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18/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52926

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juin 2025, 52926


Tribunal administratif N° 52926 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52926 3e chambre Inscrit le 30 mai 2025 Audience publique du 18 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52926 du rôle et déposée le 30 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A...

Tribunal administratif N° 52926 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52926 3e chambre Inscrit le 30 mai 2025 Audience publique du 18 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52926 du rôle et déposée le 30 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Bangladesh), de nationalité bangladaise, actuellement assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 14 mai 2025 de le transférer vers la France comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 17 juin 2025.

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Le 14 mars 2025, Monsieur (A), introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judicaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Une recherche effectuée à cette occasion dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait précédemment introduit une demande de protection internationale en France le 29 avril 2024.

Le 1er avril 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin 1III ».

Le 3 avril 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut considérée comme tacitement acceptée par ces derniers le 18 avril 2025, conformément à l’article 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III. Les autorités françaises ont fini par accepter explicitement cette même demande le 22 avril 2025 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.

Par décision du 14 mai 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le 15 mai 2025, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 14 mars 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 18(1)b et 25(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 14 mars 2025 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 1er avril 2025.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 14 mars 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 29 avril 2024.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 1er avril 2025.

Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 3 avril 2025, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités françaises en date du 18 avril 2025, conformément à l’article 25(2).

En date du 22 avril 225, les autorités françaises ont envoyé un accord explicite, basé sur l’article 18(1)d du règlement DIII ainsi que les modalités pour votre transfert en France.

2 2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

La responsabilité de la France est acquise suivant l’article 25(2) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux semaines équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 14 mars 2025 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 29 avril 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine en avion en direction de Lisbonne (Portugal) avec une escale à Dubaï en date du 21 août 2023, muni d’un visa portugais. Après neuf mois passés à Braga sans introduire une demande de protection internationale, vous auriez pris le bus pour vous rendre en France. En France vous avez introduit une demande de protection internationale et vous auriez vécu dans un foyer pour réfugiés à … du 24 avril 2024 jusqu’au 13 mars 2025. Vous auriez ensuite pris le bus pour vous rendre au Luxembourg.

3Lors de votre entretien en date du 1er avril 2025, vous avez mentionné que vous seriez en bonne santé. Vous déclarez également que vous souffrez de diabète depuis trente ans et que vous prenez des médicaments contre l’hypertension. Il y a cependant lieu de soulever que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Autriche revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection 4internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 14 mai 2025.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, après avoir repris brièvement les rétroactes à la base de la décision déférée donne à considérer que le fiche de renseignements EURODAC contiendrait une « erreur quant [à son] genre », laquelle serait de nature à laisser douter de la fiabilité du traitement de sa demande de protection internationale. Il ajoute qu’il serait dans une situation sociale instable, tout en donnant à considérer qu’il aurait quitté son pays d’origine pour des raisons qu’il aurait aimé détailler plus amplement lors d’un entretien individuel. Il estime, en effet, qu’une audition supplémentaire aurait permis de prévoir un minimum de « garanties légales » dans son chef, alors que lors de son séjour en France, pays qui serait en proie à un climat délétère et hostile aux demandeurs de protection internationale, il aurait été obligé de vivre dans la clandestinité et la précarité, le demandeur soutenant y avoir été dépourvu de logement et qu’il n’aurait ainsi pas eu la possibilité d’y vivre décemment, compte tenu de sa santé et de son âge.

5En droit et après avoir insisté sur son intérêt à agir en arguant que son éloignement vers la France le replongerait dans une situation de précarité et d’angoisse incommensurable, le demandeur, fait valoir que le simple fait qu’une erreur quant à son genre figurerait dans le fichier EURODAC serait de nature à jeter un doute sur la fiabilité du processus de prise en charge vers la France et qu’en pareilles circonstances, « il ne saurait être allégué une comparaison efficace de données ».

Le demandeur s’empare ensuite de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III pour reprocher au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire y prévue et ce compte tenu de sa situation sociale.

Il fait encore valoir qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre pourrait être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existerait des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre lesquelles requerraient, pour être de nature à s’opposer à un transfert, « d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des dispositions de la CEDH qu’[il] entend invoquer ».

Il donne, dans ce contexte, à considérer qu’il serait « au courant des longueurs de la procédure de demande d’asile en France » et n’aurait, dès lors, « pas souhaité demander y demeurer ».

Au vu de ces considérations, le demandeur conclut à la réformation de la décision litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, il convient de noter qu’à l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a, sur question expresse du tribunal, précisé que la décision ministérielle sous analyse a été prise sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 ainsi que de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, tout en ayant souligné que la référence faite, dans la décision litigieuse, à l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III est à considérer comme erreur matérielle.

Il y a lieu de lui en donner acte.

