Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 janvier 2020, 22 août 2020 et 1er juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 15 du 19 novembre 2019 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 300 000 euros et un avertissement ou, à titre subsidiaire, de réduire ces sanctions à de plus justes proportions ;
2°) d'enjoindre à l'AMF de retirer cette décision de son site Internet et de publier la décision du Conseil d'Etat, sous forme anonymisée, dans les mêmes conditions que la décision attaquée ;
3°) de mettre à la charge de l'AMF la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement délégué (UE) n° 231/2013 de la Commission du 19 décembre 2012 ;
- le code monétaire et financier ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. A... et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 décembre 2021, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 19 novembre 2019, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a considéré que la société, société par actions simplifiées agréée le 8 juillet 2014 en tant que société de gestion de portefeuille pour la gestion de fonds d'investissements alternatifs, et son président, M. D... A..., avaient commis plusieurs manquements à leurs obligations professionnelles, retenant le défaut d'indépendance de la société de gestion, le non-respect des conditions de son agrément, le caractère non opérationnel de certaines de ses procédures, le caractère non opérationnel de son dispositif de prévention et de gestion des conflits d'intérêts, l'absence de respect des limites de frais prévues dans ses prospectus, le déséquilibre de l'information commerciale qu'elle diffusait, des défaillances dans ses procédures d'élaboration des documents commerciaux ainsi qu'un défaut de diligence et de loyauté à l'égard de la mission de contrôle. Après avoir relevé que M. A... n'avait pas présenté d'observations relative à l'imputabilité des manquements reprochés, elle a prononcé à l'encontre de la société une sanction pécuniaire de 300 000 euros et de M. A... une sanction pécuniaire de 300 000 euros et un avertissement. Elle a également décidé la publication de sa décision sur le site Internet de l'AMF et fixé à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.
2. D'une part, aux termes du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : / a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 21° du II de l'article L. 621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les règlements européens, les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions des articles L. 612-39 et L. 612--40 ; / b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 21° du II de l'article L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les règlements européens, les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions des articles L. 612-39 et L. 612-40 ; (...) ". Les sociétés de gestion de placements collectifs figurent parmi les personnes mentionnées au 7° de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier.
3. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 532-9 du code monétaire et financier : " Les sociétés de gestion de portefeuille sont agréées par l'Autorité des marchés financiers. / Pour délivrer l'agrément à une société de gestion de portefeuille, l'Autorité vérifie si celle-ci : / [...] 4. Est dirigée effectivement par deux personnes au moins possédant l'honorabilité nécessaire et l'expérience adéquate à leur fonction, en vue de garantir sa gestion saine et prudente. Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les conditions dans lesquelles une société de gestion de portefeuille peut, par dérogation, être dirigée effectivement par une seule personne. Il précise les mesures qui doivent être prises pour garantir la gestion saine et prudente de la société concernée ".
4. Aux termes de l'article 60 du règlement délégué (UE) n° 231/2013 de la Commission du 19 décembre 2012 complétant la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les dérogations, les conditions générales d'exercice, les dépositaires, l'effet de levier, la transparence et la surveillance, applicable depuis le 23 juillet 2013 : " 1. Lorsque le gestionnaire attribue les fonctions en interne, il veille à ce que la responsabilité du respect de ses obligations au titre de la directive 2011/61/UE incombe à l'organe directeur, aux instances dirigeantes et, lorsqu'elle existe, à la fonction de surveillance. (...) ". En outre, aux termes de l'article 313-6 du règlement général de l'AMF, dans sa version en vigueur du 1er novembre 2007 au 2 janvier 2018 : " La responsabilité de s'assurer que le prestataire de services d'investissement se conforme à ses obligations professionnelles mentionnées au II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier incombe à ses dirigeants et, le cas échéant, à son instance de surveillance. "
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que celles-ci font reposer sur le dirigeant effectif d'une société de gestion de portefeuille la responsabilité d'en garantir la gestion saine et prudente et le respect de ses obligations professionnelles. Il en découle notamment que la commission des sanctions peut, après avoir constaté des manquements commis par une telle société aux règles de bonne conduite, imputer les mêmes manquements à son dirigeant, en cette qualité, dès lors que ce dernier ne fait pas valoir de circonstances particulières qui auraient fait obstacle à ce qu'il exerçât ses responsabilités.
6. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la commission des sanctions, après avoir relevé que M. A..., qui détenait intégralement la société par l'intermédiaire d'une société holding jusqu'en mai 2019, en était le président et le dirigeant responsable au sens du 4° du II de l'article L. 532-9 du code monétaire et financier précité, a pu, sans méconnaître les principes de responsabilité personnelle et de présomption d'innocence ni les principes applicables au droit des sociétés, considérer que la responsabilité des manquements commis par cette société à ses obligations professionnelles était également imputable à M. A....
