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10/11/2004 | FRANCE | N°245711

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 10 novembre 2004, 245711


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 avril 2002 et 30 août 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme E...B..., Mlle A...B...et M. C...B..., ayants droit de leur mère MmeB..., demeurant... ; les consorts B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 28 février 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur la requête de la commune de Noisy-sur-Ecole (Seine-et-Marne), a, d'une part, annulé le jugement du 6 novembre 1997 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il

a condamné ladite commune à verser à Mme B...une indemnité calculée...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 avril 2002 et 30 août 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme E...B..., Mlle A...B...et M. C...B..., ayants droit de leur mère MmeB..., demeurant... ; les consorts B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 28 février 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur la requête de la commune de Noisy-sur-Ecole (Seine-et-Marne), a, d'une part, annulé le jugement du 6 novembre 1997 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a condamné ladite commune à verser à Mme B...une indemnité calculée par application du taux d'intérêt légal, pour la période du 29 juin 1991 au 8 septembre 1993, à une somme de 400 000 F (60 979,61 euros) correspondant au prix d'acquisition d'un terrain sis dans cette localité et devenu inconstructible et, d'autre part, rejeté, après avoir confirmé le jugement en tant qu'il a attribué à l'intéressée une indemnité de 5 000 F (762,25 euros) pour les troubles de toute nature qui sont résultés du déclassement de ce terrain, le surplus des conclusions de sa demande initiale ;

2°) statuant au fond, de rejeter l'appel formé devant la cour administrative d'appel de Paris par la commune de Noisy-sur-Ecole à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 6 novembre 1997 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Crépey, Auditeur,

- les observations de la SCP Richard, avocat de Mme B...et de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la commune de Noisy-sur-Ecole,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B...a acquis le 29 juin 1991, en vue d'y faire construire sa résidence principale, un terrain, situé sur le territoire de la commune de Noisy-sur-Ecole (Seine-et-Marne), qui bénéficiait d'un certificat d'urbanisme positif délivré par le maire le 13 décembre 1990 ; que, saisi par Mme B... d'une demande de prorogation de ce document, le maire a délivré, le 8 octobre 1991, un nouveau certificat précisant qu'un reclassement du terrain litigieux en zone non constructible était prévu dans le cadre de la révision du plan d'occupation des sols, et que toute demande de permis de construire ferait l'objet d'un sursis à statuer dans l'attente de l'aboutissement de la procédure de révision ; qu'après que le plan d'occupation des sols révisé, approuvé par le conseil municipal le 21 février 1992, eut été annulé par jugement du tribunal administratif de Versailles du 8 décembre 1992, un nouveau certificat d'urbanisme positif a été délivré par le maire le 8 septembre 1993 ; que Mme B...a alors revendu son terrain ; que le tribunal administratif, saisi par cette dernière d'une action indemnitaire, a jugé le 6 novembre 1997 que la délivrance du certificat d'urbanisme positif du 13 décembre 1990 était une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Noisy-sur-Ecole et a en conséquence condamné celle-ci à payer à Mme B..., d'une part, une somme correspondant au coût de l'immobilisation indue de capital pour la période courant du 29 juin 1991 au 8 septembre 1993, calculé par application du taux d'intérêt légal aux fonds engagés dans l'achat du terrain et, d'autre part, une indemnité de 5 000 F (762,25 euros) au titre des troubles de toute nature subis par l'intéressée ; que la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur l'appel formé par la commune de Noisy-sur-Ecole, a, par un arrêt du 28 février 2002, confirmé le caractère fautif de la délivrance du premier certificat d'urbanisme positif et maintenu à la charge de la commune l'indemnité de 5 000 F, mais annulé le jugement de première instance en tant qu'il condamnait la commune à verser à Mme B...les intérêts sur le capital engagé pour l'acquisition du terrain ;

Sur le pourvoi incident de la commune de Noisy-sur-Ecole :

Considérant, en premier lieu, que la commune de Noisy-sur-Ecole n'a opposé la fin de non-recevoir tirée de ce que Mme B...n'avait pas présenté de demande administrative préalable que devant le tribunal administratif, sans la reprendre devant la cour administrative d'appel ; qu'un tel moyen n'étant pas d'ordre public, la commune n'est, dès lors, pas recevable à l'invoquer en cassation ;

Considérant, en deuxième lieu, que, pour juger que la responsabilité de la commune de Noisy-sur-Ecole était engagée par la délivrance du premier certificat d'urbanisme positif, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que la procédure de révision du plan d'occupation des sols était, à la date du 13 décembre 1990, suffisamment avancée pour que la commune sache que le terrain litigieux devait être reclassé en zone inconstructible ; qu'ainsi, son arrêt est suffisamment motivé ;

Considérant, en troisième et dernier lieu, que la cour administrative d'appel de Paris a estimé, par une appréciation souveraine dont il n'est pas soutenu qu'elle serait entachée de dénaturation, que la commune de Noisy-sur-Ecole ne contestait devant elle que le principe même de sa responsabilité et, à titre subsidiaire, sa condamnation à indemniser l'immobilisation du capital engagé dans l'achat du terrain litigieux, et non pas l'indemnité de 5 000 F pour troubles de toute nature ; que, par suite, les moyens tirés de ce que, pour maintenir cette indemnité à la charge de la commune, elle aurait insuffisamment motivé son arrêt et inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le lien entre la faute invoquée et les troubles de toute nature présentait un caractère direct ne peuvent qu'être écartés ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la commune de Noisy-sur-Ecole tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il la juge responsable des conséquences dommageables du certificat d'urbanisme délivré par son maire le 13 décembre 1990 et maintient à sa charge une indemnité de 5 000 F doivent être rejetées ;