Le tribunal rappelle ensuite qu’il n’est pas tenu par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, et plus particulièrement les affirmations du demandeur, formulées dans le seul résumé des faits de sa requête introductive d’instance, suivant lesquelles « [il] a[urait] quitté son pays d’origine, le Bangladesh, pour des raisons qu’il aurait aimé détailler plus amplement lors d’un entretien individuel », respectivement qu’« une audition supplémentaire en vue de recueillir l’avis et les observations du requérant aurait permis de prévoir un minimum de garanties […] alors qu’il, se sent […] délaissé, selon ses dires, durant son séjour, en France, pays en proie à un climat délétère , et 6hostile aux demandeurs », force est de constater qu’outre le fait qu’il s’agit d’affirmations péremptoires non autrement circonstanciées, celles-ci ne sont basées sur aucune base légale, de sorte qu’elles ne sont pas de nature à constituer un moyen utilement soutenu en droit, mais au contraire, un moyen simplement suggéré dont le tribunal ne saurait être valablement saisi. En effet, il n’incombe pas au tribunal de rechercher les éventuels argumentaires susceptibles de sous-tendre un moyen non explicité, étant encore relevé que le demandeur a été convoqué à un entretien auprès du ministère le 1er avril 2025 qui a eu pour objet de déterminer l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III, à la fin duquel le demandeur aurait pu faire des « comments, additional information, additional statements, additional questions », ce dont il s’est toutefois abstenu. Le moyen afférent est dès lors rejeté.

Le tribunal relève ensuite, quant à la légalité interne, qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé, tel que relevé ci-avant, pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que : « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

Le tribunal constate de prime abord, tel que relevé ci-avant, qu’il est constant en cause que la décision de transférer Monsieur (A) et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur est la France, où il avait infructueusement déposé une demande de protection internationale et que les autorités françaises ont fini par accepter explicitement de le reprendre en charge en date du 22 avril 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers la France.

7Force est ensuite de constater qu’à travers ses développements relatifs à une inscription erronée quant à son genre dans la base de données EURODAC, le demandeur semble contester la compétence de principe de la France, le concerné ayant en effet fait valoir que cette même inscription serait de nature à mettre en doute la fiabilité du processus de reprise en charge par la France, alors qu’elle ne saurait laisser conclure à « une comparaison efficace des données ».

A cet égard, il convient d’abord de rappeler que la base de données européenne des empreintes digitales, EURODAC, contient les empreintes digitales des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière qui ont été enregistrés dans un Etat membre de l’Union européenne et les pays associés. Il échet en outre de préciser que cette base de données a pour objet de faciliter la mise en œuvre du règlement Dublin III, en permettant de vérifier si un demandeur ou une personne en séjour irrégulier dans un État membre a déjà demandé l’asile dans un autre État membre, ainsi que de vérifier si un demandeur a déjà été appréhendé lors de son entrée irrégulière sur le territoire européen et d’appliquer les critères pertinents pour déterminer quel État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile.

Il convient encore de noter qu’outre les empreintes dactylographiques des personnes concernées, cette même base de données contient encore d’autres informations, telles que le sexe desdites personnes. En l’espèce, il est constant en cause que dans la base de données figure l’indication « Female » au niveau de la désignation du sexe du demandeur. Le tribunal rejoint toutefois la partie étatique dans ses conclusions qu’il s’agit là d’une simple erreur matérielle, étant encore précisé à cet égard que le règlement (UE) No 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement Dublin III prévoit expressément, sous certaines conditions, un procédé de rectification de données matériellement erronées.

Il convient ensuite de souligner qu’une telle erreur matérielle n’est, à elle seule, pas de nature à pouvoir mettre en doute la compétence de principe de la France, alors que toutes les autres informations concernant le demandeur et figurant dans ladite base données sont exactes, le concerné ne contestant en effet aucune de ces informations, mais ayant lors de la phase précontentieuse expressément confirmé avoir introduit une demande de protection internationale en France tout en ayant également précisé que celle-ci avait été refusée1. Par ailleurs, il échet de noter que l’accord de reprise en charge des autorités françaises reprend, quant à lui, correctement toutes les données relatives à la personne du demandeur, dont celles relatives à son sexe.

Il s’ensuit que tout doute sur l’identité du demandeur et la compétence de principe de la France doit être exclu et que les contestations afférentes sont rejetées.

Force est ensuite de constater que pour conclure à la réformation de la décision litigieuse, le demandeur soutient que son transfert vers ledit pays violerait l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que, de l’entendement du tribunal, l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du même règlement et les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose 1 Page 4/6 du rapport d’entretien Dublin III du 1er avril 2025.

8l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Pour autant qu’à travers ses développements selon lesquels une acceptation de prise en charge d’un demandeur de protection internationale par un Etat membre pourrait être remise en cause par celui-ci lorsqu’il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, le demandeur ait entendu se prévaloir des dispositions de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non expressément invoquées en l’espèce, le tribunal relève qu’aux termes de cet article : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en adhérant aux textes légaux communautaires et en tant que signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 9en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.

Dans un arrêt du 16 février 20176, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres et les Etats y adhérant.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives8, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE9, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201710.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201911 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins 78.

4 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

8 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

9 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.

10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.

