Tribunal administratif N° 52873 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52873 3e chambre Inscrit le 19 mai 2025 Audience publique du 17 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52873 du rôle et déposée le 19 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 30 avril 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Samuel BECHATA, en remplacement de Maître Samira MABCHOUR, et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2025.
Le 24 mars 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, désigné ci-après par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion, dans le cadre d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 12 novembre 2024. Il s’avéra encore qu’il a fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) par les autorités 1allemandes en date du 12 décembre 2024 pour le motif « ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour ».
En date du 8 avril 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 14 avril 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 16 avril 2025 sur base du même article.
Par un arrêté du 30 avril 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », assigna à résidence Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de sa notification.
Par décision du même jour, notifiée à l’intéressé en mains propres également le même jour, le ministre informa Monsieur (A) de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, d’après son dispositif, auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation, sinon à l’annulation de la susdite décision ministérielle du 30 avril 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal en l’espèce.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans le cadre de sa requête introductive d’instance, le demandeur conclut à la recevabilité ratione temporis de son recours, en se basant sur l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, à la tardiveté du recours.
Le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, lequel est, contrairement à ce que soutient le demandeur, applicable à la décision de transfert déférée : « Contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours doit être 2introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification [de la décision de transfert] », tandis qu’aux termes de l’article 12, paragraphe (3) de la même loi, « […] Le demandeur devra accepter de recevoir toute communication au lieu de sa résidence habituelle ou, le cas échéant, au domicile élu. Sans préjudice d’une notification à personne, toute notification est réputée valablement faite trois jours après l’envoi sous pli recommandé à la poste soit au lieu de la résidence habituelle soit au domicile élu. […] ».
Conformément à l’article 10, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », dans l’hypothèse où l’administré a désigné un mandataire, l’autorité adresse ses communications à celui-ci, mais doit, en outre, notifier la décision finale à la partie elle-même.
Par ailleurs, les dispositions des articles 12, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 et 10, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont complémentaires et s’appliquent cumulativement1.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier administratif, et notamment des indications figurant sur la décision ministérielle litigieuse ordonnant le transfert de Monsieur (A) sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, dont la signature du concerné même, que celle-ci lui a été notifiée en mains propres en date du 30 avril 2025.
Le tribunal constate ensuite qu’il ressort du dossier administratif que le litismandataire du demandeur s’est vu expédier le courrier électronique contenant, en annexe, la décision litigieuse également en date du 30 avril 2025 – élément non contesté à l’audience des plaidoiries – de sorte qu’à l’égard dudit litismandataire, la notification de la décision déférée a été valablement accomplie à cette date.
Etant donné que les règles édictées respectivement par l’article 12, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 et l’article 10, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne sont, tel que relevé ci-avant, pas exclusives l’une de l’autre, mais complémentaires et s’appliquent cumulativement, le délai du recours contentieux de 15 jours prévu par l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 commence à courir à partir de la date la plus récente de notification, en présence d’une décision notifiée tant à l’administré qu’à son mandataire désigné, telle que la décision déférée.
Selon l’article 3, paragraphe (1) de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, le 16 mai 1972, approuvée par la loi du 30 mai 1984, ci-après désignée par « la Convention de Bâle », les délais exprimés en jours, semaines, mois ou années courent à partir du dies a quo, minuit, jusqu’au dies ad quem, minuit, les termes dies a quo désignant le jour à partir duquel le délai commence à courir et les termes dies ad quem désignant le jour où le délai expire.
Dès lors, et dans la mesure où, en l’espèce, la décision déférée a été notifiée le 30 avril 2025 tant au demandeur qu’à son mandataire, ainsi que cela se dégage des considérations qui précèdent, le délai de recours contentieux de 15 jours à compter de la notification, tel que prévu 1 Cour adm., 5 décembre 2013, n° 33029C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 77 et les autres références y citées.
3par l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, a commencé à courir le 30 avril 2025, à minuit, pour expirer le jeudi 15 mai 2025, à minuit.
Il s’ensuit que le recours sous examen, introduit le 19 mai 2025, soit après l’expiration du délai susmentionné, est à déclarer irrecevable pour cause de tardiveté.
Enfin, s’agissant de la demande tendant à voir ordonner la « suspension de l’exécution de la décision contestée dans l’attente d’un jugement définitif », celle-ci est à rejeter étant donné que si, en principe, conformément à l’article 36, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, l’effet suspensif est attaché de plein droit à l’introduction d’un recours en réformation tel que prévu à l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal vient toutefois de retenir que le recours sous analyse a été introduit tardivement, de sorte que le demandeur ne saurait, en tout état de cause, pas bénéficier de l’effet suspensif prévu par ladite disposition légale.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 30 avril 2025 portant transfert de Monsieur (A) vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
le déclare irrecevable ratione temporis ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande tendant à voir ordonner la « suspension de l’exécution de la décision contestée dans l’attente d’un jugement définitif » ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juin 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Sibylle Schmitz, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 4