Sur le pourvoi des consortsB... :

Considérant que le pourvoi des ayants droit de MmeB..., décédée en cours d'instance, est dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il statue sur l'évaluation du préjudice subi par MmeB... ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, le tribunal administratif de Versailles a condamné la commune à indemniser Mme B...du coût de l'immobilisation du capital qu'elle avait engagé dans l'achat du terrain litigieux, et non de la dépréciation de son patrimoine ; qu'en annulant cette partie du jugement au motif que l'intéressée avait pu revendre le 29 juillet 1994, pour une somme de 350 000 F (53 357,16 euros) le terrain qu'elle avait acheté le 29 juin 1991 au prix de 338 740 F (51 640,98 euros), la cour administrative d'appel de Paris en a, dès lors, dénaturé la portée ; que, par suite, l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il statue sur l'indemnisation des dommages autres que les troubles de toute nature ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur l'indemnisation du préjudice subi par MmeB... du fait de l'immobilisation du capital engagé pour l'acquisition du terrain litigieux :

Considérant que, si Mme B...n'a pas présenté de demande administrative préalable à l'introduction de son recours contentieux, cette circonstance est sans incidence sur la recevabilité de ses prétentions dès lors que, tant dans son mémoire en duplique produit le 3 octobre 1997 devant le tribunal administratif de Versailles que dans ses écritures devant la cour administrative d'appel de Paris, la commune de Noisy-sur-Ecole a lié le contentieux en répondant au fond ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir opposée par la commune ne peut qu'être écartée ;

Considérant que, pour soutenir qu'elle ne serait pas tenue de réparer le préjudice mentionné ci-dessus, la commune de Noisy-sur-Ecole fait valoir que le notaire chargé de la vente aurait dû informer Mme B...des incertitudes pesant sur la constructibilité du terrain faisant l'objet de la transaction, que l'intéressée n'aurait été privée de la possibilité d'obtenir un permis de construire dans le délai d'un an à compter de la délivrance du certificat d'urbanisme que parce qu'elle aurait manqué de diligence, après l'acquisition du terrain litigieux, pour engager son projet, et enfin qu'elle aurait négligé de contester la révision du plan d'occupation des sols qui lésait ses intérêts ; que, toutefois, la production par le vendeur du certificat d'urbanisme positif en date du 13 décembre 1990 conférait à la transaction la sécurité juridique requise ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B...a engagé sans tarder la préparation de son projet de construction ; qu'il ne saurait lui être reproché de n'avoir pas contesté la révision du plan d'occupation des sols ; que, dans ces conditions, le lien entre le préjudice et la faute commise par la commune en délivrant le certificat d'urbanisme positif présente un caractère direct ; qu'aucun des agissements invoqués par la commune n'est constitutif d'une faute de la victime ou d'un tiers de nature à l'exonérer de son obligation de réparation du préjudice ;

Considérant que Mme B...a été privée de la possibilité d'utiliser son terrain pour y construire sa résidence principale ou de le revendre à son prix normal pendant une période courant de son acquisition, le 29 juin 1991, jusqu'à la délivrance, le 8 septembre 1993, d'un nouveau certificat d'urbanisme positif, et non pas seulement, comme le soutient à titre subsidiaire la commune, jusqu'au 8 décembre 1992, date à laquelle le tribunal administratif de Versailles a annulé le plan d'occupation des sols révisé ; qu'en condamnant la commune à verser à Mme B...une somme correspondant aux intérêts au taux légal, pour la période ainsi définie, sur les fonds effectivement engagés pour l'achat du terrain litigieux, les premiers juges ont fait une juste réparation de cette immobilisation indue, invoquée devant eux dans un mémoire enregistré le 17 juin 1997 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que le coût d'acquisition du terrain litigieux s'élève à 338 740 F (51 640,58 euros) et non à 400 000 F, comme l'a par erreur jugé le tribunal administratif de Versailles, dont le jugement du 6 novembre 1997 doit être réformé sur ce point ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des consortsB..., qui ne sont pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la commune de Noisy-sur-Ecole demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 28 février 2002 est annulé en tant qu'il a annulé le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 6 novembre 1997 en tant qu'il a condamné la commune de Noisy-sur-Ecole à payer à Mme B... une indemnité correspondant à l'application du taux d'intérêt légal sur la somme de 400 000 F (60 979,61 euros) pour la période du 29 juin 1991au 8 septembre 1993.

Article 2 : La somme prise pour base de calcul de l'indemnité mentionnée à l'article précédent est ramenée à 338 740 F (51 640,58 euros).

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 6 novembre 1997 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts B...est rejeté.

Article 5 : Les conclusions incidentes de la commune de Noisy-sur-Ecole et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code justice sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme E...B..., à Mlle D...B..., à M. C...B..., à la commune de Noisy-sur-Ecole et au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 245711
Date de la décision : 10/11/2004
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 nov. 2004, n° 245711
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Edouard Crépey
Rapporteur public ?: M. François Séners
Avocat(s) : SCP RICHARD ; SCP BORE, XAVIER ET BORE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:245711.20041110
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