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23/10/2020 | FRANCE | N°437717

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 23 octobre 2020, 437717


Vu la procédure suivante :

La région Occitanie a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner solidairement Voies navigables de France (VNF), la société Bec Frères, l'Etat, la société Entreprises Morillon Corvol Courbot (EMCC) et la société Bouygues Travaux publics Régions France, venue aux droits de la société DTP Terrassement, d'une part, à lui verser une indemnité de 15 563 103 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts et du produit de leur capitalisation, en réparation des conséquences dommageables des désordres affectant la digue de

la zone industrielle fluviomaritime de Sète Frontignan et, d'autre part, à...

Vu la procédure suivante :

La région Occitanie a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner solidairement Voies navigables de France (VNF), la société Bec Frères, l'Etat, la société Entreprises Morillon Corvol Courbot (EMCC) et la société Bouygues Travaux publics Régions France, venue aux droits de la société DTP Terrassement, d'une part, à lui verser une indemnité de 15 563 103 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts et du produit de leur capitalisation, en réparation des conséquences dommageables des désordres affectant la digue de la zone industrielle fluviomaritime de Sète Frontignan et, d'autre part, à assumer la charge des frais d'expertise d'un montant de 289 841,06 euros.

Par un jugement n° 1405960 du 9 mars 2017, rectifié par une ordonnance du 7 avril 2017, le tribunal administratif de Montpellier a :

- condamné solidairement l'Etat, Voies navigables de France, la société Razel Bec venant aux droits de la société Bec Frères, la société EMCC et la société Bouygues Travaux publics Régions France à verser à la région Occitanie une indemnité de 6 906 031 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2014 et du produit de leur capitalisation au 24 décembre 2015, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure, et à supporter les frais d'expertise, d'un montant de 289 841,06 euros ;

- condamné l'Etat et Voies navigables de France à garantir les sociétés Razel Bec, EMCC et la société Bouygues Travaux publics Régions France de la condamnation prononcée contre elles à proportion de, respectivement, 81 % et 6 % de son montant total.

Par un arrêt n° 17MA01906 du 18 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, sur appel du ministre de la transition économique et solidaire et sur appel provoqué de Voies navigables de France, annulé l'article 4 de ce jugement ainsi rectifié et l'a réformé en déchargeant l'Etat et Voies navigables de France des condamnations prononcées à leur encontre et en mettant l'indemnité allouée par ce jugement et les frais d'expertise à la charge solidaire des seules sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, venue aux droits de la société EMCC, et Bouygues Travaux publics Régions France, et, d'autre part, rejeté l'appel incident et l'appel provoqué de la région Occitanie.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 janvier, 16 mars et 2 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, venue aux droits de la société EMCC, et Bouygues Travaux publics Régions France demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en ce qu'il rejette leurs conclusions tendant au rejet du recours du ministre de la transition écologique et solidaire ainsi que de l'ensemble des conclusions d'appel incident et d'appel provoqué des autres parties ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit aux demandes qu'elles ont présentées devant la cour administrative d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de Voies navigables de France la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, présentée le 12 octobre 2020, par les sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, et Bouygues Travaux publics Régions France ;

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;

- la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 ;

- le décret n° 60-1441 du 26 décembre 1960 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat des sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial et Bouygues Travaux Publics Régions France, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de Voies navigables de France et à la SCP Piwnica, Molinie, avocat de la Région Occitanie ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que par une convention dite " de superposition de gestion " conclue le 26 avril 2000, l'Etat a confié à Voies navigables de France, dans le cadre de la modernisation du canal du Rhône à Sète, la réalisation et l'exploitation d'une digue de protection de la liaison fluviomaritime entre la digue Est du port de commerce, à l'Ouest, et la digue Sud du port de pêche, à l'Est. La maîtrise d'oeuvre de la réalisation de cet ouvrage a été confiée à un service extérieur de l'Etat, le service maritime et de navigation de Languedoc Roussillon. Par acte d'engagement du 26 mai 2000, les travaux de construction ont été confiés par Voies navigables de France à un groupement solidaire d'entreprises composé de la société Bec Frères, devenue la société Razel Bec, mandataire, de la société DTP terrassement, aux droits de laquelle est venue la société Bouygues Travaux publics Régions France, de la société EMCC, aux droits de laquelle est venue la société Vinci Construction Maritime et Fluvial, et de la société Entreprise Chagnaud. La réception en a été prononcée avec réserves le 30 avril 2002. L'ouvrage a ensuite été transféré à la région Languedoc Roussillon en conséquence de la conclusion avec l'Etat, le 22 décembre 2006, d'une convention de transfert relative au port de Sète, prenant effet au 1er janvier 2007. Des désordres étant apparus au cours de l'année 2011, la région a obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier la désignation d'un expert, qui a déposé son rapport le 30 juin 2014. Elle a ensuite engagé une action indemnitaire sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs. Par un jugement du 9 mars 2017, rectifié par ordonnance du 7 avril 2017, le tribunal administratif de Montpellier a condamné solidairement l'Etat, Voies navigables de France, la société Razel Bec, la société EMCC et la société Bouygues Travaux publics Régions France, d'une part, à verser à la région Occitanie une indemnité de 6 906 031 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2014 et du produit de leur capitalisation, d'autre part, à supporter les frais de l'expertise, d'un montant de 289 841,06 euros. Il a également condamné l'Etat et Voies navigables de France à garantir la société Razel Bec, la société EMCC et la société Bouygues Travaux Publics Régions France de ces condamnations à proportion de, respectivement, 81 % et de 6 % de leur montant total. Les sociétés requérantes se pourvoient en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille qui, sur appel du ministre de la transition économique et solidaire et sur appel provoqué de Voies navigables de France, a annulé l'article 4 de ce jugement et l'a réformé en déchargeant l'Etat et Voies navigables de France des condamnations prononcées à leur encontre et en mettant l'indemnité allouée par ce jugement et les frais d'expertise à la charge solidaire des seules sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, venue aux droits de la société EMCC, et Bouygues Travaux publics Régions France.

