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14/05/2025 | FRANCE | N°25BX00259

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre (juge unique), 14 mai 2025, 25BX00259


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiées (SAS) Chaudronnerie Aluminium Inox (CAI), la SAS

Automatisme Mesure Maintenance (AMM), la SAS Jet France, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) RNID, la société à responsabilité limitée (SARL) BE Da Vinci et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le marché signé le 9 septembre 2022 par l'établissement public Bordeaux Métropole avec le groupement dont la société Océa est

la mandataire et de condamner Bordeaux Métropole à leur verser, en réparation des préjudices de tou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiées (SAS) Chaudronnerie Aluminium Inox (CAI), la SAS

Automatisme Mesure Maintenance (AMM), la SAS Jet France, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) RNID, la société à responsabilité limitée (SARL) BE Da Vinci et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le marché signé le 9 septembre 2022 par l'établissement public Bordeaux Métropole avec le groupement dont la société Océa est la mandataire et de condamner Bordeaux Métropole à leur verser, en réparation des préjudices de toutes natures causés par l'éviction de ce groupement à l'attribution de ce marché, la somme de 2 735 006 euros, assortie des intérêts au taux légal et capitalisés, dont 1 405 790 euros à la société CAI, 1 154 170 euros à la société AMM, 109 400 euros à la société Jet France, 38 290 euros à M. D..., 10 940 euros à la société RNID et 16 410 euros à la société BE Da Vinci.

Par un jugement n° 2205947 du 17 décembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a résilié le marché signé le 9 septembre 2022 par Bordeaux Métropole avec le groupement dont la société Océa est la mandataire et, avant de statuer sur le surplus de la demande, a prescrit la désignation d'un expert avec pour mission de déterminer le manque à gagner des sociétés CAI, AMM, Jet France, RNID, BE Da Vinci ainsi que de M. C... D....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 janvier 2025 et des mémoires enregistrés les 3 et 17 avril 2025, l'établissement public Bordeaux Métropole, représenté par Me Cabanes, demande à la cour, sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 décembre 2024 ;

2°) de mettre à la charge solidaire des requérants de première instance une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier, les premiers juges n'ayant pas correctement analysé, voire pas analysé du tout, les mémoires de Bordeaux Métropole ; le mémoire présenté le 27 novembre 2024 n'est pas visé alors qu'il comportait la démonstration de la conformité de l'offre retenue aux exigences de Bordeaux Métropole au titre de la motorisation ;

- au titre de l'atteinte excessive à l'intérêt général, le tribunal ne s'est prononcé que sur l'une des circonstances invoquées par Bordeaux Métropole et son cocontractant, omettant de se prononcer sur les autres motifs de cette nature ;

- les premiers juges ont statué sur une fin de non-recevoir qui avait été abandonnée ;

- ils ont encore omis de viser les conclusions présentées par Bordeaux Métropole sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans son cinquième mémoire ;

- la thèse à laquelle a souscrit le tribunal, selon laquelle une performance d'autonomie en zéro émission de douze heures de navigation continue aurait été imposée par Bordeaux Métropole est erronée ; toute référence à l'autonomie de douze heures concerne le groupe propulsif principal et non les batteries seules ; le mode " zéro émission " n'est qu'un des modes dans lequel doit pouvoir fonctionner le système initial ; l'usage des groupes électrogènes n'est pas réservé " au secours " ; s'agissant d'un système de propulsion " hybride ", les batteries peuvent, en cours de navigation, alimenter en électricité le moteur de propulsion, seules ou épaulées par les groupes électrogènes ; si Bordeaux Métropole avait envisagé une autonomie sans utilisation des groupes électrogènes, elle aurait défini le besoin d'une motorisation électrique et pas hybride électrique ; au demeurant, il s'agit d'une autonomie " recherchée ", un objectif vers lequel il faut tendre, au titre duquel les offres des candidats ont été jugées, et non pas d'une condition sine qua non ; ainsi il ne résulte pas du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) que l'autonomie des batteries sans apport d'énergie constituait une condition de conformité des offres ; il ne s'agissait que d'un élément d'appréciation des offres, au même titre que les performances des moyens de propulsion ; la variante " biberonnage " concerne l'avitaillement en énergie à quai et non la transformation d'énergie chimique (Gas Oil) en énergie électrique, en cours de navigation ; or, l'offre de base du groupement Océa ne prévoit pas d'avitaillement en énergie à quai, il ne s'agit donc pas d'une variante " biberonnage " ;

