Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner le centre hospitalier Sainte-Anne à lui verser la somme de 500 000 euros à titre provisionnel en attente d'expertise et a sollicité, le cas échéant, que soit ordonnée avant-dire droit une contre-expertise afin que soient déterminées les causes et origines des conséquences du dommage qu'il a subies et procède à l'évaluation de l'ensemble des préjudices, la somme allouée portant intérêt au taux légal à compter de la présentation du recours gracieux ou de l'enregistrement du recours contentieux. M. G... a également demandé au tribunal une indemnisation sous forme de capital ou de rente indexée conformément à l'article L. 1142-14 du code de la santé publique et que soit mise à la charge du centre hospitalier Sainte-Anne une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Par un jugement n° 1709123 du 2 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes ainsi que les conclusions présentées par le centre hospitalier Sainte-Anne en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, a liquidé et taxé les frais d'expertise à la somme de 8 500 euros et les a mis à la charge du Trésor public.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée, le 2 avril 2018 et des mémoires enregistrés les 4 août 2019, 15 novembre 2019 et 29 novembre 2019, M. G..., représenté par Me C..., demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1709123 du 2 février 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) à titre principal, de condamner le groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neurosciences Sainte-Anne à lui verser la somme totale de 5 450 000 euros en réparation de ses préjudices sous forme de capital ou d'une rente, et dans ce cas, d'indexer celle-ci conformément à l'article L. 1142-14 alinéa 3 du code de la santé publique ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner le groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neurosciences Sainte-Anne à lui verser à une provision de 500 000 euros à valoir sur le montant défini par l'expert, en réparation des préjudices qu'il a subis et, avant dire droit, d'ordonner une expertise pour, notamment, voir déterminer les causes et origines des conséquences dommageables qu'il a subies et procéder à l'évaluation de l'ensemble des préjudices ;
En tout état de cause :
4°) d'augmenter la condamnation à intervenir des intérêts moratoires à compter de la présentation du recours gracieux ou de l'enregistrement du recours contentieux ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier Sainte-Anne une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
M. G... soutient que :
- l'expertise judiciaire ne s'est pas déroulée dans des conditions normales, l'expert et son sapiteur l'ayant abordée avec une idée préconçue et un parti pris ; ils n'ont par ailleurs pas répondu aux questions posées ; les opérations d'expertise n'ont pas été menées jusqu'à leur terme, nonobstant ses demandes légitimes de report ; sa demande d'enregistrement ou de retranscription des réunions l'était également ; le rapport produit par l'établissement hospitalier, entaché de partialité, est totalement dépourvu de caractère probant ;
- le diagnostic de schizophrénie posé au sein du centre médico-psychologique, dès mars 2000 alors que celui de " petite déprime " était annoncé, était erroné, a été posé de façon négligente par le médecin, en méconnaissance des règles de l'art ainsi qu'en atteste le médecin psychiatre qui l'a pris en charge depuis lors ; cette erreur initiale n'a pas été ensuite remise en cause par les praticiens qui l'ont pris en charge ;
- cette erreur de diagnostic a nécessairement entrainé une erreur de prescription ; un traitement inadapté, à raison de doses importantes, lui a été administré dont les conséquences sont irréversibles ; même en l'absence d'erreur de diagnostic fautive, la prescription était inadaptée ;
- sans raison légitime, il n'a été tenu informé, ni du diagnostic posé, ni des effets secondaires du traitement administré, la preuve de cette information incombant à l'établissement de santé ; ce défaut d'information a eu pour conséquence directe une perte d'opportunité de consulter un autre praticien pour confirmer le diagnostic posé et la prise d'un traitement qui aurait pu être évité, lourd de conséquences ;
- les préjudices subis sont :
* un retard dans sa scolarité, ses études supérieures et sa vie professionnelle évalué à 400 000 euros ;
* des souffrances physiques et psychologiques dues au traitement inadapté pendant deux ans et consécutives à l'hospitalisation de 2001, évaluées à 50 000 euros ;
* un préjudice permanent lié aux dysfonctionnements neuro-musculaires, physiologiques et sensoriels ainsi qu'un préjudice d'agrément évalués à 5 000 000 000 euros, évaluable si besoin est à dires de nouvel expert.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 avril 2019, 24 octobre 2019 et
25 novembre 2019, le centre hospitalier Sainte-Anne représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.
