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10/10/2018 | FRANCE | N°419406

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 10 octobre 2018, 419406


Vu la procédure suivante :

La communauté intercommunale Réunion Est (CIREST) et M. A...Virapoullé ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution du marché de services de tri, traitement, stockage, enfouissement et valorisation des déchets non dangereux au centre de valorisation des déchets situé sur la commune de Sainte-Suzanne, signé le 10 novembre 2017, et, d'autre part, d'exiger la communication de toutes les pièces du contrat.

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Vu la procédure suivante :

La communauté intercommunale Réunion Est (CIREST) et M. A...Virapoullé ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution du marché de services de tri, traitement, stockage, enfouissement et valorisation des déchets non dangereux au centre de valorisation des déchets situé sur la commune de Sainte-Suzanne, signé le 10 novembre 2017, et, d'autre part, d'exiger la communication de toutes les pièces du contrat.

Par une ordonnance n° 1800022 du 13 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a rejeté leur demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 mars et 12 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CIREST et M. Virapoullé demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge du syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est (SYDNE) et de la société Inovest la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la communauté intercommunale Réunion Est et de M. Virapoullé, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat du syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est, et à la SCP Boulloche, avocat de la société Inovest.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 septembre 2018, présentée par le SYDNE ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 septembre 2018, présentée par la société Inovest ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 octobre 2018, présentée par le CIREST et M. Virapoullé ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est (SYDNE) a conclu, le 10 novembre 2017, avec la société Inovest, sans publicité ni mise en concurrence préalables, un marché de services de tri, traitement, stockage et enfouissement des déchets non dangereux, pour un montant de 243 millions d'euros et une durée de quinze ans ; que la communauté intercommunale Réunion Est (CIREST), membre du SYDNE, et son président M. Virapoullé, premier vice-président du comité syndical du SYDNE, ont présenté un recours en contestation de la validité de ce marché devant le tribunal administratif de La Réunion ; qu'ils ont également présenté, devant le juge des référés de ce tribunal, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, une demande de suspension de l'exécution du marché et de communication de l'ensemble des documents contractuels ; que le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a rejeté cette demande par une ordonnance du 13 février 2018 contre laquelle la CIREST et M. Virapoullé se pourvoient en cassation ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) " ; que, lorsque le tribunal administratif est saisi d'une demande contestant la validité d'un contrat, le juge des référés peut être saisi, sur ce fondement, d'une demande tendant à la suspension de son exécution ; que lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la validité de ce contrat et à conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation, eu égard aux intérêts en présence, il peut ordonner la suspension de son exécution ;

3. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée qu'après avoir relevé que le comité syndical du SYDNE avait, par une délibération du 9 novembre 2017, autorisé son président à signer le contrat litigieux au vu d'un rapport qui ne comportait pas le prix du marché et sans disposer du projet de contrat ni d'aucun document préparatoire ou annexe, et sans pouvoir, en conséquence, appréhender la totalité des modalités d'exécution et les risques financiers de ce contrat, le juge des référés s'est fondé sur la circonstance qu'un tel vice, alors même qu'il serait de nature à entraîner l'annulation du contrat, était au nombre de ceux qui peuvent être régularisés par l'adoption d'une nouvelle délibération, pour en déduire qu'il n'était pas de nature à susciter un doute sérieux quant à la légalité du marché en litige ; qu'en jugeant ainsi qu'un vice affectant les conditions dans lesquelles la personne publique a donné son consentement à être liée par un contrat ne saurait conduire à sa suspension, au seul motif qu'il est susceptible d'être régularisé et n'est donc pas de nature à entraîner inéluctablement l'annulation du contrat, le juge des référés a entaché son ordonnance d'erreur de droit ; que, par suite, les requérants sont fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à en demander l'annulation ;

4. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Sur la recevabilité de la demande :

5. Considérant, d'une part, que les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales qui a conclu un contrat administratif sont recevables à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de celui-ci, dès lors que ce recours est exercé dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées relatives à sa conclusion, et peuvent l'assortir d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de son exécution ; que M. Virapoullé, membre du comité syndical du SYDNE, est, par suite, recevable à demander la suspension du marché conclu par le SYDNE ;

6. Considérant, d'autre part, que tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est également recevable à former un tel recours et à l'assortir d'une demande tendant à la suspension du contrat ; qu'il ressort des pièces du dossier que la CIREST et la communauté intercommunale du Nord de la Réunion ont constitué, en 2014, le SYDNE pour exercer leurs compétences en matière de traitement des déchets ; que la CIREST finance une part importante du budget du SYDNE, en fonction notamment du tonnage de déchets traités ; que la passation du marché, compte tenu notamment de son montant et de sa durée, est susceptible de la léser dans ses intérêts de façon directe et certaine ; qu'ainsi, la fin de non recevoir soulevée par la société Inovest à l'encontre du SYDNE doit être écartée ;

Sur l'urgence :

7. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, le marché dont la suspension est demandée a été conclu pour un montant de 243 millions d'euros et une durée de quinze ans afin de permettre la mise en oeuvre de l'objet statutaire du syndicat, dont il engage une part importante des ressources ; qu'il implique que soient entrepris dans un bref délai les travaux de construction d'un centre de valorisation des déchets, pour lequel la société Inovest a parallèlement obtenu une autorisation préfectorale au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ; que l'exécution du marché risque ainsi d'affecter de façon substantielle les finances du SYDNE et est susceptible de créer, à brève échéance, une situation difficilement réversible ; que les requérants soutiennent en outre, sans être sérieusement contestés, que les conséquences indemnitaires d'une annulation ou d'une résiliation du contrat par le juge du fond seraient d'autant plus graves pour les finances du syndicat que les investissements liés à l'exécution du marché auraient déjà été réalisés ; que ces circonstances caractérisent une atteinte grave et immédiate aux intérêts du SYDNE dont peuvent se prévaloir tant M. Virapoullé que, dans les circonstances de l'espèce, la CIREST ;

8. Considérant, par ailleurs, qu'il ne résulte pas de l'instruction que le site actuel de stockage des déchets arriverait à saturation dans un délai tel que la suspension du marché contesté porterait une atteinte grave et immédiate à un intérêt public ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ;

Sur l'existence d'un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du contrat et à conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation :

10. Considérant qu'aux termes du I de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " Les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : (...) / 3° Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l'une des raisons suivantes : (...) / b) Des raisons techniques. (...) / Les raisons mentionnées aux b et c ne s'appliquent que lorsqu'il n'existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l'absence de concurrence ne résulte pas d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché public " ;

11. Considérant, en premier lieu, que, pour justifier le recours à une procédure de négociation sans publicité ni mise en concurrence, l'avis d'attribution du marché se fonde sur un risque de saturation de l'installation de stockage des déchets non dangereux dès 2020 et sur le fait que la société Inovest, qui a obtenu un permis de construire et une autorisation d'exploiter portant sur un centre de valorisation des déchets non dangereux, serait le seul opérateur en capacité de répondre aux besoins du SYDNE et d'apporter une solution de tri et de valorisation des déchets non dangereux pouvant être mise en oeuvre courant 2019 ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que compte tenu des flux actuels d'enfouissement des déchets et des capacités de l'installation de stockage, celle-ci ne devrait pas être saturée avant la fin de 2021 ; que l'objectif tenant à ce que l'exploitation du nouveau centre de traitement des déchets soit effective au plus tard en septembre 2019 est lié à la circonstance que l'autorisation délivrée à la société Inovest par un arrêté préfectoral du 15 septembre 2016 est susceptible d'être frappée de caducité au terme d'un délai de trois ans ; qu'il n'apparaît pas qu'aucun autre opérateur économique n'aurait pu se manifester si le calendrier retenu par le SYDNE avait été différent ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'il existait une solution alternative ou de remplacement raisonnable, de ce que l'absence de concurrence résultait d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché public et de ce que, par voie de conséquence, le SYDNE, en passant le marché sans publicité ni mise en concurrence, a méconnu les dispositions de l'article 30 du décret est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur sa validité et à conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation ;

12. Considérant, en second lieu qu'aux termes du I de l'article 16 du décret du 25 mars 2016 : " Sous réserve des dispositions de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée et du présent décret relatives à la durée maximale de certains marchés publics, la durée d'un marché public est fixée en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d'une remise en concurrence périodique " ; qu'eu égard à la circonstance que le contrat litigieux est un marché de services, au terme duquel le centre de tri qui doit être réalisé par la société Inovest n'est pas destiné à faire retour à la collectivité, le moyen tiré de ce que sa durée, fixée à quinze ans, méconnaît ces dispositions, est également de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la validité du marché et à conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la CIREST et M. Virapoullé sont fondés à demander la suspension de l'exécution du marché de services de tri, traitement, stockage, enfouissement et valorisation des déchets non dangereux au centre de valorisation des déchets situé sur la commune de Sainte-Suzanne, signé le 10 novembre 2017 ;

Sur les autres conclusions de la demande :

14. Considérant que la communication aux requérants de certains documents contractuels dont ils soutiennent n'avoir pu obtenir connaissance ne se révélant pas nécessaire dans le cadre de la présente instance, les conclusions de la CIREST et de M. Virapoullé tendant à ce qu'il soit enjoint au SYDNE de les leur communiquer ne peuvent qu'être rejetées ;

15. Considérant, enfin, que le mémoire complémentaire de la CIREST et de M. Virapoullé ne contient pas d'imputation à caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire, au sens des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, de nature à en faire prononcer la suppression ; qu'il n'y a pas lieu, par suite de faire droit aux conclusions de la société Inovest tendant à une telle suppression ;

16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SYDNE et de la société Inovest la somme de 2 000 euros chacun à verser à la CIREST et à M. Virapoullé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 13 février 2018 du juge des référés du tribunal administratif de La Réunion est annulée.

Article 2 : L'exécution du marché de services de tri, traitement, stockage, enfouissement et valorisation des déchets non dangereux au centre de valorisation des déchets situé sur la commune de Sainte-Suzanne, signé le 10 novembre 2017, est suspendue.

Article 3 : Le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est et la société Inovest verseront à la communauté intercommunale Réunion Est et à M. Virapoullé une somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la communauté intercommunale Réunion Est et de M. Virapoullé est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la société Inovest et du syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la communauté intercommunale Réunion Est, à M. A...Virapoullé, au syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est et à la société Inovest.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 419406
Date de la décision : 10/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2018, n° 419406
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Yves Ollier
Rapporteur public ?: M. Olivier Henrard
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD ; SCP BOULLOCHE ; SCP MONOD, COLIN, STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:419406.20181010
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