LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 24-81.263 F-D
N° 00806
RB5
12 JUIN 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUIN 2025
MM. [B] [W] et [M] [U] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 13 novembre 2023, qui a condamné le premier, pour faux et complicité de répartition de dividendes fictifs, à 15 000 euros d'amende, le second, pour répartition de dividendes fictifs, faux et usage, à six mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [B] [W], les observations de la SCP Richard, avocat de M. [M] [U], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de MM. [P] [G] et [I] [S], les sociétés [7], [1] et [6], et les conclusions de M. Fusina, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [3], ayant pour gérants MM. [M] [U] et [I] [F], était détentrice des titres de la société [1] ([1]), exploitant un [1] à la conduite moto, et de la société [6], propriétaire de la marque [1], sociétés dont le gérant était M. [U] et l'expert-comptable le cabinet [4], dirigé par M. [B] [W].
3. La société [3] a souhaité vendre les titres de la société [1] et le 30 juin 2015, un protocole de cession a été signé avec la société [7], dirigée par M. [G], prévoyant que cette première société devait être transformée en société par actions simplifiée (SAS) aux frais du cédant avant le 30 juillet 2015.
4. Une situation comptable intermédiaire de la société [1] a été établie par M. [W] le 23 juillet 2015 et, le 6 août 2015, la société [7], a acheté à la société [3] la totalité des titres des sociétés [1] et [6] pour la somme de 500 000 euros.
5. Une enquête pénale a été diligentée sur la base du signalement opéré par le commissaire aux comptes de la société [1].
6. MM. [U] et [F] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs de présentation de comptes inexacts pour dissimuler la situation de la société, répartition de dividendes fictifs, faux et usage, escroquerie et M. [W], des chefs de complicité de ces délits, à l'exclusion de l'usage de faux.
7. Les juges du premier degré ont prononcé la relaxe de M. [F], relaxé M. [U] et [W] des chefs de répartition de dividendes fictifs et escroquerie, pour le premier, et des chefs de complicité de ces délits pour le second, et les a condamnés pour le surplus, s'agissant de M. [U], à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 6 000 euros d'amende dont 3 000 euros avec sursis et une confiscation, et, s'agissant de M. [W], à six mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende et une confiscation, et ont prononcé sur les intérêts civils.
8. MM. [U] et [W], puis le ministère public, à titre incident, ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens proposés pour M. [U]
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé pour M. [W] et le premier moyen, proposé pour M. [U]
Enoncé des moyens
10. Le premier moyen proposé pour M. [W] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a requalifié les faits de complicité de présentation de comptes inexacts en faux, l'a déclaré coupable d'avoir, à Mérignac, le 23 juillet 2015, altéré frauduleusement la vérité dans la situation comptable intermédiaire, en omettant délibérément d'y faire figurer les produits constatés d'avance, altération de nature à causer un préjudice à l'acquéreur, fait prévu et réprimé par l'article 441-1 du code pénal et l'a déclaré coupable de faux dans les termes de la prévention, en altérant frauduleusement la vérité dans la situation comptable au 23 juillet 2014 de la société [1] par l'annulation à cette date d'honoraires de prestations de services facturés par la société [3] suivie de la réintégration le 31 juillet 2015 en charge dans les livres de la société [1] des mêmes honoraires de prestations de services, alors :
« 1°/ d'une part que s'il appartient au juge répressif de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition de n'y rien ajouter ; en requalifiant en faux les faits de complicité de présentation de comptes annuels inexacts, portant sur les comptes annuels établis au 31 décembre 2014 initialement poursuivis pour déclarer M. [W] coupable d'avoir, le 23 juillet 2015, altéré frauduleusement la vérité dans la situation comptable intermédiaire, cependant que la situation comptable intermédiaire du 23 juillet 2015 n'était pas comprise dans la poursuite et que M. [W] n'a jamais accepté d'être jugé de ce chef complémentaire, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et violé l'article 388 du code de procédure pénale ensemble l'article 6 § 3 a et b de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ d'autre part qu'en déclarant M. [W] coupable de faux, après requalification non contradictoire, pour avoir le 23 juillet 2015 altéré frauduleusement