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09/11/2012 | FRANCE | N°10MA00996

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 09 novembre 2012, 10MA00996


Vu la requête, enregistrée le 11 mars 2010, présentée pour Mme Michelle B demeurant ... par la SELARL d'avocats Veber et associés ;

Mme B demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0900244 du 7 janvier 2010 du tribunal administratif de Bastia, en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation de son préjudice à la somme de 1 000 euros ;

2°) de porter le montant de cette indemnisation à la somme de 106 119,28 euros en y ajoutant la capitalisation des intérêts dus ;

3°) de condamner la ville d'Ajaccio à lui verser une somme de 3 000 euros

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le jugement attaq...

Vu la requête, enregistrée le 11 mars 2010, présentée pour Mme Michelle B demeurant ... par la SELARL d'avocats Veber et associés ;

Mme B demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0900244 du 7 janvier 2010 du tribunal administratif de Bastia, en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation de son préjudice à la somme de 1 000 euros ;

2°) de porter le montant de cette indemnisation à la somme de 106 119,28 euros en y ajoutant la capitalisation des intérêts dus ;

3°) de condamner la ville d'Ajaccio à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 octobre 2012 :

- le rapport de M. Angeniol, rapporteur,

- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,

- et les observations de Me Bras, de la SCP d'avocats Roux - Lang-Cheymol - Canizares - Le Frapper du Hellen - Bras, pour Mme B ;

Considérant, que par un jugement en date du 30 mars 2006, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 11 octobre 2004, par lequel le maire de la ville d'Ajaccio a mis prématurément un terme au détachement de Mme B, chargée d'éducation populaire et de jeunesse, auprès des services de la commune, en qualité de directrice de l'action sociale et de la petite enfance ; que les conclusions indemnitaires afférentes à la requête présentée devant ce tribunal par Mme B ont toutefois été rejetées, faute de liaison préalable du contentieux ; que par un second jugement, en date du 15 décembre 2006, et en exécution du précédent jugement, le tribunal a enjoint à la ville d'Ajaccio de réintégrer Mme B et de procéder à la reconstitution de sa carrière dans un délai de deux mois sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; que le retard pris par la commune pour exécuter cette injonction a conduit le tribunal cette fois-ci, par un jugement de liquidation d'astreinte en date du 13 mai 2008, à condamner la ville d'Ajaccio à verser, au titre de l'article L. 911-7 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros à l'Etat et de 100 euros à Mme B ; qu'enfin, après que la commune a implicitement rejeté la demande indemnitaire préalable de Mme B, par jugement rendu le

7 janvier 2010, le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 1 000 euros, en ne retenant qu'un préjudice moral, la réparation des préjudices de toutes natures subis par

Mme B, consécutivement à l'illégalité de l'arrêté susmentionné du 11 octobre 2004 ; que cette dernière interjette appel de ce jugement, en sollicitant la réévaluation de l'indemnité allouée par les premiers juges ;

Sur la recevabilité de l'appel de Mme B :

Considérant, qu'aux termes de l'article R. 411-1 figurant au livre IV du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. " ;

Considérant que Mme B a présenté devant la Cour, dans le délai d'appel,une requête qui ne constitue pas la reproduction littérale de son mémoire de première instance mais conteste expressément le bien-fondé du rejet de ses conclusions indemnitaires présentées en première instance ; qu'une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1 du code de justice administrative susmentionné auquel renvoie l'article R. 811-13 dudit code ; qu'elle met ainsi la Cour, en mesure de se prononcer sur les erreurs reprochées au tribunal par l'appelant et n'est entachée d'aucune irrecevabilité à ce titre ;

Sur la responsabilité de la commune d'Ajaccio :

