurdes. ».
13 Page 8 du rapport d’entretien.
14 Page 2 du rapport de police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, du 16 septembre 2022.
21Au vu de ce qui précède, il convient de retenir que les faits invoqués par (A) ne sont pas de nature à établir l’existence, dans son chef, d’une crainte fondée d’être persécutée en cas de retour dans son pays d’origine.
Le recours est partant à rejeter en ce qui concerne le refus d’octroi du statut de réfugié dans le chef de la demanderesse.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal constate que la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande d’octroi du statut de réfugié.
La demanderesse n’alléguant pas que sa vie serait en danger en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal se limitera à examiner si elle risque de subir la peine de mort ou l’exécution au sens du point a) dudit article, ou des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens du point b) du même article, en cas de retour dans son pays d’origine.
A cet égard, il y a lieu de relever que, pour être qualifiés d’atteintes graves au sens du point b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, les faits relatés, respectivement les craintes invoquées doivent atteindre un certain seuil de gravité, ceci au regard de la jurisprudence de la CourEDH en rapport avec l’article 3 de la CEDH qui a retenu que les « mauvais traitements » doivent atteindre un minimum de gravité et impliquer des lésions corporelles effectives ou une souffrance physique ou mentale intense15. Suivant la CourEDH, un traitement peut être qualifié de dégradant et tomber ainsi également sous le coup de l’interdiction de l’article 3 de la CEDH s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique16.
Or, au vu des considérations dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il vient d’être jugé que la demanderesse n’a pas établi qu’elle risquerait en cas de retour dans son pays d’origine de faire l’objet d’actes de persécutions du fait d’être personnellement dans le collimateur des autorités turques en raison de son ethnie ou des activités politiques de sa famille et que les faits dont elle aurait personnellement fait l’objet de la part du corps enseignant, sinon des forces de l’ordre ne revêtent pas un degré de gravité suffisant, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que la demanderesse encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité, les faits mis en avant par cette dernière manquant en effet également de gravité pour être qualifiés de torture ou de traitements inhumains ou dégradants.
C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
15 Arrêts Irlande c. Royaume-Uni, § 167, et V. c. Royaume-Uni, no 24888/94, § 71.
16 Arrêts Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, §§ 24-30, et Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 117.
22Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments, que le recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de (A) est à rejeter pour être non fondé.
Finalement, quant à la décision portant ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « [u]ne décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
En l’espèce, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de la demanderesse dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement et sur renvoi du jugement du 17 décembre 2024, inscrit sous le numéro 51997 du rôle, rendu par le premier juge, en remplacement du premier vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif ;
vidant le jugement précité du 17 décembre 2024 ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 13 novembre 2024 portant refus d’un statut de protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 13 novembre 2024 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juin 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, 23Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 24