LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu selon l'arrêt attaqué que M. X..., engagé le 5 septembre 2011 en qualité de chauffeur routier par la société Sarrion Normandie, a été victime le 1er décembre suivant d'un accident de la circulation avec un véhicule de l'entreprise ; qu'il a été licencié pour faute grave par lettre du 19 décembre 2011, après mise à pied conservatoire, alors que son contrat était suspendu à la suite de cet accident du travail ;
Attendu que pour décider que le licenciement du chauffeur poids lourd était nul et condamner son employeur à lui payer des dommages-intérêts et diverses autres sommes, l'arrêt retient que l'employeur n'a pas fait expertiser le véhicule afin de pouvoir écarter toute défaillance de ce dernier et se borne à produire des conclusions techniques d'un garage établies le 12 avril 2004 soit plusieurs mois après l'accident ;
Qu'en statuant ainsi alors que l'employeur justifiait de ce que le véhicule avait été vu avant travaux les 6 décembre 2011 et 3 février 2012 puis pendant les travaux les 2 mars et 10 avril 2012 par M. Y..., expert en automobile, spécialiste poids lourds, agréé rédacteur des conclusions techniques pour le compte du bureau central des assureurs, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la société Sarrion Normandie.
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a décidé qu'une faute grave ne pouvait être retenue à l'encontre de M. X..., que dès lors le licenciement devait être déclaré nul en application de l'article L 1226-9 du code du travail, qu'au titre de son préjudice, une indemnité de 8 500 euros devait être allouée à M. X..., sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail, outre le paiement de rappel de salaires pour la période de la mise à pied conservatoire et le paiement d'indemnités de préavis de congés payés ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « la lettre de licenciement est annexée à l'arrêt ; que la société sollicite la production de la facture détaillée du téléphone portable du salarié de décembre 2011 ainsi que le contrat d'abonnement afférent à cette période ; que cependant, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, ne fait pas référence à l'utilisation d'un téléphone portable par le salarié au moment de l'accident ; qu'en outre, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve des griefs invoqués à l'appui du licenciement pour faute grave ; qu'il est reproché au salarié une vitesse excessive : 82 km/heure alors que la vitesse était limitée à 80 km/heure et une inadaptation de sa conduite eu égard aux circonstances ; qu'il résulte de la lecture du chronotachygraphe numérique du camion que le véhicule a ralenti à 30 km/heure, puis accéléré subitement, sans discontinuité pour atteindre une vitesse de 82 km et que le camion a donc pris une vitesse de plus de 50 km/heure en quelques secondes ; que l'employeur n'a pas fait expertiser le véhicule afin de pouvoir écarter toute défaillance de ce dernier et se borne à produire des conclusions techniques d'un garage établies le 12 avril 2004, soit plusieurs mois après l'accident, et une lettre du directeur après-vente Renault Trucks France indiquant : « Pour répondre à votre demande, la montée en vitesse d'un véhicule ne peut être déclenchée seule par les systèmes des véhicules, celle-ci est toujours le résultat d'une commande d'accélération pied ou par le "Cruise control", donc sur ordre du conducteur ; que dans nos usines, en fin de montage, les véhicules sont tous testés sur des bancs et par un roulage en piste d'essais ; que nous pouvons donc attester que tous les véhicules sont livrés avec un fonctionnement correct, gage de notre qualité et de nos certifications ISO » ; que cette lettre, au demeurant rédigée en termes généraux, ne présente aucune force probante comme émanant du directeur après-vente de la société ayant construit le véhicule ; que le bon fonctionnement du véhicule n'est donc pas établi ; qu'en outre, l'employeur ne démontre pas que la vitesse était limitée à 80 km au lieu de l'accident, il s'ensuit que la faute grave invoquée par l'employeur n'est pas démontrée. ; que le jugement sera confirmé. M. X... a été licencié alors qu'il était en arrêt de travail consécutif à un accident professionnel ; que faute pour l'employeur d'avoir démontré l'existence d'une faute grave, le licenciement de M. X... est nul. » ;
AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE «le licenciement pour faute grave a été prononcée dans les termes suivants " .. En raison de votre poste de conducteur routier professionnel, il est de votre devoir de respecter scrupuleusement les limitations de vitesse et de toujours adapter votre vitesse aux spécificités de la route ; qu'un tel accident dénote un manquement grave à vos obligations professionnelles et démontre clairement que vous faites preuve de la plus grande légèreté et désinvolture à l'égard des règles de sécurité les plus élémentaires ; qu'il est évident que de tels faits ne sauraient être acceptés par la société et ne nous permettent plus de maintenir les relations contractuelles, en outre ils caractérisent un manque de professionnalisme que nous ne saurions que condamner" ; que par un arrêt du 14 décembre 1989, la Cour d'Appel de Grenoble a considéré que ne revêt pas un caractère suffisamment sérieux pour