Considérant, que l'arrêté du 11 octobre 2004, par lequel le maire de la ville d'Ajaccio a mis prématurément un terme au détachement de Mme B, auprès des services de la commune d'Ajaccio, en qualité de directrice de l'action sociale et de la petite enfance, a été annulé par les premiers juges, par le jugement susmentionné en date du 30 mars 2006, au motif d'un défaut de motivation ; qu'il ne ressort pas de l'instruction, que cette décision était justifiée au fond par l'intérêt du service ; que la seule allégation par la commune, que le comportement professionnel de l'appelante, n'était pas celui qu'elle attendait d'une directrice, ne permet pas d'établir, en l'absence de précisions et surtout d'éléments matériels, que l'arrêté annulé puisse être imputé à un comportement fautif de Mme B ; qu'ainsi, l'illégalité fautive entachant l'arrêté du 11 octobre 2004, engage pleinement la responsabilité de la commune d'Ajaccio et est susceptible d'ouvrir à Mme B, un droit à indemnité ;

Sur le préjudice subi par Mme B :

S'agissant du préjudice économique lié à l'arrêt maladie :

Considérant, que Mme B sollicite une indemnité réparant les pertes de rémunération entraînées par le versement d'un demi-traitement, durant son placement en congé de maladie ordinaire, de novembre 2004 à septembre 2005 ; que toutefois, aucun des certificats médicaux produits par Mme B, qui ne font que mentionner l'existence d'une dépression, n'établit l'existence d'un lien entre sa pathologie et la fin prématurée de son détachement ; que, par suite, l'appelante n'est pas fondée à demander une indemnisation au titre de ce chef de préjudice ;

S'agissant de la perte de rémunération :

Considérant que Mme B soutient que si elle a été réintégrée au sein des effectifs de la commune d'Ajaccio le 26 mars 2007, cette réintégration n'a pas donné lieu à une reconstitution de sa carrière ; que la ville d'Ajaccio fait valoir que les premiers juges ont relevé qu'il ressortait du jugement du 13 mai 2008 liquidant l'astreinte prononcée à l'encontre de la commune, que Mme B ayant été réintégrée au sein de la commune d'Ajaccio, avec toutes les conséquences de droit, à compter du 26 mars 2007, elle n'avait subi aucune perte de rémunération ; qu'il ressort toutefois, uniquement du jugement du 13 mai 2008, que la réintégration de Mme B, qui aurait dû intervenir, le 27 février 2007, n'a été effectuée que le 26 mars 2007 ; que le dit jugement ne s'est ainsi pas prononcé sur la reconstitution de carrière de l'appelante ; que, par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la ville d'Ajaccio ait procédé à un quelconque versement de sommes correspondant à une reconstitution de carrière ; qu'ainsi Mme B est bien fondée à demander la réparation de sa perte de rémunération ;

Considérant qu'en l'absence d'exercice effectif des fonctions dont un agent public a été illégalement privé par l'administration, soit qu'il ait été évincé du service, soit qu'il ait été affecté à d'autres fonctions que celles qui étaient ou auraient dû être les siennes, celui-ci ne peut prétendre au rappel de la rémunération correspondante, mais est fondé à demander la réparation intégrale des préjudices de toute nature qu'il a réellement subis, du fait des mesures prises à son encontre dans des conditions irrégulières ; qu'il convient, pour fixer l'indemnité à laquelle le requérant a droit, de tenir compte notamment de l'importance respective des fautes commises par l'administration et l'agent lui-même, à l'origine des préjudices de ce dernier, telles qu' elles résultent de l'instruction, et d'en déduire tout élément de rémunération ou tout revenu de remplacement perçu pendant la période durant laquelle il a été privé de l'exercice de ses fonctions ou mis à l'écart du service ;

Considérant que, pour l'évaluation de l'ensemble des préjudices subis par cet agent, l'indemnité réparant le préjudice financier doit être déterminée en prenant en compte, outre le traitement qui aurait dû lui être versé, d'une part, les primes ou indemnités inhérentes aux fonctions que l' agent aurait exercées en l'absence de la mesure illégale, d'autre part, les primes ou indemnités rétribuant la qualité ou la quantité de son travail, dont il établit qu'il avait une chance sérieuse de les percevoir ; qu'en revanche, cette évaluation ne peut inclure les indemnités visant à compenser des frais qui n'ont pas été exposés ;

