LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 23-83.129 F-D
N° 01336
GM
6 NOVEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 NOVEMBRE 2024
M. [M] [N] et la société [4] ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 20 avril 2023, qui a condamné, le premier, pour abus de faiblesse, abus de biens sociaux, escroquerie aggravée et blanchiment, à deux ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, une confiscation, et la seconde, pour abus de faiblesse, escroquerie et blanchiment, à 50 000 euros d'amende, une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [M] [N] et la société [4], les observations du cabinet Briard, Bonichot et associés, avocat de Mme [W] [L], des SCI [2], SCI [Adresse 5], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 5 décembre 2019, une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur de la République à la suite d'un signalement d'abus de faiblesse de Mme [W] [L], âgée de 94 ans, fortunée et sans famille proche, mettant en cause M. [M] [N], dirigeant d'une entreprise de location et de montage d'échafaudages et de matériels d'étaiement, la société [4] ([4]).
3. ll est apparu que M. [N] intervenait dans la gestion du patrimoine de Mme [L] et se présentait auprès de ses locataires comme le nouveau gérant des sociétés civiles immobilières, la SCI [Adresse 5] et la SCI [2] dont elle est gérante.
4. M. [N] et la société [4] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel.
5. Le 11 février 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [N] coupable d'abus de faiblesse, d'escroquerie commis au préjudice d'une personne vulnérable, d'abus de biens sociaux et de blanchiment et l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire.
6. Il a déclaré la société [4] coupable de blanchiment, escroquerie et abus de faiblesse et l'a condamnée à 50 000 euros d'amende.
7. Il a en outre prononcé les confiscations avec exécution provisoire, pour la part appartenant à M. [N], d'un immeuble, des biens immobiliers de la SCI [3], du bien immobilier de la SCI [1], des sommes saisies sur le compte bancaire de la SCI [3] et, en totalité, des sommes saisies sur le compte de la société [4].
8. Il a prononcé sur les intérêts civils.
9. M. [N] et la société [4], le ministère public, Mme [L] et ses deux sociétés ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, troisième moyens, et le deuxième moyen, pris en ses première, quatrième, cinquième et sixième branches
10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [N] et la société [4], coupables d'escroquerie aggravée au préjudice de Mme [L] et des sociétés [2] et [Adresse 5], après les avoir déclarés coupable d'abus de faiblesse et les a condamnés pénalement et civilement, alors :
« 2°/ que l'escroquerie suppose des manoeuvres frauduleuses, déterminantes de la remise ; qu'une circonstance aggravante ne peut servir à caractériser un élément constitutif de l'infraction ; qu'en considérant que [M] [N] avait usé de manoeuvres frauduleuses en vue d'obtenir des paiements indus et en vue d'obtenir des parts dans une SCI sans réel apport, en établissant des chèques à la place de Mme [L], sans avoir constaté que Mme [L] n'avait pas accepté les travaux réalisés par [M] [N], qu'elle ne savait rien des paiements qu'elle effectuait ou qu'il effectuait en son nom, le seul constat de sa vulnérabilité n'étant pas de nature à établir son ignorance des opérations et paiements en cause, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 313-1 du code pénal ;
3°/ qu'en ne s'expliquant sur les conclusions déposées pour les prévenus qui soutenaient que ces travaux avaient effectivement été réalisés, et qu'ils avaient donné lieu à des devis, à la réception des travaux par Mme [L] ou ses locataires, sauf rares exceptions et à l'établissement de factures, certaines n'ayant jamais été payées, et que seule une somme de 250.000 ¿ s'expliquait par un prêt accordé à [M] [N], en produisant les éléments de preuve à l'appui, ce qui était de nature à exclure toute surfacturation et la connaissance par Mme [L] de la nature des opérations en cause, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 313-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et 313-1 du code pénal :
12. Il résulte du premier de ces textes que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. Le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Aux termes du second, l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
14. Pour déclarer M. [N] et la société [4] coupables d'escroquerie aggravée, l'arrêt relève que 1 317 000 euros ont été transférés au bénéfice de la société entre le 26 avril 2018 et le 7 décembre 2019, dont 385 000 euros le 1er août 2019, en dépit de l'altération manifeste de l'état mental de Mme [L].
15. Les juges retiennent que M. [N] a avoué avoir créé la société [3] avec 185.000 euros d'apport de Mme [L], avoir utilisé le compte de cette dernière pour payer une facture de 71 597,79 euros due par sa société, procédé à des surfacturations de ses travaux et signé des chèques à la place de Mme [L].
16. Ils ajoutent qu'il a organisé la dépendance de sa victime, âgée de 94 ans, dont il connaissait la vulnérabilité.
17. Ils en concluent que les éléments constitutifs de l'escroquerie aggravée sont réunis à l'encontre des deux prévenus.
18. En prononçant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence de manoeuvres frauduleuses ayant trompé la victime sur la réalité de travaux réalisés sur ses biens immobiliers et l'ayant conduite à remettre elle-même des fonds au prévenu, n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation est limitée à la culpabilité du chef d'escroquerie aggravée, aux peines et aux condamnations civiles. Les déclarations de culpabilité des autres chefs sont maintenues.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 20 avril 2023, en ses seules dispositions relatives à la culpabilité du chef d'escroquerie aggravée, aux peines et aux condamnations civiles, les déclarations de culpabilité des autres chefs étant maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.