justifier un licenciement, la faute commise par un salarié chauffeur ayant occasionné un accident de la circulation ; que dans un arrêt du 16 mars 2011, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a retenu la chose suivante "Attendu qu'ayant relevé que le salarié n'avait jamais été sanctionné pour un dépassement de vitesse et qu'il résultait des disques chronotachygraphes que ce n'est que très rarement et de manière extrêmement brève qu'il avait pu dépasser la vitesse autorisée, la cour d'appel a pu en déduire que ce comportement ne constituait pas une faute grave et, exerçant le pouvoir qu'elle tient de l'article L. 12354 du Code du travail, décider que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse" ; que la Chambre sociale de la Cour d'appel d'Angers a également jugé que "ne justifie pas d'une cause réelle et sérieuse, l'employeur qui, pour licencier un conducteur pour faute grave, prend argument de ce que son salarié aurait conduit à une vitesse excessive lors d'un accident de la circulation causé par ce dernier" ; qu'en l'espèce, la vitesse retenue par le chronotachygraphe du véhicule de Monsieur Frédéric X... lors de son accident était de 82 km/h au lieu de 80 km/h soit 2km/h au-dessus de la vitesse autorisée ; que c'est à l'employeur qui invoque la faute grave du salarié d'établir la preuve de la réalité des faits qu'il invoque et de leur imputabilité au salarié ; qu'il n'appartient en aucun cas au salarié de rapporter la preuve d'une défaillance mécanique de son véhicule comme le prétend la SARL TRANSPORTS SARRION qui de son côté ne rapporte pas la démonstration d'une faute grave de conduite qu'elle ne fait que supposer ; qu'en matière disciplinaire, le doute doit profiter au salarié, qu'en conséquence, la faute grave justifiant le licenciement de Monsieur Frédéric X... n'est pas établie et que dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande de rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire ainsi qu'aux demandes relatives à l'indemnité de préavis et aux congés afférents ; Sur le licenciement d'un salarié au cours de la suspension de son contrat de travail ; que l'article L.1226-9 du Code du travail précise que la résiliation d'un contrat à durée indéterminée est nulle lorsqu'elle est prononcée au cours d'une suspension résultant d'un arrêt de travail provoqué par un accident de travail ; qu'en l'espèce, le licenciement pour faute grave de Monsieur Frédéric X... est intervenu par courrier recommandé en date du 19 décembre 2011, soit pendant la période de suspension de son contrat de travail liée à un accident du travail ;qu'en conséquence, le licenciement prononcé par la SARL TRANSPORTS SARRION à l'encontre de Monsieur Frédéric X... est nul ; qu'aux termes de l'article L.1235-5 du Code du Travail, un salarié justifiant de moins de deux ans d'ancienneté peut prétendre à une indemnité réparant l'intégralité de son préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement ; qu'en conséquence, il y' a lieu de faire droit à sa demande de dommages et intérêts. » ;
ALORS QUE, premièrement, indépendamment de la vitesse excessive, la lettre de licenciement dénonçait le fait que la conduite du véhicule, à l'approche d'un carrefour, commandé par un feu rouge, était inadaptée aux conditions de la circulation, sachant qu'il est constant qu'un véhicule poids lourds précédait celui conduit par M. X... ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce point, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles L.1232-6 et L. 1234-1 du code du travail, ensemble au regard des articles L 1226-9 et L 1235-3 du code du travail, et des articles R 412-6, R 412-12, R.415-1 et R 413-17 du code de la route ;
ALORS QUE, deuxièmement, faute de rechercher, comme l'employeur le demandait expressément (conclusions d'appel, p. 5 spécialement avant-dernier alinéa) si la vitesse, n'était pas limitée à 50 km/h ainsi que l'établissait la pièce n°15 qu'ils devaient examiner, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles L.1232-6 et L. 1234-1 du code du travail, ensemble au regard des articles L 1226-9 et L 1235-3 du code du travail, et des articles R 412-6, R 412-12, R.415-1, R 413-1, R 413-17 du code de la route ;
ALORS QUE, troisièmement, il résulte de la pièce n°8 que le véhicule a bien été examiné par un expert en automobile (M. Yannick Y...) lequel a établi le rapport produit, et ce chez le garagiste qui était par ailleurs appelé à réaliser les travaux ; qu'en énonçant que la société SARRION TRANSPORTS se bornait à produire l'avis d'un garage, et non l'avis d'un expert, les juges du fond ont dénaturé le document correspondant à la pièce n°8, intitulée « conclusions techniques » émanant de M. Y... Yannick, expert en automobile ;
ALORS QUE, quatrièmement, il résulte de la pièce n°8 ¿ rappelons le, établie par un expert en automobile ¿ que le véhicule a été examiné avant travaux, le 6 décembre 2011 et le 3 février 2012, puis pendant les travaux, le 2 mars 2012 et le 10 avril 2012 ; qu'en s'abstenant de rechercher si le rapport d'expertise établi le 12 avril 2012 (et non le 12 avril 2004 comme mentionnait par erreur l'arrêt), ne rendait pas compte d'investigations effectuées dans les jours qui ont suivi l'accident, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard des articles L 1226-9 et L 1235-3 du code du travail.