- le CCTP n'exclut pas la recharge des batteries grâce à des groupes électrogènes embarqués durant les heures de navigation ; le titulaire, qui offre une " autonomie ...de 12 heures de navigation en charge " grâce aux groupes électrogènes diesel, répond ainsi au besoin de Bordeaux Métropole tel que défini au document de consultation des entreprises (DCE) ; la " lettre aux opérateurs " datée du 8 juillet 2021, antérieure de cinq mois à l'appel d'offres, n'est pas susceptible de remettre en cause ce constat, n'étant pas au nombre des documents de la consultation énumérés au point 4 du règlement ; elle est contredite par l'annexe 1 au CCTP remise au candidats et n'a donc pu tromper personne ;

- les navettes proposées par le groupement Océa sont équipées de batteries, d'une capacité de 352 kwH, et non 176 kwH comme l'ont retenu à tort les premiers juges ; considérant la consommation horaire du service concerné et la capacité batterie totale embarquée, Océa peut réaliser un service zéro émission d'une durée supérieure à 13 heures ; ainsi, les navettes proposées par le groupement Océa étant conformes aux caractéristiques techniques demandées dans le DCE ;

- en tout état de cause, s'il fallait admettre, conformément à la solution préconisée par les premiers juges, que le dossier de consultation des entreprises exclut la recharge des batteries grâce à des groupes électrogènes embarqués durant les heures de navigation, il serait alors constaté que l'offre du groupement CAI est également inappropriée ; en effet, cette offre ne permet pas de réaliser un service plus contraignant que celui de l'annexe 1 sans avoir recours aux groupes électrogènes ; ceci fait obstacle à ce que les moyens qu'il invoque, notamment celui tiré de la prétendue irrégularité de l'offre retenue, soient regardés comme opérants ;

- la lettre du 8 juillet 2021 ne saurait constituer une confirmation du CCTP puisqu'elle date de seulement trois jours après l'envoi à la publication au BOAMP et est antérieure à celle au JOUE et qu'à cette date, le dossier de consultation des entreprises, dont fait partie le CCTP, n'avait pas encore été diffusé aux candidats ; pire, elle est en totale contradiction avec les informations contenues dans le dossier de consultation des entreprises ;

- l'aspect environnemental n'était donc qu'une composante du projet de Bordeaux Métropole, au même titre que l'investissement et le coût de fonctionnement ;

- l'" Analyse en synthèse des offres au premier stade sur le sujet de la motorisation " est un document préparatoire et purement interne qui a été diffusé par erreur aux quatre candidats, il s'agit d'un document de l'assistant à maîtrise d'ouvrage qui ne reflète ni l'offre, ni le rapport d'analyse des offres ;

- aucune exigence dans le règlement de la consultation ou dans le CCTP n'est expressément qualifiée d'" exigence minimale " ; Bordeaux Métropole a certes fixé des prescriptions techniques dans le CCTP, mais n'a pas souhaité que celles-ci puissent emporter les conséquences attachées aux " exigences minimales ", à savoir le rejet des offres avant négociation ; aussi l'autonomie des navettes pendant douze heures ne constituait pas une exigence qui aurait pu être qualifiée de " minimale " ;

- le groupement CAI n'est pas fondé à soutenir que la consistance du service aurait été modifiée pour s'adapter aux navettes du groupement Océa ; la consistance du service n'a pas été modifiée pour s'adapter aux navettes du groupement Océa ;

- au moment où il a remis son ultime offre, le 9 mai 2022, le groupement Océa ignorait, tout comme les autres candidats, quelle serait la consistance du futur service ; il ne pouvait être certain que quatre navettes lui seraient commandées ; le groupement Océa n'a pu avoir cette certitude qu'avec l'affermissement de la tranche optionnelle par ordre de service n° 4 du 27 octobre 2023 ; il n'a pas bénéficié d'une information préalable ;

