CASSATION sur le pourvoi formé par :
- D... R..., partie civile,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris (11e Chambre), en date du 26 novembre 1985 qui, dans les poursuites par lui engagées du chef de diffamation publique envers un dépositaire de l'autorité publique contre L... M...-C..., a déclaré l'offre de preuve de la vérité des faits signifiée par celle-ci régulière, a évoqué et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance de M. le président de la Chambre criminelle déclarant que l'arrêt attaqué entre dans la classe des décisions visées à l'article 570 du Code de procédure pénale ; que l'intérêt d'une bonne administration de la justice et de l'ordre public commandent l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5 du Code civil, 54, 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881, 552, 592 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré régulière l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires signifiée par Madame M...-C... le 8 juin 1984, soit un mois et 8 jours après la signification qui lui avait été faite le 30 avril 1984 de la citation d'avoir à comparaître devant le Tribunal correctionnel sous la prévention de diffamation envers un dépositaire de l'autorité publique ;
" aux motifs que des principes de la procédure pénale (comme de la procédure civile) selon lesquels, en règle générale, la distance est prise en considération dans la computation des délais, spécialement de la combinaison des articles 54, 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881 et de l'exigence du respect des droits de la défense, il résulte que l'augmentation à raison de la distance s'applique également au délai imposé à peine de déchéance par l'article 55 au prévenu pour signifier une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires ; qu'en l'espèce, l'offre de preuve du 8 juin 1984 s'avère ainsi régulière, à la fois quant à l'observation du délai augmenté du délai de distance (7 000 km environ) et quant à celle des autres exigences de l'article 55 ;
" alors, d'une part, que l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 impartit au prévenu un délai de 10 jours après la signification de la citation pour signifier son offre de preuve, sans prévoir - fût-ce implicitement - une augmentation du délai à raison de la distance ; qu'au contraire, ce délai est d'ordre public, son inobservation entraînant la déchéance du droit de se prévaloir de la vérité des faits diffamatoires, déchéance qui doit être prononcée d'office ; que, dès lors, l'arrêt attaqué qui admet que la loi n'a pas prévu d'augmentation de ce délai d'ordre public à raison de la distance ne pouvait statuer par voie de disposition générale en affirmant que ledit délai était augmenté à raison de la distance ;
" alors, d'autre part, que le délai de dix jours imparti au prévenu n'a pas tant pour but de protéger l'exercice de ses propres droits que celui des droits de la partie civile à l'égard de laquelle la signification de l'offre de preuve fera courir un nouveau délai sans lui permettre cependant de signifier ses offres de contre-preuve moins de trois jours francs avant la date de l'audience définitivement fixée par la citation ; que dès lors l'augmentation du délai accordée au prévenu pour signifier son offre de preuve, ne peut être justifiée par la combinaison des articles 54, 55 et 56 de la loi sur la presse, ni encore moins par l'exigence des droits de la défense qui est la même pour le prévenu que pour la partie civile ;
" et alors enfin, que l'augmentation des délais à raison de la distance n'est prévue en matière pénale que pour le délai courant entre la citation et la comparution ; qu'il n'est dès lors pas applicable au délai imparti au prévenu de diffamation pour signifier son offre de preuve " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le prévenu de diffamation qui veut être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires dispose pour dénoncer son offre de preuve à la partie poursuivante, à compter de la délivrance de l'exploit introductif d'instance, d'un délai strict de dix jours à l'expiration duquel il est déchu du droit de rapporter cette preuve ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que par exploit d'huissier en date du 30 avril 1984, R... D..., chargé de mission auprès du Président de la République, a cité devant le Tribunal correctionnel de Paris pour l'audience du 9 juillet 1984 pour des faits qu'il a qualifiés de diffamation publique envers un dépositaire de l'autorité publique par application de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 L... M...-C..., avocat, président du conseil général de la Guadeloupe, à raison des propos tenus par cette dernière, le 9 février précédent, au cours d'une émission radiophonique diffusée par France-Inter, à la suite de quoi la prévenue a fait signifier le 8 juin 1984 à la partie civile son intention de rapporter par copies de pièces et par témoins la preuve de la vérité des faits qualifiés diffamatoires ;
Attendu que D... ayant conclu en appel, comme en première instance, à l'annulation de ladite offre de preuve intervenue plus d'un mois après la citation, la Cour d'appel, pour la déclarer régulière contrairement aux premiers juges dont la décision est infirmée, énonce qu'il ressort tant des principes de procédure pénale et civile, tant de la combinaison des articles 54, 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881, que de l'exigence du respect des droits de la défense, qu'en règle générale l'augmentation du délai de distance imposé pour la délivrance des citations s'applique également au délai imparti pour la signification de l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires même si la partie citée est censée détenir déjà la preuve des faits imputés ;
Mais attendu que les dispositions de l'article 54 de la loi sur la liberté de la presse imposant l'observation d'un délai de vingt jours outre un jour par cinq myriamètres de distance entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution ne concerne que la citation introductive d'instance ; qu'elles ne sauraient être étendues aux autres formalités prévues par cette loi ; qu'aux termes de l'article 55 auquel l'article 801 du Code de procédure pénale n'a apporté aucune modification, le prévenu de diffamation qui est censé avoir préconstitué la preuve de la vérité des faits diffamatoires dispose, à compter de ladite citation, d'un délai de dix jours pour signifier son offre de preuve, suivant le cas, au Ministère public ou au plaignant ; qu'à l'expiration de ce délai qui ne peut être augmenté à raison de la distance, et à moins d'établir qu'il s'est trouvé en présence d'un obstacle invincible et indépendant de sa volonté, le prévenu est déchu de son droit de faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires ;
Attendu qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées ;
Qu'il s'ensuit que l'arrêt encourt la cassation ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 26 novembre 1985, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Amiens.