Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Somoclest Bâtiment a demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015 et des pénalités correspondantes, ainsi que de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.
Par un jugement n° 1901953 du 24 septembre 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande.
La SARL Rebeton a demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.
Par un jugement n° 1701952 du 24 septembre 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée, sous le n°19NC03315, le 18 novembre 2019, la SAS Somoclest Bâtiment, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande ;
2°) de prononcer la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2015 et 2015, et des pénalités correspondantes, ainsi que de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les redevances de brevet ne peuvent caractériser l'existence d'un acte anormal de gestion dès lors que ce brevet est un élément fondamental de son activité ;
- il ne pouvait lui être reproché l'absence de formalités auprès de l'INPI à la suite de la cession de la licence d'exploitation du brevet en 2007 ;
- seules des charges à payer ayant été comptabilisées, elle n'a pas éludé d'impôt ;
- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas établies ;
- l'amende de l'article 1759 du code général des impôts n'est pas fondée, M. A... ayant reconnu être le bénéficiaire des revenus distribués en cause le 12 octobre 2016 ;
- l'amende méconnait le principe de nécessité des peines découlant de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Somoclest Bâtiment ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée, sous le n°19NC03332, le 18 novembre 2019, la SARL Rebeton, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande ;
2°) de prononcer la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2015 et 2015, et des pénalités correspondantes, ainsi que de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soulève les mêmes moyens que ceux invoqués dans la requête n°19NC03315.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Rebeton ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Somoclest Bâtiment, qui a pour activité la pose de revêtements sur sol et façade, et la société à responsabilité limitée (SARL) Rebeton, qui a pour activité la fabrication de tels revêtements, ont fait l'objet de vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. Par deux propositions de rectification du 5 août 2016, l'administration a notifié à la SAS Somoclest Bâtiment et à la SARL Rebeton, respectivement au titre des années 2014 et 2015, et 2013 et 2014, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes, ainsi que l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, la SAS Somoclest Bâtiment et la SARL Rebeton relèvent respectivement appel du jugement les concernant.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
3. Le vérificateur a constaté au cours des vérifications de comptabilité des sociétés Somoclest Bâtiment et Rebeton que ces dernières ont versé des redevances pour l'exploitation d'un brevet à la société Materials Building Construction Ltd domiciliée à Londres. Ces redevances, se sont élevées, s'agissant de la SAS Somoclest Bâtiment à 101 177 euros en 2014 et 217 746 euros en 2015, représentant 4 % de son chiffre d'affaires, et s'agissant de la SARL Rebeton à 123 899 euros en 2013 et 136 698 euros en 2014 représentant 5 % de son chiffre d'affaires. L'administration a considéré que la contrepartie du paiement de ces redevances n'étant pas justifiée, ces charges constituaient ainsi un acte anormal de gestion et ne pouvaient être déduites du résultat de la société en application de l'article 39 du code général des impôts.
4. Il résulte de l'instruction et notamment des propositions de rectification du 5 août 2016 que ces sommes ont été inscrites en charges dans la comptabilité de ces sociétés. Au cours du contrôle, pour chacune des deux sociétés, le vérificateur n'a eu connaissance de l'existence que d'une seule facture du 11 décembre 2015 portant sur la période du 1er juillet 2012 au 31 décembre 2014 réglées le 22 mars 2016. A la suite de l'exercice d'un droit de communication, l'institut national de la propriété intellectuelle a indiqué à l'administration qu'au cours des années en litige, le titulaire du brevet exploité par les sociétés Somoclest Bâtiment et Rebeton était M. A..., dirigeant de ces sociétés, et qu'aucune publication de brevet n'a été publiée au nom de la société Materials building construction Ltd. Jusqu'en 2006, année au cours de laquelle l'administration a soumis ces redevances à la taxe sur la valeur ajoutée, M. A... bénéficiait au titre de l'exploitation de ce brevet du versement de redevances de la part des sociétés requérantes. De surcroit, l'administration a constaté que le siège social de la société Materials building construction Ltd de droit anglais correspondait à une adresse de domiciliation de nombreuses autres sociétés. Le directeur de cette société anglaise résidait au Costa Rica et était connu pour être le dirigeant de sociétés écrans destinées à masquer l'identité des dirigeants réels. Les actionnaires de cette société anglaise sont deux sociétés du Costa Rica. Enfin, la société anglaise a été dissoute le 23 septembre 2014. A été créée le 27 novembre 2015 une nouvelle société portant la même dénomination dont le numéro d'immatriculation apparait sur la facture du 11 décembre 2015 alors même qu'elle n'était pas partie à la convention d'exploitation de licence sur la base de laquelle les redevances en litige ont été versées et qu'il n'est pas justifié qu'elle serait venue aux droits de la société dissoute. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, l'administration établit que le paiement des redevances en litige ne peut être regardé comme étant la contrepartie de l'exploitation d'un brevet dès lors que M. A... en était toujours le titulaire, que les sociétés requérantes réglaient des redevances à une société anglaise dont elles savaient sciemment que cette dernière n'en était pas la détentrice, et qu'elles participaient ainsi à un montage artificiel. Il s'ensuit qu'eu égard à ces modalités, c'est à bon droit que l'administration a considéré qu'en prenant à leur charge le paiement de ces redevances au profit d'une société dépourvue de tout droit, les sociétés requérantes avaient réalisé des actes étrangers à une gestion commerciale normale.