- contrairement à ce qu'affirme le groupement CAI, les offres irrégulières ne sont pas immédiatement éliminées car " disqualifiées " ; dans la procédure avec négociation, les offres initiales, si elles sont irrégulières, peuvent devenir régulières au cours de la négociation ;

- la résiliation du marché avant la réception, et donc avant le transfert de propriété à Bordeaux Métropole des deux bateaux de la tranche optionnelle, remet significativement en cause le niveau de l'offre de transport public fluvial, dans un contexte de travaux du pont de pierre, sans circulation possible du tramway les étés et des bus pendant plusieurs années ; la solution préconisée par les premiers juges a des conséquences financières, sociales, environnementales et contractuelles majeures et porte ainsi une atteinte excessive à l'intérêt général ;

- Bordeaux Métropole n'ayant pas commis une faute en n'attribuant pas le marché au groupement conduit par CAI, les membres de ce groupement n'ont droit à aucune indemnité ;

- en tout état de cause, les requérants de première instance ne peuvent pas être regardés comme ayant été privés d'une chance sérieuse d'obtenir le marché ;

- aucun autre des moyens soulevés en première instance par CAI ne constitue un moyen sérieux de nature à justifier le rejet de la requête d'appel ; l'offre d'Océa était parfaitement conforme en ce qui concerne la timonerie et la cloison entre celle-ci et le salon voyageur ;

- les hypothèses de courantologie considérées par chacun des 4 candidats étant différentes, Bordeaux Métropole, grâce à l'annexe 1, a demandé à tous les candidats de confronter leur offre à un scénario fictif mais en aucun cas de modifier leur offre.

Par des mémoire enregistrés le 17 mars 2025, les 2, 17 et 30 avril 2025, ce dernier non communiqué, la société Océa, représentée par Mes Vignon et de Moustier, demande que son intervention au soutien de la requête de Bordeaux Métropole soit admise, que soit prononcé le sursis à exécution du jugement du 17 décembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux, et qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société CAI, de la société AMM, de la société Jet France, de la société RNID, de la SARL BE Da Vinci et de M. C... D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il y a urgence à ordonner le sursis à exécution du jugement du 17 décembre 2024 compte tenu des conséquences néfastes de la résiliation à effet immédiat du marché ; la tranche optionnelle devait être affermie pendant la durée de la tranche ferme (article 4.1 du CCAP). La tranche ferme étant arrivée à terme, cela signifie donc que Bordeaux Métropole ne passera plus aucune commande dans le cadre de ce marché et que la livraison des deux navettes de la tranche optionnelle en est la dernière, en passe donc d'être livrée et réceptionnée à la date du jugement ; dans ce contexte, la résiliation du marché avec effet immédiat prononcée par le tribunal le 17 décembre 2024 entraîne, dans le chef de la société Océa et de Bordeaux Métropole, des conséquences nécessairement néfastes et excessives ; en outre, le groupement Océa subit du fait de cette résiliation un préjudice de l'ordre d'au moins 2 909 934 euros correspondant aux sommes qu'il lui restait à percevoir ; un tel préjudice aura, s'il n'est pas rapidement sursis à l'exécution du jugement, des conséquences économiques, mais aussi sociales et humaines catastrophiques pour le groupement Océa et leurs sous-traitants/fournisseurs, ainsi que leurs salariés ; le groupement devra supporter en outre les coûts liés au stockage et à la préservation des deux bateaux, la décote des deux bateaux de la tranche optionnelle ; s'y ajoutent les conséquences particulièrement néfastes sur l'intérêt général et l'offre de services que souhaite proposer Bordeaux Métropole aux usagers du service public de transport ;

- le tribunal n'a pas communiqué à l'exposante les mémoires du 9 septembre 2024 et du 28 novembre 2024 des requérantes ; il ressort des écritures de première instance que CAI a produit, le 15 octobre 2024, des " observations complémentaires " qui ne sont pas mentionnées dans les visas du jugement et n'ont pas été communiquées aux autres parties à la procédure de première instance ; de même le mémoire présenté par Bordeaux Métropole le 27 novembre 2024, qui apparaît sur Télérecours, n'est même pas visé dans le jugement alors qu'il comportait notamment la démonstration de la conformité de l'offre d'Océa aux exigences du DCE au titre de la motorisation ; dans ces conditions, le tribunal a méconnu le principe du contradictoire et les articles L. 5 et R. 611-1 du code de justice administrative ;

