Arrêt n° 264 P + B + R + I Pourvoi n° B 06-12. 307
LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte, 75699 Paris cedex 14,
contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2005, par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre, section 2), dans le litige l'opposant :
1° / à M. Francis X...,
2° / à Mme Marie-Claude Y..., épouse X...,
3° / à M. Laurent X...,
4° / à M. Bertrand X...,
tous quatre domiciliés...,
5° / à M. Roger Y...,
6° / à Mme Marie-Thérèse Z..., épouse Y...,
tous deux domiciliés...,
7° / à M. Jean-Charles X...,
8° / à Mme Charlotte A..., épouse X...,
tous deux domiciliés...,
9° / à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Saint-Quentin, dont le siège est 29 boulevard Roosevelt, 02323 Saint-Quentin,
défendeurs à la cassation ;
Par arrêt du 13 mars 2008, la première chambre civile a renvoyé le pourvoi devant une chambre mixte. Le premier président a, par ordonnance du 28 octobre 2008, indiqué que cette chambre mixte serait composée des première, deuxième et troisième chambres civiles, de la chambre commerciale, financière et économique et de la chambre sociale ;
La demanderesse invoque, devant la chambre mixte, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Odent, avocat de la SNCF ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Balat, avocat des consorts X... ;
Le rapport écrit de M. Petit, conseiller, et l'avis écrit de M. Domingo, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en chambre mixte, en l'audience publique du 14 novembre 2008, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, M. Weber, Mmes Favre, Collomp, MM. Bargue, Gillet, présidents, M. Petit, conseiller rapporteur, M. Peyrat, Mmes Lardet, Tric, MM. Mazars, Pluyette, Assié, Gridel, Bailly, Bizot, Gallet, Blatman, Albertini, Chollet, Kriegk, conseillers, M. Domingo, avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de M. Petit, conseiller, assisté de Mme Lemoine, greffier en chef au service de documentation et d'études, les observations de Me Odent, de Me Balat, l'avis de M. Domingo, avocat général, auquel les parties invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 9 novembre 2005), que Frédéric X..., âgé de quinze ans, passager d'un train express régional, a été mortellement blessé en tombant sur la voie après avoir ouvert l'une des portes de la voiture et alors qu'il effectuait une rotation autour de la barre d'appui située au centre du marchepied ; que ses ayants droit ont fait assigner la Société nationale des chemins de fer français (la SNCF) en réparation des préjudices matériels et moraux causés par cet accident ;
Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le comportement délibérément dangereux de la victime n'était pas de nature à l'exonérer entièrement de sa responsabilité, alors, selon le moyen, que le comportement aberrant d'un voyageur, qui refuse de respecter les consignes de sécurité de la SNCF et s'expose lui-même au danger, est de nature à exonérer entièrement le transporteur de toute responsabilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que le comportement du jeune Frédéric X..., qui avait délibérément ouvert les portes d'un train en marche, avant d'exécuter des acrobaties sur la barre de maintien (rendue glissante par suite de la pluie) située sur le marchepied du train, du côté de la voie, n'était pas de nature à exonérer entièrement la SNCF de sa responsabilité, dès lors qu'une telle attitude n'était ni imprévisible, ni irrésistible, a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d'une obligation de sécurité de résultat, ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la faute d'imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu'en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure ; qu'ayant relevé que les portes du train ne comportaient pas de système de verrouillage interdisant leur ouverture de l'intérieur lorsque le train était en marche et que la SNCF et son personnel naviguant étaient parfaitement informés de cette absence de système de verrouillage sur ce type de matériel, qu'il n'était pas imprévisible que l'un des passagers, et notamment l'un des nombreux enfants et adolescents qui empruntent ce train régulièrement pour faire le trajet entre leur domicile et leurs établissements scolaires, ouvre ou tente d'ouvrir l'une des portes des voitures dont le mécanisme quasi automatique est actionné par une simple poignée qu'il suffit de tourner de 45° environ et que l'ouverture intempestive par un passager d'une porte donnant sur la voie est évitable, notamment par la présence d'agents de contrôle à même d'intervenir dans tout le train sans se heurter comme en l'espèce au blocage des portes de communication, la cour d'appel a pu retenir que la faute de la victime, n'étant ni imprévisible ni irrésistible pour la SNCF, ne présentait pas les caractères de la force majeure et en a déduit à bon droit que celle-ci n'était pas fondée à prétendre s'exonérer de sa responsabilité ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SNCF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme globale de 2 500 euros aux consorts X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils pour la SNCF
MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le comportement délibérément dangereux de la victime (Monsieur Frédéric X..., aux droits duquel se trouvent les consorts X...-Y...) d'un accident ferroviaire, ne se trouvait pas de nature à exonérer entièrement le transporteur (la SNCF) de sa responsabilité,
AUX MOTIFS QUE la SNCF se trouve tenue d'une obligation de sécurité de résultat envers le voyageur, à partir du moment où celui-ci commence à monter dans le train, jusqu'au moment où il achève d'en descendre ; que la SNCF ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité qu'en rapportant la preuve d'une faute exclusive de la victime, présentant les caractères de la force majeure ; qu'en tout état de cause, le fait non imprévisible, ni inévitable de la victime ne constitue une cause d'exonération partielle pour celui qui a contracté une obligation de sécurité que s'il présente un caractère fautif ; que les portes du TER en cause ne comportaient pas de système de verrouillage interdisant leur ouverture de l'intérieur lorsque le train était en marche, un tel système n'étant pas prévu à l'origine sur ce modèle de matériel ferroviaire mis en circulation avant 1970, étant observé qu'il n'a pas été rendu obligatoire depuis par la réglementation en vigueur, compte tenu de l'impossibilité technique d'en équiper ces rames et voitures anciennes ; que la SNCF et son personnel navigant étaient parfaitement informés de cette absence de verrouillage sur ce type de matériel ; que même si le TER en cause n'était pas réservé au transport scolaire, il n'était pas imprévisible, pour ce transporteur ferroviaire, que l'un des passagers, et notamment l'un des nombreux enfants et adolescents qui empruntent régulièrement ce train, ouvre ou tente d'ouvrir l'une des portes des rames et voitures dont le système d'ouverture était actionné par une simple poignée qu'il suffisait de tourner de 45° environ et par un circuit d'assistance à l'ouverture qui réalisait l'ouverture quasi-automatique de ladite porte ; qu'en outre, l'ouverture intempestive par un passager d'une porte donnant sur les voies est évitable, notamment en assurant la présence de suffisamment de contrôleurs de nature à dissuader de tels comportements dangereux, ce qui n'était pas le cas le jour de l'accident dans le train en cause ; que la SNCF n'était donc pas fondée à prétendre s'exonérer totalement de sa responsabilité présumée, du fait d'une faute de la victime, puisque cette faute, prévisible et évitable, ne présentait pas les caractéristiques de la force majeure,
ALORS QUE le comportement aberrant d'un voyageur, qui refuse délibérément de respecter les consignes de sécurité de la SNCF et s'expose lui-même au danger, est de nature à exonérer entièrement le transporteur de toute responsabilité ; qu'en l'espèce, la cour, qui a décidé que le comportement du jeune Frédéric X..., qui avait délibérément ouvert les portes d'un train en marche, avant d'exécuter des acrobaties sur la barre de maintien (rendue glissante, par suite de la pluie), située sur le marchepied du train, du côté de la voie, n'était pas de nature à exonérer entièrement la SNCF de sa responsabilité, dès lors qu'une telle attitude n'était ni imprévisible, ni irrésistible, a violé l'article 1147 du code civil.