la vérité dans la situation comptable intermédiaire, en omettant délibérément d'y faire figurer les produits constatés d'avance, et également coupable de faux dans les termes de la prévention, pour avoir altéré frauduleusement la vérité dans la même situation comptable du 23 juillet 2015 de la société [1] par l'annulation à cette date pour un montant de 36 500 ¿ d'honoraires de prestations de services facturés par la SARL [3] à la Sarl [1], suivi de la réintégration le 31 juillet 2015 de ces honoraires pour un montant supérieur, la cour d'appel qui a prononcé deux déclarations de culpabilité pour une même infraction réprimant des faits absolument identiques, à savoir avoir établi une fausse situation comptable au 23 juillet 2015, a méconnu le principe ne bis in idem et l'article 4 du Protocole 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
11. Le premier moyen proposé pour M. [U] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a requalifié les faits de présentation de comptes inexacts en faux, l'a déclaré coupable de cette infraction et l'a condamné à indemniser les parties civiles, alors :
« 1°/ que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que la personne poursuivie ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en décidant que les faits initialement qualifiés de présentation de comptes inexacts devaient être requalifiés en faux, sans que Monsieur [U], qu'elle a déclaré coupable de cette infraction, ait été invité à se défendre sur cette nouvelle qualification, la Cour d'appel a violé l'article 388 du Code de procédure pénale ;
2°/ subsidiairement, qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; que l'infraction de faux suppose une altération frauduleuse de la vérité dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer Monsieur [U] coupable de faux par altération frauduleuse de la vérité dans la situation comptable intermédiaire de la Société [1] ([1]), qu'aucun produit constaté d'avance n'avait été comptabilisé dans les comptes de la société, sans constater que Monsieur [U], qui n'avait pas contesté ou dissimulé l'existence de tels produits constatés d'avance, à telle enseigne qu'il en avait expressément informé le commissaire à la transformation de la société, ait su que les produits constatés d'avance n'avaient pas été pris en considération comme ils devaient l'être, ce qui relevait de la responsabilité de l'expert-comptable et du commissaire à la transformation de la société, la Cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction de faux dont elle a déclaré Monsieur [U] coupable, a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3, alinéa 1er, et 441-1 du Code pénal. »
Réponse de la Cour
12. Les moyens sont réunis.
13. Pour requalifier les faits de complicité de présentation de comptes inexacts en faux, et en déclarer coupables MM. [W] et [U], l'arrêt attaqué énonce que le ministère public a mis cette requalification dans les débats.
14. Les juges relèvent que l'existence de produits constatés d'avance n'était pas contestable au jour même de l'établissement des comptes annuels puis de la situation intermédiaire et que la présentation faussée de la situation intermédiaire était de nature à causer un préjudice à l'acquéreur.
15. Ils retiennent que M. [U] a reconnu l'existence des produits constatés d'avance tout en soutenant qu'ils ne pouvaient excéder la somme de 21 000 euros et notent qu'aucun n'a été comptabilisé dans les comptes de la société [1], ni au 31 décembre 2014 ni au 23 juillet 2015, ce qui contredit les déclarations d'ignorance de M. [U].
16. Ils ajoutent que l'inscription de la société [5] à l'actif du bilan intermédiaire de la société [1] du 23 juillet 2015 a elle aussi faussé la présentation de la situation comptable de cette dernière et que M. [U], seul propriétaire de la marque et ainsi le seul à pouvoir la faire figurer à l'actif de la société [1], était parfaitement informé de la situation.
17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a relevé que la question de la requalification des faits avait été mise dans le débat, a justifié sa décision.
19. En premier lieu, les juges ont caractérisé deux séries de faits de faux distincts, à savoir, d'une part, l'omission volontaire, depuis plusieurs mois, de la comptabilisation de produits à l'actif et au passif du bilan, faits qui ont donné lieu à la requalification, d'autre part, un faux par annulation d'honoraires de prestations de services et réintégration ultérieure de ces honoraires, également retenu contre les demandeurs, ce qui induit que le principe ne bis in idem ne peut être invoqué.
20. En second lieu, les juges ont caractérisé sans insuffisance ni contradiction l'élément intentionnel du délit de faux.