Le centre hospitalier Sainte-Anne fait valoir que :
- l'expertise judiciaire déjà diligentée est régulière et une nouvelle mesure d'expertise serait inutile et frustratoire ;
- une erreur de diagnostic n'est pas nécessairement fautive, notamment lorsque le diagnostic est particulièrement difficile à poser ; les experts ont estimé que le médecin avait pu légitimement poser celui de schizophrénie lors de la prise en charge de M. G... en 2000, alors que celui de " dépression atypique " avait d'abord été évoqué ; le rapport du psychiatre que consulte le requérant depuis 2004, dépourvu de caractère contradictoire, n'est pas probant ;
- il en résulte que l'erreur de prescription n'est également pas fautive, que le traitement administré était justifié par les symptômes et troubles présentés, l'a été à faibles doses, sans effets secondaires irréversibles ;
- sa responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, le requérant n'étant pas au moment des faits en mesure de recevoir l'information sur la nature exacte de la maladie diagnostiquée au sens de l'article R. 4127-35 du code de la santé publique ; M. G... en a, en revanche, été tenu informé neuf mois après la première consultation ; en tout état de cause, aucun préjudice en lien direct et certain avec un défaut d'information n'est invoqué ; enfin, il résulte de l'expertise que les effets secondaires des médicaments prescrits lui ont été précisés ;
- à titre subsidiaire, les demandes indemnitaires sont infondées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- les observations de Me C..., représentant M. G...,
- et de Me F..., représentant le centre hospitalier Sainte-Anne.
Considérant ce qui suit :
1. A l'âge de 19 ans, M. G... a été orienté par l'infirmière scolaire de son lycée vers le centre médico-psychologique du secteur 16 dans le 15ème arrondissement de Paris où il a été pris en charge, à partir du 9 mars 2000, par le Dr Giraudon, médecin psychiatre au centre hospitalier Sainte-Anne. Un traitement lui a alors été prescrit, jusqu'au 20 janvier 2004, à base de psychotropes, neuroleptiques et anxiolytiques. Au cours de cette période, du 8 au 23 février 2001, en raison d'une crise violente, M. G... a également été hospitalisé, à la demande d'un tiers, au centre hospitalier Sainte-Anne. Le requérant a recherché la responsabilité de cet établissement public de santé à raison des fautes qu'il lui impute dans la prise en charge dont il a fait l'objet entre 2000 et 2003 et se prévaut de différents chefs de préjudices. M. G... relève appel du jugement en date du 2 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours indemnitaire à titre provisionnel qu'il a formé contre le centre hospitalier Sainte-Anne ainsi que ses conclusions tendant à ce qu'une nouvelle mesure d'expertise soit ordonnée.
Sur la régularité des opérations d'expertise :
2. Par deux ordonnances en date des 10 janvier et du 11 juillet 2011 le président du tribunal administratif a ordonné une expertise confiée à un médecin expert psychiatre auquel a été adjoint un professeur de pharmacologie en qualité de sapiteur. M. G... fait grief aux experts d'avoir fait preuve de parti pris et de ne pas avoir mené leurs opérations de façon complète et jusqu'à leur terme.
3. En premier lieu, il résulte de l'examen de leur rapport que l'expert et son sapiteur -auxquels il ne saurait être fait grief de ne pas avoir donné suite à la demande d'enregistrement ou de retranscription des opérations formé par M. G...-, se sont interrogés de façon exhaustive, objective et impartiale sur l'existence d'une erreur de diagnostic et de prescription, sur les effets secondaires du traitement prescrit, ainsi que sur l'information dispensée au requérant et sur la réalité du préjudice subi. Si ce dernier entend mettre en doute leur impartialité, les pièces qu'il produit ne suffisent pas en apporter la preuve.
4. En second lieu, il est constant que la dernière réunion d'expertise a été reportée à deux reprises et en définitive, annulée, du fait du requérant ou de son conseil, sans explications de la part de ce dernier. Par ailleurs, si les médecins ayant pris en charge M. G... n'ont pas été convoqués aux opérations d'expertise, il est constant que les experts disposaient de l'ensemble du dossier médical de l'intéressé et que les parties n'ont pas été privées de la possibilité de faire des observations et de produire tous documents qu'elles jugeaient utiles de porter tant à la connaissance du Dr Bensussan et du Pr Brion que dans le cadre de l'instance juridictionnelle, au fond.
