LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 24-83.446 F-D
N° 00574
SL2
7 MAI 2025
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 MAI 2025
M. [I] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, en date du 13 octobre 2023, qui, pour pression grave exercée dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis probatoire, cinq ans d'interdiction de séjour, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de M. [I] [Z], les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [V] [N], Mmes [W] [P] et [Y] [N], et les conclusions de M. Micolet, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 28 mars 2022, le tribunal correctionnel, après relaxe partielle, a déclaré M. [I] [Z] coupable de pression grave exercée dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle, l'a condamné à quinze mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et a prononcé sur l'action civile.
3. Le prévenu, le ministère public et les parties civiles ont relevé appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable de harcèlement sexuel sur la personne de [Y] [N] pour la période écoulée du 4 juin 2021 au 13 septembre 2021, et a condamné le prévenu à une peine d'emprisonnement de douze mois assortie d'un sursis probatoire renforcé, outre les peines complémentaires d'interdiction définitive d'exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs, la privation de son droit d'éligibilité pour une durée de trois ans et une interdiction de séjour de cinq ans dans la commune de [Localité 1], et a en conséquence accordé divers dommages et intérêts aux parties civiles constituées, alors :
« 1°/ alors, d'une part, que le harcèlement sexuel par assimilation tient dans le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave pour obtenir un acte de nature sexuelle pour soi-même ou pour autrui ; que l'exigence d'une « pression grave », non autrement circonstanciée par la loi, impose au juge répressif de caractériser a minima un acte de contrainte et d'en préciser les modalités ; qu'en se bornant à rapporter les initiatives de la jeune fille à l'« emprise » dont elle aurait fait l'objet, sans préciser si et en quoi cette emprise prétendue pouvait constituer une pression grave, la cour a privé son arrêt de toute base légale au regard des dispositions de l'article 322-33 § II du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 222-33, II, du code pénal :
5. Aux termes de ce texte, est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
6. Ce délit, distinct de celui de harcèlement sexuel que prévoit le paragraphe I du même article, requiert notamment que soit constaté l'exercice d'une pression grave sur la victime, manifestée principalement par un chantage ou une menace, ainsi qu'il résulte des débats parlementaires relatifs à l'adoption de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, dont l'incrimination est issue.
7. Pour déclarer le prévenu coupable du délit précité, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci a tiré profit de son statut de confident pour entretenir une relation orientée sur la sexualité avec une adolescente dont il connaissait les fragilités et les difficultés relationnelles avec ses parents.
8. Les juges relèvent qu'il ressort des conclusions de l'expertise psychologique de la plaignante que la relation qu'elle entretenait avec le prévenu relevait d'une emprise.
9. Ils ajoutent que si la jeune fille a participé spontanément aux échanges, se montrant mature sur le plan de la sexualité, la procédure démontre qu'elle n'était pas consentante du fait de son jeune âge, des fragilités psychologiques liées à l'adolescence, et en raison de l'emprise exercée sur elle par M. [Z].
10. Ils concluent que ce dernier a profité de la confiance instaurée avec la victime pour maintenir une pression incitant celle-ci à participer à des rencontres physiques et à des gestes de nature sexuelle, la mettant ainsi mal à l'aise alors qu'il avait connaissance de ses fragilités, de sorte que le harcèlement sexuel est constitué tant sur le plan matériel qu'intentionnel et que le prévenu doit en être déclaré coupable.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, à laquelle il appartenait de rechercher si les faits pouvaient revêtir une autre qualification, et qui ne pouvait, pour le déclarer coupable, retenir que le prévenu avait exercé une pression sur la victime sans énoncer en quoi cette pression était grave au sens du texte précité, a méconnu ce texte et le principe ci-dessus énoncé.
12. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Amiens, en date du 13 octobre 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Amiens et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille vingt-cinq.