Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... M..., M. S... N..., M. C... I..., M. A... E..., M. R... Q..., Mme G... H... et M. O... J..., représentés par Me L..., ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 4 avril 2016 par laquelle le préfet des Deux-Sèvres a rejeté leur demande de création d'une nouvelle commune à Les Jumeaux par modification des limites territoriales de la commune d'Assais-les-Jumeaux et d'enjoindre audit préfet de prendre un arrêté ordonnant la séparation des communes associées d'Assais et de Les Jumeaux.
Par un jugement n° 1601171 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 mai 2018 et le 3 décembre 2018, M. F... M..., M. S... N..., M. C... I..., M. A... E..., M. R... Q..., Mme G... H... et M. O... J..., représentés par Me L..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 mars 2018 ;
2°) d'annuler la décision du préfet des Deux-Sèvres du 4 avril 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Deux-Sèvres de prendre, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, un arrêté ordonnant la séparation des communes associées d'Assais et de Les Jumeaux ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros à leur verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête d'appel est recevable en ce qu'elle comporte des critiques du jugement attaqué ;
- le préfet des Deux-Sèvres n'a pas motivé sa décision dès lors qu'il s'est abstenu de préciser les raisons pour lesquelles la " défusion " ne pouvait être admise ;
- il a entaché sa décision d'une erreur de droit en se fondant, pour rejeter la demande de " défusion ", sur des critères tirés de la légitimité de la fusion et de l'absence d'atteinte à l'intérêt général ;
- il a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en justifiant sa décision par le resserrement des liens entre les communes d'Assais et de Les Jumeaux ;
- il a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'organisation existante ne faisait pas obstacle au développement de la collectivité ainsi constituée ;
- il a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'intérêt général n'était pas lésé par l'organisation actuelle dont les populations n'avaient pas à pâtir : les investissements n'ont profité qu'à la commune d'Assais et ses habitants, la répartition du budget des investissements réalisés entre 2000 et 2016 a été inéquitable, elle est contraire au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, les équipements et infrastructures ont tous été réalisés sur le territoire de la commune d'Assais, la population est majoritairement favorable à la " défusion ", la gestion de la collectivité existante profite uniquement à la commune d'Assais ;
- il a entaché sa décision d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la " défusion " menacerait la capacité financière de la commune d'Assais, une telle opération n'étant notamment pas susceptible d'avoir une incidence sur la répartition de l'ancienne taxe professionnelle ni de provoquer une augmentation des charges ;
- l'absence de règlement définitif des modalités de répartition financière ne saurait faire obstacle au prononcé d'une " défusion ", d'autant moins que 1'article L 2112-10 du code général des collectivités territoriales autorise le préfet qui modifie les limites territoriales d'une commune à en arrêter toutes les conditions et à prévoir des modalités transitoires.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 octobre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense enregistrés le 20 novembre 2018 et le 8 février 2019, la commune d'Assais-les-Jumeaux, représentée par Me P..., conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête et, à titre subsidiaire, au rejet de celle-ci ainsi qu'à la mise solidaire à la charge des appelants de la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 mars 2018 ne sont assorties d'aucun moyen ;
- les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.
Par un courrier enregistré le 10 janvier 2019, la cour a été informée du décès de M. M... et, par un courrier du 21 juin 2019, de la décision de ses héritiers de ne pas reprendre l'instance.
Par une ordonnance du 22 juillet 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 3 septembre 2019 à 12 h.