10les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine12. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant13.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par la France des droits fondamentaux puisqu’il indique y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser, étant, à cet égard, relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées. Il s’ensuit qu’il y a d’ores et déjà lieu de rejeter les affirmations de Monsieur (A) selon lesquelles il serait « au courant des longueurs de la procédure de demande d’asile en France » pour défaut de pertinence, le demandeur ne pouvant, compte tenu du rejet de sa demande de protection internationale plus souffrir des prétendues lenteurs de la procédure d’asile en France.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne produit aucun élément probant, tel que des rapports d’organisations internationales, qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence, en France, de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui atteindraient le seuil de gravité tel que décrit ci-avant, de même qu’il n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dénommée ci-après « la CourEDH », relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dénommé ci-après « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

En ce qui concerne la question d’un accès éventuellement limité, voire impossible à des conditions d’accueil minimales des personnes transférées sous le règlement Dublin III en France, le tribunal relève, dans la mesure ù le demandeur affirme ne pas avoir accès à un logement en France, que la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], désignée ci-après par « la directive Accueil », prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs » 14.

L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « […] c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE […] », c’est-à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa 12 Ibid., pt. 92.

13 Ibid., pt. 93.

14 Considérant 25.

11demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».

De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin III, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.

Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que le demandeur a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale introduite en France, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité. En cas de transfert vers la France, le demandeur devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office national de l’accueil de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.

Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus définitif à leur demande de protection internationale est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.

Ainsi, même à admettre que la France ait adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, une telle politique ne peut pas per se être constitutive d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, d’une part, que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments suffisamment convaincants permettant de retenir qu’il encourt un risque de se voir confronté à une limitation de facto ou en vertu de dispositions légales ou réglementaires françaises des conditions d’accueil qui serait contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et, d’autre part, à supposer qu’en cas de retour du demandeur dans ledit pays, il serait confronté à une limitation de l’accès aux conditions d’accueil, une telle limitation ne constitue pas per se une violation de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte, sous réserve d’une possibilité d’accès, à l’instar de toute autre personne en situation de détresse, en ce compris les nationaux, à un dispositif d’aide d’urgence.

12 La question litigieuse, en l’espèce, se pose dès lors davantage en termes d’accès à l’aide sociale d’urgence de droit commun plutôt qu’en termes d’accès au système d’accueil spécifiquement mis en place pour les besoins des demandeurs de protection internationale.

Le tribunal relève, à cet égard, que la CourEDH a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction. Il ne saurait pas non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie15.

La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat16.

Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être, le cas échéant, exposée à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide français - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents français - était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système français n’était pas conforme aux normes européennes.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur n’apporte pas la preuve que, dans son cas précis, ses droits tels que consacrés par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ne seraient pas garantis en cas de retour en France, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale déboutés, voire ceux ayant introduit une seconde demande après avoir été déboutés d’une première, ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en France, ou encore que ceux-ci n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements 15 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95, et les jurisprudences y citées.

16 CourEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.

13européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable17.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte18, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant19.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, le sexe, l’âge et l’état de santé de l’intéressé20.

Il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement, les droits du demandeur n’auraient pas été respectés en France dans le cadre du traitement de sa demande de protection internationale y introduite. Il ne se dégage pas non plus du dossier qu’au cours du traitement de sa demande de protection internationale, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.

Le tribunal constate, à cet égard, que le demandeur reste en défaut d’expliquer plus amplement son affirmation selon laquelle il aurait vécu dans la clandestinité et dans la précarité en raison du fait qu’il se serait retrouvé sans logement et sans possibilité de pouvoir vivre décemment compte tenu de son état de santé et de son âge, ces affirmations se trouvant à l’état de pures allégations, sans être par ailleurs soutenu par une quelconque pièce notamment par rapport à l’état de santé de l’intéressé. Cette conclusion s’impose d’autant plus que le demandeur a déclaré devant l’agent ministériel ayant mené son entretien Dublin III, avoir été hébergé en France et ce dans un foyer pour réfugiés et avoir eu l’assistance d’un avocat en relation avec sa procédure de demande de protection internationale21.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’est pas démontré que le transfert du demandeur serait contraire à l’article 3 de la CEDH, respectivement à l’article 4 de 17 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

19 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

20 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarahel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

21 Page 4/6 du rapport d’entretien Dublin III du 1er avril 2025.

14la Charte en raison de son état de santé.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres22, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201723.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge24, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration25.

En l’espèce, le demandeur invoque, à ce titre, sa situation sociale, voire un climat d’hostilité qui règnerait en France vis-à-vis des demandeurs de protection internationale.

Or, et outre le fait que le concerné reste en défaut de préciser la spécificité de sa situation sociale, voire d’établir de façon circonstanciée un quelconque climat hostile qui réglerait en France vis-à-vis des demandeurs de protection internationale, le tribunal vient ci-avant de retenir qu’un transfert du demandeur vers la France n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, le demandeur n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, un transfert vers la France l’exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III.

Dans ces circonstances, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.

22 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

23 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

24 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.

25 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 12 (2e volet) et les autres références y citées.

15Le moyen tiré de la violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III encourt, dès lors, le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juin 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 52926
Date de la décision : 18/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-18;52926 ?

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