5. Pour contester le caractère anormal du règlement des redevances en litige, les sociétés requérantes se prévalent de l'enjeu de l'usage du brevet, objet des contrats d'exploitation signés avec la société Materials building construction Ltd, pour leurs activités. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration ait entendu remettre en cause la réalité de l'exploitation de ce brevet dès lors que la gestion anormale résulte, comme il a été dit précédemment, du paiement de redevances d'exploitation à une société non détentrice du brevet correspondant et de laquelle, en conséquence, les sociétés requérantes n'ont bénéficié d'aucune prestation. En se bornant à soutenir qu'il ne peut leur être reproché l'absence de démarche de la société Materials building construction Ltd auprès de l'institut national de la propriété intellectuelle, les sociétés requérantes n'apportent aucun élément justifiant de la réalité de la cession du brevet par M. A... en 2006, et ainsi de l'existence de contreparties aux redevances. Il s'ensuit que les sociétés requérantes, qui ont participé à un montage frauduleux, n'apportent pas la preuve, qui leur incombe, d'un intérêt pour elles de verser à la société Materials building construction Ltd les sommes litigieuses.
6. Il résulte de ce qui précède que l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe du caractère anormal des versements en litige dès lors que les sociétés requérantes ne justifient pas que leur appauvrissement qui en a résulté aurait été décidé dans leur intérêt. Par suite, l'administration était fondée à réintégrer les sommes correspondant à cet avantage dans le résultat des sociétés requérantes et à les imposer par voie de conséquence à l'impôt sur les sociétés.
7. Enfin, les sociétés requérantes soutiennent que les sommes en litige ont été inscrites dans leur comptabilité dans un compte " charges à payer " et n'ont ainsi, selon elle, pas eu pour conséquence d'éluder une partie de l'impôt sur les sociétés. Cependant, comme le fait valoir le ministre en défense, l'inscription par les sociétés des redevances en litige dans un compte " charges à payer " démontre qu'elles ont considéré ces sommes comme des dettes certaines dans leur principe et dans leur montant. Il s'ensuit qu'elles ont nécessairement été prises en compte pour le calcul du résultat à la clôture de l'exercice comme une charge déductible. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les redevances en litige n'ont pas minoré le résultat imposable.
En ce qui concerne les pénalités :
8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ".
9. Eu égard aux circonstances qu'il n'est pas établi que le dirigeant des sociétés Somoclest Bâtiment et Rebeton n'était plus le détenteur du brevet pour lesquelles ces sociétés versaient des redevances à une société tierce, et que ces dépenses n'étaient pas engagées dans leur intérêt, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve de l'intention des sociétés requérantes d'éluder l'impôt. Par suite, elle établit le bien-fondé de l'application des majorations de 40 % pour manquement délibéré.
En ce qui concerne l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts :
10. En premier lieu, aux termes de l'article 117 du code général des impôts : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 ". Aux termes de l'article 1759 de ce code : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées (...) ".
11. Il résulte de l'instruction que, dans les propositions de rectification du 5 août 2016, le service vérificateur a informé les sociétés Somoclest Bâtiment et Rebeton de ce que, s'agissant des redevances d'exploitation, le bénéficiaire réel n'avait pu être identifié en raison de la dissolution le 23 septembre 2014 de la société Materials building construction Ltd, signataire du contrat d'exploitation et de la création le 27 novembre 2015 d'une nouvelle société portant la même dénomination. En application de l'article 117 du code général des impôts, le service a invité les sociétés à faire connaître dans le délai de trente jours l'identité complète et l'adresse exacte du ou des bénéficiaires, sous peine de se voir appliquer l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. En l'absence de réponse apportée par les sociétés, l'administration lui a infligé cette amende.
12. Les sociétés requérantes, qui ne contestent pas l'absence de réponse dans le délai imparti par l'administration, se prévalent de déclarations orales de leur dirigeant le 12 octobre 2016 qui aurait reconnu être le bénéficiaire des sommes en litige au cours de l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle. Cependant, ces déclarations orales de M. A... au cours d'un contrôle le concernant à titre personnel, qui n'ont pas été retranscrites par écrit au nom des sociétés requérantes, ne saurait être regardées comme consistant en une désignation du bénéficiaire des revenus distribués au sens de l'article 117 du code général des impôts. En tout état de cause, ni les dispositions de l'article 117 du code général des impôts, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire, ne font obstacle, dans le cas où la société identifie le bénéficiaire de la distribution postérieurement à l'expiration du délai imparti, à ce que l'administration impose les sommes correspondantes au nom de ce bénéficiaire.
13. En second lieu, il n'appartient pas au juge administratif, en dehors du cas prévu par les dispositions de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 prise pour l'application de l'article 61-1 de la Constitution et relatives à la question prioritaire de constitutionnalité, d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives. Par suite, le moyen tiré par les requérantes de ce que les dispositions législatives précitées de l'article 1759 du code général des impôts méconnaîtraient le principe de nécessité des peines repris à l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut être utilement invoqué.
14. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander la décharge de ces amendes.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Somoclest Bâtiment et la SARL Rebeton ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par les sociétés requérantes.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de la SAS Somoclest Bâtiment et la SARL Rebeton sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Somoclest Bâtiment, à la SARL Rebeton et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N° 19NC03315, 19NC03332