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15/04/2025 | FRANCE | N°23TL01938

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 15 avril 2025, 23TL01938


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B..., épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 2122661 du 21 juin 2023, le tribunal administratif de Montpellier, auquel l'affaire avait été transmise par ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2023 et un mémoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 2122661 du 21 juin 2023, le tribunal administratif de Montpellier, auquel l'affaire avait été transmise par ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2023 et un mémoire du 6 février 2025, Mme B..., épouse A... représentée par Me Le Bourgeois, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 juin 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé son licenciement pour motif économique ;

3°) de mettre à la charge de l 'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en ce qui concerne la légalité externe, la décision contestée est insuffisamment motivée dès lors qu'elle se borne à rappeler la liquidation judiciaire de la société Cahors International et à prendre acte des offres de reclassement qui lui ont été adressées sans se prononcer sur l'existence d'une situation éventuelle de co-emploi entre la société précitée et la société-mère et sans non plus prendre position sur la loyauté et le sérieux de la recherche d'un reclassement ;

- en ce qui concerne la légalité interne, la société anonyme Groupe Cahors doit être regardée comme étant son véritable employeur, le contrôle de la cessation d'activité pour motif économique au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail nécessitant de déterminer le véritable employeur du salarié ; en l'espèce, la totalité du capital de la société Cahors International appartient à la société anonyme Groupe Cahors, qui est par ailleurs composée de 19 sociétés ; la société Groupe Cahors constitue son véritable employeur compte tenu du pouvoir d'immixtion social et économique qu'elle détient dans la gestion de la société Cahors International ; celle-ci n'avait aucune mission particulière en matière de gestion administrative et sociale, cette gestion étant assurée par la société Groupe Cahors ; les services administratifs et celui des ressources humaines étaient centralisés au siège de la société Groupe Cahors ; le directeur opérationnel de la société Cahors International ne disposait d'aucun pouvoir décisionnel en matière de gestion sociale ;

- l'inspecteur du travail a considéré à tort que l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement dès lors que des propositions d'emploi lui avaient été transmises ; or l'ensemble des salariés de la société se sont vu proposer les mêmes postes ; les propositions de reclassement n'ont pas tenu compte de la classification professionnelle du salarié, de son niveau de compétence, de la catégorie professionnelle à laquelle il appartient, et de sa rémunération ; par ailleurs, l'inspecteur du travail n'a procédé à aucun contrôle quant à l'existence d'un poste de reclassement au sein du groupe sur un poste équivalent au poste de chargée d'affaires qu'elle occupait ; enfin, les offres de reclassement n'étaient pas personnalisées et aucun élément ne permet d'affirmer qu'il s'agissait d'offres fermes.

Par une ordonnance du 13 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 18 février 2025 à 12h00.

Un mémoire a été produit par Mme B... le 30 mars 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Le Bourgeois pour l'appelante.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., épouse A..., a été recrutée, en 1998, en qualité d'agent administratif affecté au service " exportations " par la société MAEC, devenue Groupe Cahors, et son contrat de travail a été transféré, le 15 mai 2008 à la société par actions simplifiées (SAS) Cahors International, laquelle avait pour activité la prospection commerciale et la vente à l'étranger de produits fabriqués par les sociétés du groupe Cahors, société-mère spécialisée dans les réseaux de distribution d'énergie et de télécommunications. A compter du 1er janvier 2017, Mme B..., épouse A..., a exercé les fonctions de chargée d'affaires et est devenue membre du comité social et économique de l'entreprise. Par un jugement du 15 décembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Cahors International avec autorisation de maintien de son activité. Mais par un second jugement du 3 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la fin du maintien de l'activité de la société Cahors International. Par un courrier du 22 février 2021, le mandataire liquidateur de la société Cahors International a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier pour motif économique Mme B... épouse A....

2. Mme B... épouse A... relève appel du jugement du 21 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot a autorisé son licenciement pour motif économique.

Sur la légalité de la décision attaquée :

3. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. (...). "

4. Lorsque la demande d'autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, il n'appartient pas à l'autorité administrative de contrôler si cette cessation d'activité est justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise. Il lui incombe en revanche de contrôler que la cessation d'activité de l'entreprise est totale et définitive, en tenant compte, à cet effet, à la date à laquelle elle se prononce, de tous les éléments de droit ou de fait recueillis lors de son enquête qui sont susceptibles de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d'activité. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, la circonstance qu'une autre entreprise du groupe ait poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d'activité de l'entreprise soit regardée comme totale et définitive. En revanche, le licenciement ne saurait être autorisé s'il apparaît que le contrat de travail du salarié doit être regardé comme transféré à un nouvel employeur. Il en va de même s'il est établi qu'une autre entreprise est, en réalité, le véritable employeur du salarié.

