LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-84.860 F-D
N° 01148
MAS2
1ER OCTOBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER OCTOBRE 2024
La société [1], partie intervenante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 22 juin 2023, qui, dans la procédure suivie contre la société [2] du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société [1], les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [H] [M], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouche-du-Rhône, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a déclaré la société [2] coupable de blessures involontaires, dans le cadre du travail, au préjudice de salariés de la société [3], dont M. [H] [M].
3. Par jugement sur intérêts civils, cette juridiction a notamment condamné la société [2] à payer à M. [M] diverses sommes au titre de ses préjudices et à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (CPAM) la somme de 210 226,61 euros au titre de ses débours en lien avec l'accident.
4. La société [1], assureur de la société [2], a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur intérêts civils entrepris, en ce qu'il a condamné la société [2] à rembourser à la CPAM les sommes versées dans l'intérêt de M. [M] en lien avec son accident, soit notamment la somme de 210 226,61 euros pour sa créance, alors que :
« 1°/ que le recours d'un tiers payeur s'impute poste par poste sur les indemnités que les sommes déboursées ont vocation à réparer ; qu'en s'étant abstenue d'imputer la somme de 80 631,92 ¿ sur le poste de PGPA que les indemnités journalières versées par la CPAM des Bouches-du-Rhône avaient vocation à réparer, la cour d'appel a violé les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 ;
2°/ que la rente AT versée par une caisse de sécurité sociale à la victime d'un accident du travail, laquelle a vocation à indemniser son préjudice économique professionnel futur, s'impute sur les seuls postes de PGPF et d'IP ; qu'en ayant fait droit au recours subrogatoire de la CPAM des Bouches-du-Rhône à hauteur de la somme de 127 976,84 ¿, versée et capitalisée au titre de la PGPF subie par M. [M], quand celui-ci avait été débouté de ce poste de préjudice et qu'il n'y avait pas d'IP, la cour d'appel a violé les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 ;
3°/ que la rente AT a vocation à réparer le poste de PGPF et celui d'incidence professionnelle ; qu'en ayant affirmé que la rente AT versée par la CPAM des Bouches-du-Rhône n'était pas en lien avec le poste de PGPF subi par M. [M], la cour d'appel a violé les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 ;
4°/ que les juges doivent motiver leur décision ; qu'en ayant fait droit au recours subrogatoire de la CPAM des Bouches-du-Rhône au titre de la rente AT versée par elle à M. [M], en énonçant que cette rente n'était nullement en lien avec le poste de PGPF, sans dire à quoi elle correspondrait et alors que la caisse elle-même avait énoncé que la rente AT avait vocation à indemniser le poste de PGPF, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision, en violation des articles 593 du code de procédure pénale et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 31, alinéa 1er, de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :
6. Aux termes de ce texte, les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.
7. Pour condamner la société [2] à rembourser à la CPAM la somme de 210 226,61 euros, l'arrêt attaqué constate que la créance de celle-ci recouvre les indemnités journalières et la rente d'accident du travail versées à la victime.
8. Les juges retiennent que les parties n'ont pas contesté la somme allouée par les premiers juges au titre de la perte de gains professionnels actuels.
9. Ils relèvent que le montant de la rente n'est pas en lien avec l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, ce poste de préjudice n'étant en outre pas justifié par le demandeur.
10. Ils en concluent qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la CPAM et de condamner la société [1] à payer le montant des débours versés à la victime au titre des indemnités journalières et de la rente.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.
12. Le recours subrogatoire de la CPAM étant limité par l'assiette du poste de la perte de gains professionnels actuels, le montant des indemnités journalières devait être imputé sur la somme allouée au titre de ce poste de préjudice.
13. En outre, la victime ayant été déboutée de sa demande d'indemnisation au titre de la perte des gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle, aucune imputation du capital versé à titre de rente n'était possible.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 22 juin 2023, mais en ses seules dispositions relatives à l'imputation des débours de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, sur les postes de la perte de gains professionnels actuels et futurs et de l'incidence professionnelle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille vingt-quatre.