- le jugement est également insuffisamment motivé ; en effet, le tribunal n'a ni analysé ni répondu aux éléments fournis par les défenderesses pour justifier l'atteinte excessive à l'intérêt général qu'il y avait à prononcer la résiliation du marché et a fortiori à ne pas en différer dans le temps la date d'effet ;

- le tribunal a également dénaturé les faits de l'espèce, entachant derechef son jugement d'irrégularité ;

- le postulat de la société CAI selon lequel le CCTP excluait la recharge des batteries grâce à des groupes électrogènes embarqués durant les heures de navigation est, en tout état de cause, erroné dès lors qu'il contredit l'intégralité des documents qui composaient le dossier de consultation des entreprises ; c'est ce que confirme l'énoncé de l'objectif de l'offre de base ; le biberonnage est nécessairement une recharge des batteries à quai ; il était autorisé uniquement au titre de la variante 2 et la recharge des batteries en cours de navigation par des groupes électrogènes était parfaitement possible au titre de l'offre de base ;

- le groupement Océa pouvait donc, sans risquer de voir son offre rejetée pour irrégularité, proposer la livraison de navettes à motorisation hybride, dotées d'une autonomie de douze heures assurée par les batteries, le cas échéant rechargée en cours de navigation par les groupes électrogènes ; a fortiori cette offre ne pouvait-elle être regardée comme inappropriée ;

- la lettre de Bordeaux Métropole du 8 juillet 2021 n'a pas été intégrée au DCE, la phase d'offres n'ayant débuté que le 2 décembre 2021 avec la transmission du DCE aux candidats admis à remettre une offre ; par ailleurs, le document intitulé " Analyse en synthèse des offres au premier stade sur le sujet de la motorisation " , communiqué par erreur par Bordeaux Métropole à tous les candidats le 10 mars 2022 pendant la procédure de passation, contenait des informations se rapportant aux offres initiales, par nature couvertes par le secret des affaires ; la société CAI ne saurait donc valablement se prévaloir du contenu de ce document diffusé par erreur pour soulever le caractère inapproprié de l'offre de la société Océa ; ce document n'en dresse qu'une analyse provisoire, partielle et au demeurant erronée sur de nombreux aspects ;

- le règlement de consultation fait partie des documents de la consultation qu'il revenait aux candidats de prendre en considération lors de l'élaboration de leur offre, et aucune raison ne justifie donc d'écarter, par principe, l'article 1.1 du règlement de consultation des stipulations à prendre en compte pour déterminer les attentes de Bordeaux Métropole ; le raisonnement de la société CAI selon lequel les articles 3.1 et 3.2 seraient incompatibles est erroné ;

- la société Océa s'est strictement conformée aux règles édictées par le CCTP au sujet de l'architecture des navettes, et en particulier de la timonerie ; elle a conçu des navettes dans lesquelles la timonerie est surélevée par rapport au pont passagers et indépendante du pont passagers, permettant de bénéficier d'une visibilité à 360° et d'une vue sur le pont passagers ;

- l'offre de la société Océa était également parfaitement régulière tant du point de vue de la puissance de l'ensemble propulsif que de sa vitesse ;

- il est inexact que la société Océa ait, en cours de procédure, renoncé à proposer une liaison entre les stations Les Hangars et la Cité du Vin pour pallier d'hypothétiques carences de son offre ; les soumissionnaires devaient construire leur offre sur la base du plan du réseau alors en vigueur qui prévoyait, à l'époque, une liaison unique reliant Les Hangars et la Cité du Vin, conformément au plan du réseau figurant à l'article 2.2 du CCTP ; Océa ne pouvait avoir dès la date de signature du contrat la certitude de devoir réaliser les deux navettes de la tranche optionnelle, alors que celle-ci n'a été affermie que le 6 novembre 2023, soit plus d'un an après la signature du marché ;

- c'est également à tort que le tribunal a retenu qu'aucun motif d'intérêt général suffisant ne faisait obstacle à la résiliation à effet immédiat du marché ; la prétendue irrégularité de l'offre d'Océa alléguée par CAI est sans commune mesure par rapport aux conséquences particulièrement néfastes pour l'intérêt général et le service public de la résiliation immédiate du contrat.