5. L'identification du véritable employeur du salarié dont l'autorisation de licenciement pour motif économique est demandée s'opère en fonction des liens existant entre la société ayant présenté la demande d'autorisation de licenciement et l'autre société susceptible d'être considérée comme ce véritable employeur, notamment lorsqu'une société appartient à un groupe, de la société-mère, et d'une confusion entre lesdites sociétés. La société-mère d'un groupe ne peut être considérée comme étant le véritable employeur du personnel employé par une société filiale que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

6. En l'espèce, il est tout d'abord constant que la société-mère Groupe Cahors détenait à 100 % la société Cahors International, ces deux sociétés ayant eu le même président directeur général jusqu'au 9 octobre 2020. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des courriels échangés entre les deux sociétés, que les notes relatives à la prise de congés, à l'organisation du calendrier horaire des salariés de la société Cahors International au titre des années 2019/2020 et 2020/2021 étaient rédigées par les responsables de la société Groupe Cahors. De même, les circuits de validation des notes de frais des salariés de Cahors International ont été définis par la société Groupe Cahors qui exigeait, en outre, que toutes les demandes d'absence présentées par les salariés de Cahors International lui soient transmises. Il ressort encore des pièces du dossier que le changement de prestataire chargé de l'établissement des bulletins de paie a été décidé par la société Groupe Cahors dont l'un des responsables a par ailleurs demandé aux salariés de Cahors International, par courriel du 3 juin 2020, de prendre avant le 1er juin 2021 l'intégralité de leurs congés payés et au titre de la réduction du temps de travail. Il ressort encore des pièces du dossier que, par deux courriels des 3 septembre et 24 novembre 2020, le président du groupe Cahors a informé l'ensemble des responsables des sociétés membres du groupe, dont Cahors International, qu'il lui incombait de valider préalablement les négociations salariales, les augmentations de rémunération, la fixation des objectifs conditionnant l'octroi des primes, les embauches ainsi que les ruptures des contrats de travail. Par ailleurs, les pièces du dossier permettent d'établir que la rémunération des prestations réalisées par la société Cahors International a été modifiée unilatéralement en 2020 par le président du Groupe Cahors lui-même, une facturation sur la base du chiffre d'affaires apportée aux sociétés sœurs ayant été substituée à la facturation fixe appliquée auparavant. Quant aux conventions de prestation de services, elles ont été signées par le président du Groupe Cahors et lui seul. D'une manière plus générale, il s'évince de ce qui précède que les salariés de la société Cahors International se trouvaient dans l'obligation de rendre compte de leur activité à la société groupe Cahors afin de pouvoir bénéficier du versement des primes et commissions prévues par leurs contrats de travail, tandis que le directeur opérationnel de la société Cahors International ne disposait d'aucun pouvoir décisionnel en matière de gestion sociale.

7. Il résulte de ce qui précède que le groupe Cahors s'est immiscé de manière permanente dans la gestion sociale et l'activité économique de la société Cahors International. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à soutenir que le Groupe Cahors devant être regardé comme étant son véritable employeur, la demande d'autorisation de licenciement la concernant ne pouvait être présentée par le mandataire liquidateur de la société Cahors International et qu'ainsi, l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle du Lot aurait dû refuser de faire droit à la demande de licenciement pour motif économique dont il avait été ainsi saisi.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... épouse A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Dès lors, ce jugement doit être annulé ainsi que la décision en litige du 9 mars 2021.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'appelante et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 21 juin 2023 du tribunal administratif de Montpellier et la décision du 9 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité du contrôle du Lot a autorisé le licenciement pour motif économique de Mme B... épouse A... sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B... épouse A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A..., à la société Mandataires Judicaires Associés et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :

M. Faïck président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.

Le rapporteur,

P. Bentolila

Le président,

F.Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01938
Date de la décision : 15/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Pierre Bentolila
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : LE BOURGEOIS PAULINE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-15;23tl01938 ?
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