21. Ainsi, les moyens ne sont pas fondés.
Sur le deuxième moyen proposé pour M. [W]
Enoncé du moyen
22. Le moyen proposé critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable de faux dans les termes de la prévention, en altérant frauduleusement la vérité dans la situation comptable au 23 juillet 2014 de la société [1] par l'annulation à cette date d'honoraires de prestations de services facturés par la société [3] suivie de la réintégration le 31 juillet 2015 en charge dans les livres de la société [1] des mêmes honoraires de prestations de services ayant eu pour effet d'augmenter fictivement les capitaux propres de la société [1] au 23 juillet 2015, alors :
« 1°/ d'une part que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité ; qu'en retenant, pour déclarer M. [W] coupable de faux, que la situation comptable intermédiaire du 23 juillet 2015 ayant servi de référence à la transformation de la Sarl [1] en SAS faisait apparaître clairement la manipulation comptable consistant à annuler les frais de gestion facturés par la société mère à sa filiale au titre du premier semestre 2015, le jour même de l'établissement de cette situation comptable intermédiaire, avant qu'ils ne soient réintégrés en charges de la société [1] le 31 juillet 2015, cependant qu'il résultait de ses propres constatations qu'à la date d'établissement de la situation comptable intermédiaire du 23 juillet 2015, les frais de gestion ayant été effectivement annulés ne pouvaient pas valablement être comptabilisés en charges dans les comptes de la société [1], de sorte qu'elle correspondait à la vérité, la cour d'appel a violé l'article 441-1 du code pénal ;
2°/ d'autre part qu'il n'y a de faux punissable qu'autant qu'il est susceptible d'occasionner à autrui un préjudice actuel ou éventuel ; qu'ayant constaté que la manipulation comptable consistant pour la société mère [3] à annuler les frais de gestion qu'elle avait facturés à sa filiale [1] le 23 juillet 2015 avant de les facturer à nouveau le 31 juillet 2015, avait été faite dans l'intérêt tant de l'acquéreur que du vendeur, et qu'elle avait été autorisée par l'acquéreur, la cour d'appel qui a déclaré M. [W] coupable de faux pour avoir établi le 23 juillet 2015 une situation comptable intermédiaire constatant l'annulation de ces frais de gestion, sans constater en quoi elle était susceptible d'occasionner un préjudice à autrui, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 441-1 du code pénal ;
3°/ enfin que M. [W] faisait valoir dans ses conclusions d'appel (p. 37) que la transformation de la SARL [1] en SAS pouvait intervenir quand bien même les capitaux propres auraient été inférieurs au montant du capital social, en application des articles L 235-1 et L 223-43 du code de commerce, ce que confirmaient les avis de la [2] et l'Association nationale des sociétés par actions ; qu'il en déduisait que la manipulation comptable qui lui était reprochée était indifférente à la faisabilité de l'opération de sorte qu'elle n'avait pu causer aucun préjudice à l'administration fiscale ; qu'en déclarant néanmoins M. [W] coupable de faux pour avoir établi le 23 juillet 2015 une situation comptable intermédiaire constatant l'annulation de ces frais de gestion, sans répondre à ces conclusions péremptoires quant à l'absence de préjudice à autrui, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
23. Pour déclarer M. [W] coupable du délit de complicité de faux, l'arrêt attaqué énonce qu'à l'occasion de l'établissement d'une situation comptable intermédiaire de la société [1] par le cabinet de M. [W], le 23 juillet 2015, des factures de services administratifs, dues à la société [3] par sa filiale, la société [1], ont été annulées, ce qui a permis d'augmenter les capitaux propres de la société [1] à un montant supérieur au capital social et d'opérer ainsi la transformation de la société en SAS.
24. Les juges relèvent que le 31 juillet, soit quelques jours après la transformation de la société, la société [3] a établi une nouvelle facture.
25. Ils retiennent que, selon le commissaire aux comptes de la société [1], cette manoeuvre a permis au commissaire à la transformation d'attester que le montant des capitaux propres était égal au moins au capital social.
26. Ils concluent que cette présentation faussée par cette annulation est bien de nature à créer un préjudice à l'acquéreur.
27. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
28. En premier lieu, constitue un faux l'altération volontaire d'une situation comptable par omission de la mention de certaines sommes à son passif.
29. En second lieu, le préjudice causé par la falsification d'un écrit peut résulter de la nature même de la pièce falsifiée ; tel est le cas de l'altération d'une situation comptable, écriture de commerce, destinée à produire la preuve d'une situation économique et financière.
30. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Sur le troisième moyen proposé pour M. [W]
Enoncé du moyen
31. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable de complicité de répartition de dividendes fictifs, alors :
« 1°/ d'une part qu'en déclarant M. [W] coupable de complicité de répartition de dividendes fictifs en refusant d'intégrer au bilan les produits constatés d'avance, sans caractériser sa connaissance, lors de l'établissement du bilan de la société [1] au titre de l'exercice 2014, arrêté au mois de mars 2015, d'une distribution ultérieure des dividendes à partir du résultat constaté dans ce document comptable et après avoir constaté que les produits constatés d'avance n'avaient jamais été comptabilisés au bilan des précédents exercices, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-7 du code pénal ;
2°/ d'autre part qu'en affirmant, pour déclarer M. [W] coupable de complicité de répartition de dividendes fictifs, qu'il avait organisé avec M. [U] cette distribution de dividendes en sachant parfaitement qu'ils étaient fictifs, sans caractériser en quoi et à quel titre M. [W] aurait pris part à la décision des associés de la société [1] de procéder à cette distribution de dividendes, la cour d'appel a violé l'article 121-7 du code pénal et l'article L 241-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
32. Pour déclarer M. [W] coupable du délit de complicité par aide et assistance de distribution de dividendes fictifs, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort du procès-verbal des décisions de l'associé unique du 30 juin 2015 que M. [U] a autorisé une distribution de 45 000 euros de dividendes à son profit, à savoir 31 577,96 euros au titre du bénéfice de l'exercice et 13 422,04 euros au titre d'un prélèvement sur le compte « autres réserves ».
33. Les juges retiennent que réalisée un mois avant la cession des titres, cette distribution n'a été possible, au regard de la situation financière de la société, que par suite de l'absence de comptabilisation des produits constatés d'avance.
34. Ils ajoutent que MM. [U] et [W], ayant conjointement présenté une fausse image de la société, en refusant d'intégrer au bilan les produits constatés d'avance, ont organisé cette distribution de dividendes en sachant parfaitement qu'ils étaient fictifs puisqu'ils n'étaient pas en correspondance avec la situation réelle de l'entreprise.
35. En l'état de ces énonciations, dont il résulte que M. [W], en établissant, en sa qualité d'expert-comptable, le bilan de l'exercice clos le 31 décembre 2014 de la société [1], dont il connaissait le caractère erroné, a sciemment fourni à l'auteur principal le moyen lui permettant de commettre le délit de distribution de dividendes fictifs, la cour d'appel a justifié sa décision.
36. Ainsi le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le quatrième moyen proposé pour M. [U], auquel s'associe M. [W]
Enoncé du moyen
37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société [1], puis a condamné M. [U] à lui payer la somme de 19 600 euros et, solidairement avec M. [W], la somme de 45 000 euros, à titre de dommages-intérêts, alors « que la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive ; qu'il n'en est autrement que si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu'un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile ; qu'en condamnant Monsieur [U] à payer à la Société [1] ([1]) partie civile, des dommages-intérêts, sans se prononcer, comme elle y était invitée, sur l'irrecevabilité de sa constitution de partie civile, en ce que les demandes en réparation qu'elle formulait devant le juge pénal étaient identiques à celles dont elle avait d'ores et déjà saisi le Tribunal de commerce de Libourne, antérieurement à la citation de Monsieur [U] devant le Tribunal correctionnel, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, en ce qu'il est invoqué par M. [W]
38. Ce moyen est irrecevable dès lors que M. [W] n'a pas soulevé l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la société [1] devant la cour d'appel.
Sur le moyen proposé pour M. [U]
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
39. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
40. Pour condamner les prévenus solidairement à payer des dommages-intérêts à la société [1], l'arrêt énonce que c'est à juste titre que les premiers juges lui ont accordé la somme de 19 600 euros à titre de dommages-intérêts et l'ont déboutée de sa demande au titre du préjudice d'image qui n'est pas démontré.
41. Les juges ajoutent que c'est à tort que le tribunal a débouté la société [1] de sa demande de dommages-intérêts au titre des dividendes fictifs et condamne solidairement les prévenus à lui verser la somme de 45 000 euros à ce titre.
42. En se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [U] qui faisaient valoir l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la société [1], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
43. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
44. La cassation sera limitée aux dispositions civiles concernant uniquement M. [U]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
45. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de M. [W] étant devenue définitive par suite du rejet de ses deuxième et troisième moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 13 novembre 2023, mais en ses seules dispositions civiles relatives aux dispositions civiles concernant M. [U], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Fixe à 2 500 euros la somme globale que M. [B] [W] devra payer aux parties représentées par la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-cinq.