Les parties ont été informées, par un courrier en date du 3 septembre 2020, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du préfet des Deux-Sèvres du 4 avril 2016, moyen de légalité externe se rattachant à une cause juridique distincte de celle à laquelle se rattachaient les moyens soulevés devant le tribunal administratif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... B... ;
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public ;
- et les observations de Me K..., représentant la commune d'Assais-les-Jumeaux.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 19 janvier 1973 prenant effet au 1er février 1973, le préfet des Deux-Sèvres a prononcé la fusion avec association des communes d'Assais et de Les Jumeaux pour créer la commune d'Assais-les-Jumeaux. Le 7 avril 2004, une première pétition en faveur du détachement de la commune d'Assais, regroupant plus du tiers des électeurs inscrits sur la liste électorale de la partie du territoire de Les Jumeaux, a été déposée en sous-préfecture. Elle a été confirmée un an plus tard par une seconde pétition présentée par plus du tiers des électeurs de la commune de Les Jumeaux. Par une lettre en date du 16 février 2004, le maire délégué de Les Jumeaux a demandé au sous-préfet de Parthenay de mettre en oeuvre une procédure de " défusion ". Par un jugement du 3 décembre 2008 passé en force de chose jugée, le tribunal administratif de Poitier a annulé pour erreur de droit la décision implicite par laquelle le préfet des Deux-Sèvres a rejeté cette demande. Estimant, à la suite notamment d'une enquête publique qui s'est déroulée du 27 avril au 22 mai 2009, d'un avis favorable du commissaire enquêteur du 20 juin 2009 et d'un avis également favorable de la commission communale du 30 juin 2009, que la procédure avait été menée à son terme, M. M..., alors maire délégué de Les Jumeaux, a demandé à l'autorité préfectorale de prendre un arrêté de " défusion ". Par un jugement du 3 mars 2016 passé en force de chose jugée, le tribunal administratif de Poitiers a annulé pour erreur de droit la décision du 13 septembre 2013 du préfet des Deux-Sèvres rejetant cette demande et a enjoint à cette autorité de prendre une nouvelle décision dans un délai de 3 mois. En exécution de ce jugement, le préfet, par une décision du 4 avril 2016, a refusé de prononcer la " défusion " des communes d'Assais et de Les Jumeaux. Par un jugement du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande tendant à l'annulation de cette décision. M. M... et six autres appelants relèvent appel de ce jugement.
2. Selon l'article R. 634-1 du code de justice administrative : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer avocat. ".
3. Le décès de M. M... a été porté à la connaissance de la cour par un courrier enregistré le 10 janvier 2019. A la date de ce décès, l'affaire était en état d'être jugée. Dès lors, il y a lieu de statuer alors même que les héritiers ont déclaré ne pas reprendre l'instance.
Sur la légalité de la décision du 4 avril 2016 :
4. Les demandes tendant au rétablissement comme communes distinctes de plusieurs communes dont la fusion a été prononcée dans les conditions prévues par les dispositions de la loi du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes constituent des demandes de modifications des limites territoriales d'une commune qui relèvent de la procédure définie aux articles L. 2112-2 et suivants du code général des collectivités territoriales. Selon l'article L. 2112-2 de ce code : " Les modifications aux limites territoriales des communes et le transfert de leurs chefs-lieux sont décidés après enquête publique (...). Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2112-3 du même code : " Si le projet concerne le détachement d'une section de commune ou d'une portion du territoire d'une commune, soit pour la rattacher à une autre commune, soit pour l'ériger en commune séparée, un arrêté du représentant de l'Etat dans le département institue, pour cette section ou cette portion de territoire, une commission qui donne son avis sur le projet. ". L'article L. 2112-4 dudit code dispose que : " Après accomplissement des formalités prévues aux articles L. 2112-2 et L. 2112-3, les conseils municipaux donnent obligatoirement leur avis. ". Selon l'article L. 2112-5 de ce code : " (...) les décisions relatives à la modification des limites territoriales des communes et à la fixation ou au transfert de chefs-lieux résultant ou non de cette modification sont prononcées par arrêté du représentant de l'Etat dans le département. (...) ". Aux termes de l'article L. 2112-6 du code général des collectivités territoriales : " Tout projet de modification des limites territoriales des communes est soumis à l'avis du conseil départemental (...) ".
5. En premier lieu, les appelants ne se sont prévalus devant le tribunal administratif de Poitiers, à l'appui de leurs conclusions à fin d'annulation, que de moyens de légalité interne. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du préfet des Deux-Sèvres du 4 avril 2016, moyen qui relève de la légalité externe, est ainsi fondé sur une cause juridique distincte. Il constitue une demande nouvelle en appel et est, par suite, irrecevable.
6. En second lieu, il résulte des dispositions citées au point 4 qu'il appartient au préfet saisi d'une demande de " défusion " de se prononcer sur celle-ci en prenant en compte l'ensemble des éléments du dossier, notamment la volonté des conseils municipaux concernés et la pertinence du projet de " défusion " au regard de l'objectif de rationalisation de l'action administrative et de la bonne gestion des services publics.