Par des mémoires enregistrés le 18 mars 2025, les 2, 7, 18 et 30 avril 2025, la société CAI, la société AMM, la société Jet France, la société RNID, la SARL BE Da Vinci et M. C... D..., représentés par Me Fouchet, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de Bordeaux Métropole en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'exécution du marché signé en présence d'une offre inappropriée ne peut être regardée comme d'intérêt général ;

- eu égard au cadre juridique, aux éléments du marché, et à la portée des arguments des parties en découlant, le tribunal n'a commis aucune irrégularité tenant à un défaut d'analyse ou de visa des mémoires, au non-respect du principe du contradictoire ou à un défaut de motivation du jugement ;

- les moyens seulement dirigés contre la régularité du jugement ne sont pas de nature à fonder le prononcé d'un sursis à exécution s'ils ne sont pas accompagnés de moyens sérieux de nature à entraîner l'infirmation de la solution retenue par les premiers juges ;

- la lecture qu'a fait le tribunal des exigences techniques du marché est exactement en ligne avec l'objectif poursuivi et énoncé dans le règlement de consultation à savoir que " l'aspect environnemental des navettes est une approche importante du projet ", objectif général qui condamne d'emblée la lecture proposée par Bordeaux Métropole qui soutient que le cahier permettait un fonctionnement des moteurs électriques par les seuls groupes électrogènes diesel, soit le contraire de la vocation du projet ; cette lecture est en ligne avec les stipulations précises du CCTP qui prévoient un fonctionnement normal des moteurs électriques grâce aux batteries électriques sur douze heures sans appoint d'énergie, et un fonctionnement en secours des mêmes moteurs grâce à des moteurs diesel générateurs d'électricité ; l'offre du groupement Océa est en réalité, non pas une offre de base, mais elle correspond à une variante biberonnage embarquée du fait d'un " apport en énergie fourni en cours de service par les groupes électrogènes " ; les groupes électrogènes sont décrits par l'assistant à la maîtrise d'ouvrage comme fournissant un " apport en énergie en cours de service ", alors que l'article 2.3 rejetait toute possibilité d'appoint en énergie en cours de service ;

- la lettre du 8 juillet 2021 impose une interprétation de la rédaction de la même exigence figurant dans le règlement d'appel à candidature du 5 juillet 2021 ; elle renvoie au règlement d'appel à candidature et reprend les stipulations de l'article 2.3 du CCTP ; elle n'est donc pas extérieure au règlement de consultation ;

- la circonstance que dans un commentaire de la page 61 de sa deuxième offre, le groupement CAI a indiqué que l'utilisation des groupes électrogènes serait nécessaire " dans le cadre d'une extension de service " ne rendait pas son offre inappropriée car le règlement de consultation n'intégrait pas l'extension de service dans l'offre ; cette partie de l'offre ne portait déjà que sur une évolution possible du service et qui n'avait pas fait l'objet ni d'une évaluation ni d'exigences particulières de la part de Bordeaux Métropole sur le plan technique ; ces modifications inhérentes à cette extension de service alors hypothétique qui ne se traduisent par aucune exigence technique et qui ne sont même pas associées à un besoin bien défini constituaient en réalité une sorte de consultation théorique ;

- le débat devant le tribunal révélait que l'offre du groupement Océa ne répondait manifestement pas aux besoins et aux exigences techniques exposées sur deux autres sujets par Bordeaux Métropole dans le CCTP, à savoir le positionnement de la timonerie et les caractéristiques de la chaîne propulsive proposée par le groupement Océa ; ainsi la timonerie n'est aucunement surélevée dans l'offre de Océa, et les puissance et vitesse proposées sont insuffisantes ;

- il est juridiquement impossible de prononcer autre chose qu'une mesure de résiliation lorsqu'un candidat évincé a démontré que le lauréat d'une procédure de sélection a présenté une offre inappropriée ;