Sur le pourvoi principal :

2. En premier lieu, les conventions conclues à titre onéreux et en dehors de toute obligation entre l'Etat et une personne publique bénéficiaire pour confier aux services déconcentrés de l'Etat des travaux d'études, de direction et de surveillance de projets de cette personne publique sont des contrats de louage d'ouvrage dont l'inexécution ou la mauvaise exécution est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dans les conditions de droit commun. N'ont en revanche pas ce caractère les conventions de mise à disposition des services de l'Etat qui sont conclues à titre gratuit et sont de droit lorsque leurs bénéficiaires le demandent. Par suite, après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'il ne résultait pas des clauses de la convention du 4 mai 1995 entre l'Etat et Voies navigables de France, que la mise à disposition du service maritime et de navigation de Languedoc Roussillon dont elle organisait les modalités aurait été consentie par l'Etat à titre onéreux et que les services de l'Etat n'avaient pas la faculté de s'y opposer, la cour administrative d'appel de Marseille a pu en déduire sans erreur de droit que cette convention ne constituait pas un contrat de louage d'ouvrage dont l'inexécution ou la mauvaise exécution serait susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat au titre de la garantie décennale des constructeurs, non plus que sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard des débiteurs de cette garantie.

3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés requérantes soulevaient, dans leur mémoire en défense enregistré le 19 février 2018, un moyen tiré de ce que la mise hors de cause de l'Etat serait contraire aux stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article premier du protocole additionnel à cette convention. Par suite, le moyen tiré de ce que ce moyen aurait été soulevé d'office par la cour administrative d'appel de Marseille manque en fait.

4. En troisième lieu, en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 à 1792-5 du code civil, est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit, avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la réception des travaux, à raison des dommages qui compromettent la solidité d'un ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, toute personne appelée à participer à la construction de l'ouvrage, liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ou qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage, ainsi que toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire. La personne qui, en application d'une convention passée avec le maître d'ouvrage, assure la maîtrise d'ouvrage des travaux pour le compte de ce dernier, et, au terme de sa mission, lui remet l'ouvrage, ne saurait être regardée comme une personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire. C'est par suite sans erreur de droit qu'après avoir relevé que l'Etat avait confié la maîtrise d'ouvrage des travaux de réalisation de la digue à Voies navigables de France, la cour administrative d'appel a jugé que cet établissement ne pouvait être considéré comme constructeur au sens de l'article 1792-1 du code civil et, par suite, que sa responsabilité ne pouvait être engagée au titre de la garantie décennale des constructeurs.

5. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que les sociétés requérantes n'ont présenté devant la cour administrative d'appel de Marseille aucun appel provoqué tendant à l'exonération partielle de leur responsabilité et à la réduction du montant de leur condamnation in solidum en raison des fautes de l'Etat et de Voies navigables de France. Par suite, elles ne sauraient faire grief à la cour administrative d'appel de Marseille de ne pas s'être prononcée sur ce point.

6. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial et Bouygues Travaux publics Régions France ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

Sur le pourvoi incident de la région Occitanie :

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que c'est par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, que la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir relevé que les désordres constatés sur l'ensemble de la digue n'étaient de nature à en compromettre la solidité ou à la rendre impropre à sa destination qu'en tant qu'ils concernent le tronçon compris entre les points PM 1900 et PM 2300, a jugé que la région Occitanie ne pouvait prétendre à un complément d'indemnité correspondant au confortement et à la remise en état du surplus du linéaire de la digue litigieuse. Elle n'a pas davantage entaché son arrêt de dénaturation en considérant que la région Occitanie ne justifiait pas de la réalité de l'impact allégué des désordres sur l'activité portuaire. Par suite, la région Occitanie n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'appel provoqué.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de Voies navigables de France qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Elles font également obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la région Occitanie en application de ces dispositions dans le cadre de son pourvoi incident. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial et Bouygues Travaux publics Régions France la somme de 3 000 euros à verser à VNF au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi des sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, et Bouygues Travaux publics Régions France est rejeté.

Article 2 : Le pourvoi incident de la région Occitanie est rejeté.

Article 3 : Les sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial et Bouygues Travaux publics Régions France verseront à VNF une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : La présente décision sera notifiée aux sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, et Bouygues Travaux publics Régions France, à la région Occitanie, à la ministre de la transition écologique et à Voies navigables de France.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 437717
Date de la décision : 23/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2020, n° 437717
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Mélanie Villiers
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP SPINOSI, SUREAU ; SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:437717.20201023
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