7. Pour rejeter la demande de " défusion " des communes d'Assais et de Les Jumeaux, le préfet des Deux-Sèvres s'est fondé sur les motifs tirés de ce que, premièrement, l'évolution du rôle des communes et les exigences de l'aménagement du territoire requéraient de privilégier le resserrement des liens entre les collectivités locales, deuxièmement, l'organisation actuelle de la commune d'Assais-les-Jumeaux n'avait pas fait obstacle au développement de la collectivité constituée et de leurs services mutualisés, troisièmement, l'intérêt général n'a pas été lésé par cette organisation dont la population n'a pas eu à pâtir, quatrièmement, la " défusion " entraînerait des difficultés de financement des investissements des communes devenues distinctes ainsi qu'un accroissement de leurs charges de fonctionnement et, cinquièmement, il n'existait aucun accord véritable ni sur les modalités patrimoniales et financières de la scission ni sur un mode d'organisation futur pour assurer de manière conjointe la gestion des principaux services publics.
8. D'une part, l'appréciation que porte le préfet sur une demande de détachement d'une partie du territoire d'une commune peut porter tant sur la situation actuelle de la commune que sur les avantages et les inconvénients attendus du détachement projeté. En outre, le préfet peut également prendre en compte des considérations générales relatives à l'organisation territoriale de la République pour guider son analyse. Dès lors, ainsi que l'ont à bon droit relevé les premiers juges, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit en ne se bornant pas à opérer une analyse des avantages et des inconvénients du détachement sollicité.
9. D'autre part, d'abord, si le commissaire enquêteur a émis, le 20 juin 2009, un avis favorable à la demande de détachement de la commune de Les jumeaux et a relevé qu'environ 90 personnes s'étaient exprimées pour ce projet, il a également constaté que plus de 70 personnes n'y étaient pas favorables et a annexé à son rapport une pétition signée par 145 personnes ayant notamment adhéré à l'idée selon laquelle " une séparation des deux communes entraînerait la perte de (leur) véritable identité communale ". Il ressort, en outre, des pièces du dossier que le conseil municipal d'Assais-les-Jumeaux et le conseil général des Deux-Sèvres ont respectivement émis, le 28 juillet 2009 et le 28 septembre 2009, un avis défavorable à la " défusion ".
10. Ensuite, les appelants soutiennent que le développement de la commune d'Assais-les-Jumeaux se fait au bénéfice exclusif de la commune associée d'Assais qui concentre la majeure partie des équipements publics. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment du rapport du commissaire enquêteur, que si ces équipements sont principalement installés dans le bourg d'Assais, qui regroupe 64,19% de la population d'Assais-Les-Jumeaux, ils profitent à l'ensemble des habitants de cette commune. Il n'est pas établi par les appelants, qui notamment ne précisent pas les actions nécessaires au développement du bourg de Les Jumeaux qui n'auraient pas été réalisées, que l'érection de deux communes comptant respectivement en 1999, 513 et 298 habitants, en lieu et place d'une commune de 811 habitants, permettrait de satisfaire l'objectif de rationalisation de l'action administrative et de la bonne gestion des services publics. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la fusion-association des communes d'Assais et de Les Jumeaux aurait nui au développement de la commune d'Assais-les-Jumeaux ou plus largement à l'intérêt général de ses habitants. Si les appelants soutiennent que les deux communes sont membres du même établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et qu'elles pourraient s'entendre pour conclure des conventions, il est constant qu'aucun accord n'a été trouvé en ce qui concerne les modalités de la " défusion " sollicitée.
11. Enfin, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'étude financière réalisée le 26 juin 2013 par la direction départementale des finances publiques à la demande du préfet, que, d'une part, la " défusion " entraînerait un accroissement des charges et donc potentiellement de la fiscalité locale de chacune des deux communes en étant issue. D'autre part, dans l'hypothèse d'un reversement de fiscalité professionnelle progressif de la commune d'Airvault vers la commune de Les Jumeaux comme dans celle de toute absence de reversement aux communes nouvellement distinctes, la commune d'Assais rencontrerait des difficultés financières.
12. Dans ces conditions, ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que les motifs sur lesquels reposent la décision du préfet des Deux-Sèvres du 4 avril 2016 sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel, que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens, présentées par les appelants, doivent également être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des appelants la somme que demande la commune d'Assais-Les-Jumeaux au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F... M..., M. S... N..., M. C... I..., M. A... E..., M. R... Q..., Mme G... H... et M. O... J..., est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Assais-Les-Jumeaux sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. S... N..., désigné représentant unique, au ministre de l'intérieur et à la commune d'Assais-les-Jumeaux.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme D... B..., présidente-assesseure,
Mme G... Cherrier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2020.
Le rapporteur,
Karine B...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX01909 2