CASSATION sur le pourvoi formé par :
- Y... Jean-Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 10 mars 1998, qui, sur renvoi après cassation, pour fraude fiscale et omission de passation d'écritures en comptabilité, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 francs d'amende, a ordonné la publication et l'affichage de la décision et prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Jean-Pierre Y..., exerçant la profession d'éleveur engraisseur d'animaux, a été l'objet, le 25 octobre 1986, d'une visite domiciliaire qui a donné lieu à des poursuites distinctes pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, puis, du 4 au 27 mai 1987, d'une vérification de comptabilité qui a été suivie d'une plainte de la direction des services fiscaux pour soustraction volontaire à l'établissement et au paiement de la TVA pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1985 par défaut de déclaration et occultation de l'exercice d'une activité commerciale, de l'impôt sur le revenu des personnes physiques au titre des années 1985 et 1986 en ne souscrivant pas les déclarations catégorielles de bénéfices et pour défaut de tenue d'une comptabilité complète, régulière et sincère ;
En cet état,
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 40 du Livre des procédures fiscales (dans sa rédaction applicable en 1986 et 1987), 171, 384, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que la Cour a rejeté l'exception soulevée par Jean-Pierre Y... quant à l'irrégularité de la visite domiciliaire du 25 octobre 1986 ayant fondé la procédure ;
" aux motifs qu'il résulte de la notification des redressements du 8 septembre 1997, que ceux-ci font suite à une vérification de comptabilité effectuée du 4 mai 1987 au 27 mai 1987 ; que la visite incriminée était, pour sa part, motivée par un soupçon d'enlèvement de viande d'animaux de boucherie abattus sur place par quantités supérieures à 25 kg, sans bons de remis, à destination de professionnels détaillants ; qu'elle a donné lieu à une procédure distincte ayant amené à relever des infractions concernant les contributions indirectes, que les seules auditions effectuées par l'inspecteur principal de police judiciaire rappelant l'existence de celle-ci ne sauraient vicier l'enquête fondée sur la vérification approfondie à l'origine de la présente procédure ; que les éléments repris par les enquêteurs quant au caractère occulte de certaines ventes ne sont pas utiles à constituer les infractions visées dans l'acte de poursuite ;
" alors que, la procédure pénale ne peut être fondée sur une procédure ou un contrôle de départ irrégulier ; qu'en considérant que le moyen tiré de la nullité de la visite domiciliaire irrégulière du 25 octobre 1986 était inopérant dès lors que celle-ci avait donné lieu à une procédure distincte, sans avoir recherché comme elle y avait pourtant été invitée si la vérification de comptabilité du 4 mai 1987 prétendument à l'origine de la procédure pénale n'était pas la conséquence de la découverte de certains éléments lors de la visite domiciliaire irrégulière du 25 octobre 1986, la Cour a privé sa décision de base légale " ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de la visite domiciliaire, l'arrêt se prononce par les motifs repris au moyen ;
Qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la procédure arguée d'irrégularité n'est pas à la base des présentes poursuites, fondées notamment sur des omissions déclaratives qui pouvaient être constatées indépendamment de la visite domiciliaire et de la vérification de comptabilité, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1351 du Code civil, 1743 du Code général des impôts, 38 sexdecies P de l'annexe III du Code général des impôts, 591, 593 du Code de procédure pénale, violation de la chose jugée :
" en ce que la Cour a déclaré Jean-Pierre Y... coupable de fraude fiscale pour avoir sciemment omis, en contradiction avec le Code de commerce, de tenir une comptabilité complète ;
" aux motifs qu'il ressort du contrôle fiscal notamment que le livre de trésorerie ne faisait pas apparaître de séparation "banque" et "caisse", que manquaient des livres-journaux généraux, des balances, certaines pièces justificatives, des tableaux d'amortissement, que l'état des stocks au 31 décembre 1986 était erroné ;
" que Jean-Pierre Y... a fait connaître au cours d'un entretien téléphonique au service régional de police judiciaire en date du 25 juillet 1990 qu'il ne comprenait rien à la fiscalité ; que Guy X... a confirmé cet état de fait " ;
" que ce dernier délit est caractérisé ;
" alors que, d'une part, au terme de l'annexe III article 38 sexdecies P, les exploitants agricoles imposables d'après le réel normal doivent tenir un livre journal ; que l'Administration admet toutefois la tenue de la comptabilité journalière à partir de l'enregistrement des encaissements et des paiements ;
" alors que, d'autre part, l'infraction ne peut être commise s'il est constaté la méconnaissance de la règle comptable et la bonne foi du contribuable ;