- les considérations d'intérêt général dont procède le contrat sont en effet méconnues dans leurs fondamentaux mêmes par le choix de l'offre du groupement Océa, qu'il s'agisse de l'intérêt général environnemental, de l'intérêt général sécuritaire, et de l'intérêt général du réseau de transport à Bordeaux ; face à ces intérêts, l'intérêt financier du groupement Océa est de peu de poids ;

- en outre, l'extension de service dont Bordeaux Métropole se plaint de la paralysie en raison de la résiliation est déjà en place, si bien que les deux navettes que le groupement Océa avait entamées dans le cadre de l'offre optionnelle ne sont pas nécessaires pour exécuter cette extension de service ;

- l'offre du groupement CAI a été classée deuxième alors qu'elle aurait dû être classée première ; elle a précisé en cours de négociation que son offre ne permettait pas une extension de service de 60 % pour aller en amont du pont de pierre, contribuant ainsi à convaincre Bordeaux Métropole que le seul moyen techniquement possible d'offrir cette extension de service était de dédier des navettes à la desserte de l'amont du pont de pierre ; son offre n'était pas inappropriée ; cette offre avait donc toutes les chances d'être retenu, niveau qui excède même celui des chances sérieuses justifiant l'indemnisation du manque à gagner causé au candidat illégalement évincé ;

- l'appelant est en l'espèce l'un des deux défendeurs en première instance et le tribunal a prononcé la résiliation d'un contrat ; d'où il suit que les dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont inapplicables.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la requête au fond présentée par Bordeaux Métropole, enregistrée sous le n° 25BX00190, ainsi que la requête présentée par la société Océa et enregistrée sous le n° 25BX00414.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... A... ;

- les observations de Me Pezin, représentant Bordeaux Métropole,

- les observations de Me Benzakki représentant la société Océa,

- et les observations de Me Caubet-Hilloutou représentant la société Chaudronnerie Aluminium Inox (CAI), la société AAM, la société Jet France, M. C... D..., l'EURL RNID et la société Be Da Vinci.

Considérant ce qui suit :

1. Bordeaux Métropole, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 5 juillet 2021 au BOAMP, a lancé une procédure négociée pour la passation d'un marché public ayant pour objet l'acquisition et la livraison de navettes fluviales. Par une lettre du 18 juillet 2022, la société Chaudronnerie Aluminium Inox (CAI), en qualité de mandataire d'un groupement conjoint constitué de MM. Philippe Sharp et C... D... et des sociétés Jet France, AMM, RNID et BE Da Vinci, a été informée que son offre était rejetée au profit de celle du groupement conduit par la société Océa. Le marché conclu entre Bordeaux Métropole et le groupement Océa a été signé le 9 septembre 2022 et a fait l'objet d'un avis d'attribution publié au BOAMP le 11 septembre suivant. En vertu de l'acte d'engagement, ce marché, conclu pour une période de 60 mois, comprend une tranche ferme portant sur la livraison de deux navettes et une tranche optionnelle portant sur la livraison d'une à quatre navettes supplémentaires. La tranche optionnelle a été affermie le 27 octobre 2023 pour la réalisation d'un " minimum de deux navettes supplémentaires ". Le 9 novembre 2022, la société CAI et les autres membres du groupement ont demandé à Bordeaux Métropole d'annuler le marché et de leur verser la somme de 2 735 006 euros en réparation du préjudice que leur a fait subir l'illégalité de leur éviction. Par un jugement du 17 décembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé la résiliation du marché du 9 septembre 2022, a ordonné avant dire droit la désignation d'un expert aux fins de déterminer le manque à gagner du groupement conduit par la société CAI et a réservé jusqu'en fin d'instance tout droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas statué. Bordeaux Métropole, qui a exercé un recours en appel à l'encontre de ce jugement, enregistré sous le n° 25BX00190, en demande également le sursis à exécution par la présente requête.

2. La société Océa, qui a elle-même relevé appel du jugement du 17 décembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux par une requête enregistrée sous le n° 25BX00414, justifie en tant que titulaire du marché conclu le 9 septembre 2022 d'un intérêt à voir aboutir le recours à fin de sursis à exécution de ce jugement exercé par Bordeaux Métropole. Il y a lieu d'admettre son intervention.

3. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. ". Aux termes de l'article R. 222-25 du code de justice administrative : " Les affaires sont jugées soit par une chambre siégeant en formation de jugement, soit par une formation de chambres réunies, soit par la cour administrative d'appel en formation plénière, qui délibèrent en nombre impair. / Par dérogation à l'alinéa précédent, le président de la cour ou le président de chambre statue en audience publique et sans conclusions du rapporteur public sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17 ".

4. Les dispositions précitées de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, qui permettent à l'administration appelante de demander le sursis à exécution d'un jugement annulant une décision administrative, sont applicables tant à un jugement prononçant l'annulation d'un acte unilatéral qu'à un jugement prononçant sur recours de tiers l'annulation ou la résiliation totale ou partielle d'un contrat. En application de ces dispositions, lorsque le juge d'appel est saisi d'une demande de sursis à exécution d'un jugement prononçant l'annulation d'une décision administrative, il lui incombe de statuer au vu de l'argumentation développée devant lui par l'appelant et par le défendeur et en tenant compte, le cas échéant, des moyens qu'il est tenu de soulever d'office. Après avoir analysé dans les visas ou les motifs de sa décision les moyens des parties, il peut se borner à relever qu'aucun des moyens n'est de nature, en l'état de l'instruction, à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué et rejeter, pour ce motif, la demande de sursis. Si un moyen lui paraît, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, il lui appartient de vérifier si un des moyens soulevés devant lui ou un moyen relevé d'office est de nature, en l'état de l'instruction, à infirmer ou à confirmer l'annulation de la décision administrative en litige, avant, selon le cas, de faire droit à la demande de sursis ou de la rejeter.

5. Pour résilier le marché conclu le 9 septembre 2022 entre Bordeaux Métropole et le groupement conduit par la société Océa, le tribunal a estimé que l'offre présentée par ce groupement n'était pas conforme aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) en ce qui concerne la motorisation, et qu'elle devait donc être écartée comme inappropriée.

6. En l'état de l'instruction, le moyen soulevé par Bordeaux Métropole et tiré de ce que la résiliation immédiate du contrat prononcée par le tribunal porte une atteinte excessive à l'intérêt général présente un caractère sérieux, eu égard notamment à ses incidences sur la stratégie de développement du service public de transport fluvial de Bordeaux Métropole et à l'état d'avancement de la phase en cours de la tranche optionnelle de ce contrat, puisque le titulaire aurait été en mesure de livrer deux navettes dès le mois de février 2025. Ce moyen est de nature à justifier la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a pas différé la résiliation prononcée de manière à permettre la livraison de ces navettes. Aucun autre moyen soulevé devant le tribunal par la société CAI et autres n'apparait par ailleurs de nature à justifier la résiliation du marché conclu le 9 septembre 2022.

7. Eu égard à ce qui précède, il convient d'ordonner le sursis à exécution du seul article 1er du jugement n° 2205947 du 17 décembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux jusqu'au 30 septembre 2025 afin de permettre la livraison des deux navettes en cours de finalisation, sauf à ce qu'il ait été statué d'ici là sur le fond de l'instance n° 25BX00190 formée par Bordeaux Métropole.

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la société Océa est admise.

Article 2 : Il sera sursis à l'exécution de l'article 1er du jugement n° 2205947 du 17 décembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux jusqu'au 30 septembre 2025, sauf à ce qu'il ait été statué d'ici là sur le fond de l'instance n° 25BX00190 formée par Bordeaux Métropole.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Bordeaux Métropole, à la société Océa, aux sociétés Chaudronnerie Aluminium Inox, Jet France, AMM, RNID et BE Da Vinci, et à M. C... D....

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2025.

Le président de chambre,

B... A...

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 25BX00259


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre (juge unique)
Numéro d'arrêt : 25BX00259
Date de la décision : 14/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Avocat(s) : FRECHE & ASSOCIES;SELARL CABANES AVOCATS;FRECHE & ASSOCIES;FRECHE & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-14;25bx00259 ?
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