7. En outre, si M. A... soutient que l'abrogation à compter du 3 janvier 2018 de l'article 313-6 du règlement général de l'AMF devait conduire à le faire bénéficier du principe de l'application d'une loi nouvelle plus douce, les dispositions précitées de l'article 60 du règlement délégué (UE) n° 231/2013 de la Commission du 19 décembre 2012, directement applicables dans tout Etat membre depuis le 22 juillet 2013, en vertu desquelles la responsabilité du respect des obligations de la société incombe à ses dirigeants effectifs étaient déjà en vigueur lors de l'abrogation de la disposition en cause du règlement général de l'AMF et le demeurent. Par suite, le moyen tiré de ce que la commission des sanctions aurait méconnu le principe de rétroactivité des lois répressives plus douces ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, en vertu de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, lorsque le collège de l'AMF a décidé l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées et les transmet à la commission des sanctions, laquelle désigne un rapporteur parmi ses membres. En vertu de l'article R. 621-39 du même code, dans les cas où il estime que les griefs doivent être complétés, le rapporteur saisit le collège, qui statue sur sa demande. Il résulte de ces dispositions que la commission des sanctions ne peut infliger une sanction que sur le fondement de griefs ayant été préalablement notifiés. La notification de griefs doit indiquer les principaux agissements qui sont reprochés à la personne mise en cause, ainsi que la nature des obligations méconnues, afin de lui permettre de se défendre en présentant ses observations.
9. Il résulte de l'instruction que la notification de griefs adressée à M. A... lui a indiqué que les manquements reprochés à la société pourraient lui être imputables personnellement en sa qualité de président de la société et de dirigeant responsable au sens du 4° du II de l'article L. 532-9 du code monétaire et financier. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que la commission des sanctions aurait commis une irrégularité en ne notifiant pas à M. A... les griefs sur le fondement desquels il était susceptible d'être sanctionné manque en fait.
10. En troisième lieu, d'une part, il résulte des dispositions des a) et b) du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans leur version applicable, que la commission des sanctions peut prononcer, soit à la place, soit en plus des sanctions énoncées par ces dispositions, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés à l'encontre des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12°, 15° à 17° du II de l'article L. 621-9 du même code, et une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 15 millions d'euros ou au quintuple ou décuple, selon le cas, des profits éventuellement réalisés, à l'encontre des personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une de ces personnes. En outre, il résulte des dispositions du même III que le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en fonction des avantages ou des profits éventuellement tirés de ces manquements. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition, ni d'aucun principe que le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre d'une personne physique sanctionnée à raison d'un manquement commis sous l'autorité ou pour le compte d'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12°, 15° à 17° du II de l'article L. 621-9 du même code devrait être nécessairement inférieur au montant de la sanction pécuniaire infligée à cette personne morale. Il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de contrôler la proportionnalité de la sanction aux manquements reprochés à chacune des personnes sanctionnées.
11. D'autre part, aux termes du V de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version applicable : " La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées. / La commission des sanctions peut décider de reporter la publication d'une décision ou de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes : / a) Lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné, notamment, dans le cas d'une sanction infligée à une personne physique, lorsque la publication inclut des données personnelles ; / b) Lorsque la publication serait de nature à perturber gravement la stabilité du système financier, de même que le déroulement d'une enquête ou d'un contrôle en cours. "
12. Enfin, si l'obligation de motivation à laquelle sont assujetties les sanctions prononcées par la commission des sanctions implique que celles-ci comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, elle n'impose pas qu'il soit répondu à l'intégralité des arguments invoqués devant la commission. Par ailleurs, si la décision par laquelle cette commission rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale.
13. Par la décision attaquée, la commission des sanctions a relevé, au terme d'une motivation suffisante, d'une part, que les manquements retenus à l'encontre de la société et de M. A... étaient multiples et concernaient plusieurs obligations professionnelles et, d'autre part, que M. A..., dont les revenus se sont élevés en 2018 à 288 000 euros et dont le patrimoine immobilier s'établit à 800 496 euros, détenait l'intégralité des parts et actions de la société ainsi que des autres entités du groupe, directement ou par l'intermédiaire d'une société holding, pour un montant valorisé à plusieurs dizaines de millions d'euros. Il ne résulte ni de l'instruction, ni de ce qui précède que la sanction pécuniaire d'un montant de 300 000 euros, assortie d'un avertissement, qu'elle a infligée à M. A... présenterait un caractère disproportionné au regard de la gravité et de la nature des manquements reprochés. En outre, la circonstance que la société se serait vu infliger une sanction pécuniaire d'un même montant n'est pas de nature à entacher cette décision d'erreur de droit, ainsi que cela a été dit au point 10. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 12 que la commission des sanctions n'était pas tenue de motiver spécifiquement sa décision d'ordonner la publication de sa décision de façon non anonyme pendant cinq ans. Par suite, les moyens d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et d'insuffisance de motivation doivent être écartés.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
15. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement à l'Autorité des marchés financiers d'une somme de 3 000 euros au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : M. A... versera à l'Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et à l'Autorité des marchés financiers.
Copie en sera adressée aux sociétés.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2021 où siégeaient : M. Fabien Raynaud, président de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 30 décembre 2021.
Le président :
Signé : M. Fabien Raynaud
La rapporteure :
Signé : Mme Carine Chevrier
La secrétaire :
Signé : Mme C... B...