" alors qu'en tout état de cause, il ne peut être reproché à Jean-Pierre Y... le non-respect de l'article 1743-1° du Code général des impôts dès lors que le tribunal administratif a, par décision du 13 mai 1992, déchargé Jean-Pierre Y... de ses impositions supplémentaires ce qui impliquait que les déclarations souscrites par Jean-Pierre Y... correspondaient à la réalité " ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'omission d'écritures ou de passation d'écritures inexactes au livre-journal et au livre d'inventaire ou dans les documents qui en tiennent lieu, les juges relèvent que le livre de trésorerie ne fait pas apparaître de séparation "banque" et "caisse", que manquent des livres-journaux, des balances, certaines pièces justificatives, des tableaux d'amortissement et que l'état des stocks est erroné ; qu'ils ajoutent que Jean-Pierre Y... a déclaré ne rien comprendre à la comptabilité ;
Qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ressort que le prévenu savait qu'il ne satisfaisait pas à ses obligations comptables, et dès lors que la tolérance administrative, à la supposer démontrée, ne saurait être opposée à des dispositions législatives expresses, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des décisions ministérielles du 7 février 1986 et du 24 février 1987, des articles 1351 du Code civil, 1741 du Code général des impôts, 591, 593 du Code de procédure pénale, violation de la chose jugée, et défaut de base légale :
" en ce que la Cour a déclaré Jean-Pierre Y... coupable de fraude fiscale ;
" aux motifs que le tribunal administratif a déterminé par jugement du 13 mai 1992 que les revenus de l'élevage de Jean-Pierre Y... étaient imposables dans la catégorie des bénéfices agricoles et non dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ; que la prévention ne saurait donc être davantage retenue en ce qu'elle vise l'occultation de l'exercice d'une activité commerciale ; qu'il y a donc lieu à relaxe de ce chef " ;
" qu'en ce qui concerne le défaut de souscription des déclarations catégorielles de bénéfices pour les exercices 1985 et 1986 :
qu'indépendamment des déclarations réclamées par l'Administration au titre des BIC, Jean-Pierre Y... a déposé ses déclarations sur le revenu soit tardivement (le 5 mai 1986 au lieu du 31 mars 1986 au plus tard pour l'exercice 1985 suivant l'imprimé fourni par le prévenu lui-même) ou suite à mise en demeure (soit le 27 mai 1987 pour l'exercice 1986) ;
" que l'intéressé produit une copie de la déclaration n° 2139 pour la première période, datée mais non signée, une copie non datée ni signée pour l'exercice suivant ;
" dans ces conditions, que l'infraction prévue par l'article 1741 du Code général des impôts est caractérisée ;
" alors que, d'une part, la Cour ne pouvait pas tout à la fois relever que Jean-Pierre Y... était imposable au titre des bénéfices agricoles, qu'il avait déposé ses déclarations à ce titre avec 1 mois de retard et déclaré qu'il était coupable de fraude fiscale dans les termes de la prévention, c'est-à-dire en s'étant soustrait volontairement à l'établissement et au paiement de l'impôt au titre des années 1985 et 1986 en ne souscrivant pas les déclarations catégorielles de bénéfices ;
" alors que, d'autre part, et surtout, il ne peut être reproché à Jean-Pierre Y... d'avoir déposé ses déclarations sur le revenu pour l'année 1985, le 5 mai 1986 au lieu du 31 mars 1986, dès lors que par décision ministérielle en date du 7 février 1986, le dépôt avait été repoussé au 15 mai 1986 ;
" alors qu'enfin, il ne peut être reproché à Jean-Pierre Y... d'avoir déposé sa déclaration pour l'exercice 1986 le 27 mai 1987 dès lors que par décision ministérielle du 24 février 1987 le délai de dépôt avait été reporté au 1er juin 1987 ;
" alors qu'en tout état de cause, le juge correctionnel ne peut retenir une date après laquelle un dépôt prétendument tardif constituerait un délit, sans rappeler le texte en vertu duquel cette date aurait été la date limite " ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 1741 du Code général des Impôts ;
Attendu que tout jugement ou arrêt en matière correctionnelle ou de police doit constater l'existence de tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ;
Attendu que, pour déclarer Jean-Pierre Y... coupable de fraude fiscale, l'arrêt se borne à énoncer que l'intéressé a déposé ses déclarations catégorielles de bénéfices agricoles soit tardivement, le 5 mai 1986 au lieu du 31 mars 1986 pour l'exercice 1985, soit à la suite d'une mise en demeure, le 27 mai 1987 pour l'exercice 1986 ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le délai pour souscrire les déclarations avait été prorogé par arrêtés ministériels respectivement au 15 mai 1986 et 1er juin 1987 et qu'ainsi l'élément intentionnel ne pouvait être caractérisé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans en date du 10 mars 1998 et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.