5. Ainsi, M. G... n'est pas fondé à soutenir que l'expertise sur laquelle se sont fondés les premiers juges serait irrégulière.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'erreur de diagnostic :
6. En vertu des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les établissements publics d'hospitalisation ne sont en principe responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de fautes.
7. Ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire, que le diagnostic initialement évoqué par le médecin psychiatre qui a examiné M. G... pour la première fois le 9 mars 2000, a d'abord été celui de " dépression atypique " qualifiée par les experts de " mode d'entrée fréquent dans la schizophrénie " et que ce n'est que neuf mois plus tard qu'a été utilisé le terme de " schizophrénie pseudo névrotique ", lors d'une demande de prise en charge à 100% par l'organisme de sécurité sociale. L'évolution, inquiétante, de l'état du requérant avait en effet pu orienter le diagnostic vers une pathologie de type psychotique compte tenu de la symptomatologie alors présentée par l'intéressé et de l'évolution de son état de santé, ponctué d'une crise dite " clastique " ayant alerté ses proches et donné lieu à son hospitalisation à la demande d'un membre de la famille, en février 2001. Une telle analyse n'apparait pas contredite utilement par celle du médecin psychiatre du requérant, dans le contexte d'une pathologie complexe et difficile à diagnostiquer. Ainsi, quand bien même le diagnostic de schizophrénie s'est-il en définitive et ultérieurement révélé erroné, il ne résulte pas de l'instruction que la prise en charge du requérant par les praticiens du centre hospitalier Sainte-Anne a été négligente et fautive par manquement à une obligation de moyens et, dès lors, de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier.
En ce qui concerne l'erreur de prescription :
8. Si M. G... soutient que la prescription d'un traitement pour une maladie dont il ne souffrait pas a entraîné des troubles supplémentaires pour certains, définitifs, il résulte de ce qui précède que ce traitement a été administré dans les circonstances précisées au point 7, en raison d'un diagnostic posé qui ne peut être regardé comme fautif. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les doses administrées l'ont d'abord été à raison de faibles posologies et à visée psychostimulante, jamais à doses fortes sur des périodes prolongées, et en fonction des symptômes et troubles du comportement dont souffrait alors le requérant. Les experts précisent également que les mêmes médicaments auraient pu être prescrits du fait des symptômes et du comportement de M. G..., indépendamment du diagnostic erroné posé. Enfin, s'ils décrivent et n'invalident pas les effets secondaires indésirables ressentis par le patient, les experts, notamment le sapiteur pharmacologue dont l'analyse n'est pas contredite utilement pas d'autres pièces du dossier, écartent le caractère irréversible de tels effets.
En ce qui concerne le défaut d'information :
9. Aux termes de l'article 35 du code de déontologie médicale alors applicable désormais codifié à l'article R. 4127-35 du code de la santé publique : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension./Toutefois, dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves, sauf dans les cas où l'affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination. (...) ".
10. Si M. G... soutient que le médecin ne l'a informé, ni de son diagnostic exact, ni des effets secondaires du traitement prescrit, il résulte de l'instruction, d'une part, que les experts ont considéré qu'une information médicale complète lui avait été fournie concernant les effets secondaires indésirables des produits prescrits, d'autre part et en tout état de cause, que le requérant ne se prévaut et ne justifie d'aucun préjudice en lien direct et certain avec le défaut d'information invoqué.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit n'apparaît nécessaire de recourir à une nouvelle mesure d'expertise qui ne présenterait pas d'utilité pour la solution du litige, que M. G... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en tout état de cause obstacle à ce que le centre hospitalier Sainte-Anne, qui n'est la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à M. G..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, une somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. A... G..., au centre hospitalier Sainte-Anne et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Délibéré après l'audience publique du 3 décembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. D..., premier vice-président,
- Mme B..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 20 décembre 2019.
Le rapporteur,
M-H... B... Le président,
M. D...
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 18PA01101