En ce qui concerne la perte de rémunération principale liée au traitement indiciaire :

Considérant, que pendant sa période d'éviction illégale, courant du mois de

novembre 2004 au mois de mars 2007 inclus, Mme B qui percevait initialement un traitement indiciaire d'un montant de 2 378 euros incluant sa nouvelle bonification indiciaire, n'a perçu qu'un traitement indiciaire de 2 365 euros ; qu'il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 286 euros ;

En ce qui concerne la perte de rémunération accessoire liée à la prime d'insularité :

Considérant qu'une telle prime, qui compense une sujétion effective liée aux conditions de vie en Corse, ne peut être incluse dans l'évaluation du préjudice de l'appelante qui, séjournant en métropole pendant sa période d'éviction illégale, n'a pas été amenée à engager de frais liés à une vie insulaire ;

S'agissant de la perte de rémunération accessoire liée à l'indemnité d'exercice des missions de préfecture et à l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires :

Considérant que Mme B percevait avant son éviction, de manière régulière, une somme constante au titre des dites primes ; qu'elle établit ainsi, en l'absence d'une quelconque contestation relative à sa manière de servir, qui aurait pu entraîner une diminution, voire une suppression de son régime indemnitaire, qu'elle avait une chance sérieuse de se voir attribuer les dites primes ; que Mme B, percevait une indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires d'un montant de 931 euros et une indemnité d'exercice des missions de préfecture d'un montant de 343 euros ; qu'en l'absence du versement des dites indemnités pendant sa période d'éviction, l'appelante a droit au versement d'une somme réparant la perte de chance de percevoir ces deux indemnités, dont sera déduit le montant des indemnités accessoires qu'elle a perçues durant son éviction et sans que, toutefois, puisse être prise en compte sa période de congé maladie à demi traitement où, en tout état de cause, son régime indemnitaire lié à l'exercice effectif de ses fonctions ne lui aurait plus été servi ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 19 000 euros ;

S'agissant du préjudice moral :

Considérant enfin, que le tribunal a fixé à 1 000 euros la somme venant en réparation du préjudice moral de Mme B ; que, cependant, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce et des conditions dans lesquelles il a été mis fin prématurément au détachement de l'appelante, alors qu'une telle mesure jetait un discrédit sur sa réputation professionnelle sans véritable justification et qu'elle est intervenue brutalement en l'absence de préavis, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 3 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que Mme B a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 9 mars 2009, date d'enregistrement de sa requête de première instance ; qu'à cette même date, Mme B a présenté des conclusions à fin de capitalisation des intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation pour les intérêts échus à compter du 9 mars 2010, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède, que Mme B est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a limité la réparation de son préjudice à la somme de 1 000 euros, au titre de son seul préjudice moral ; qu'il y a donc lieu de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire au présent arrêt ;

Sur les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

Considérant qu'en vertu des dispositions susmentionnées, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par le ville d'Ajaccio doivent dès lors être rejetées ;

Considérant qu'il lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la ville d'Ajaccio la somme de 2000 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, que

Mme B a exposés ;

DECIDE :

Article 1er : La ville d'Ajaccio est condamnée à payer à Mme B la somme 22 286 (vingt deux mille deux cent quatre vingt six) euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2009, lesdits intérêts devant être capitalisés au 9 mars 2010, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : La ville d'Ajaccio versera 2 000 (deux mille) euros à Mme B sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme B est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la ville d'Ajaccio tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia en date du 7 janvier 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Michelle B et à la ville d'Ajaccio.

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N° 10MA009963


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA00996
Date de la décision : 09/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-05-03-01 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Détachement et mise hors cadre. Détachement.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Patrice ANGENIOL
Rapporteur public ?: Mme HOGEDEZ
Avocat(s) : SELARL VEBER et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-11-09;10ma00996 ?
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