REJET du pourvoi de X... (Elophe), enseigne de vaisseau de deuxième classe, contre un jugement du tribunal maritime de Toulon, en date du 10 janvier 1939, qui l'a condamné à la peine de mort et à la dégradation militaire pour espionnage.
LA COUR,
Sur le rapport de Monsieur le conseiller Donat-Guigue, les observations de Maîtres Le Cesne, Gaudin et Simon, avocats en la cour, et les conclusions de Monsieur l'avocat général Siramy ;
Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 99, 100, 105 de la loi du 13 janvier 1938, portant révision du code de justice militaire pour l'armée de mer, 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de base légale, en ce qu'il résulte des mentions du jugement attaqué, d'une part, que c'est à l'unanimité qu'à été rendue la décision sur un incident concernant le huis-clos, et, d'autre part, que c'est à la majorité de 5 voix contre 2 qu'a été rendu le jugement de condamnation à la peine capitale et à la dégradation militaire, alors qu'aux termes de l'article 100 précité le nombre de voix ne saurait, à peine de nullité, être exprimé, ni en ce qui concerne les décisions sur les incidents, ni en ce qui concerne l'application de la peine ;
Attendu qu'il résulte du rapprochement des différents paragraphes de l'article 100 du code de justice militaire pour l'armée de mer et du paragraphe 8 de l'article 105 du même code, que l'interdiction, à peine de nullité, d'exprimer le nombre des voix composant la majorité ne s'applique qu'aux décisions sur l'admission ou le rejet des circonstances atténuantes, sur l'application de la loi de sursis, sur la compétence ou sur les incidents d'audience, et ne s'étend pas à la décision sur l'application de la peine, laquelle, à défaut de réunion d'une majorité, résulte de l'avis le plus favorable à l'accusé ; Attendu, en outre, que les seuls incidents d'audience visés à l'article 100 précité sont des incidents contentieux ; que les jugements prononçant le huis-clos ne revêtent pas ce caractère et ne constituent que de simples mesures d'ordre ;
Qu'ainsi le premier moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris de la violation des articles 77 et 80 de la loi du 13 janvier 1938 portant révision du code de justice militaire pour l'armée de mer, des droits de la défense, de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 pour défaut de base légale, en ce qu'il n'est pas régulièrement constaté qu'une copie de l'arrêt de la chambre des mises en accusation et qu'une copie de l'acte d'accusation aient été remises au concluant ;
Attendu qu'il appartenait au demandeur de produire devant le tribunal maritime le grief dont s'agit, conformément à l'article 90 du code de justice maritime ; que le moyen proposé pour la première fois devant la Cour de cassation est nouveau, et, par suite, irrecevable ;
Sur le troisième moyen, pris de la violation, par fausse application, de la loi du 13 avril 1938 tendant au redressement financier, et de l'article 2 du décret du 17 juin 1938 relatif à la répression de l'espionnage, excès de pouvoir, en ce que le tribunal, pour prononcer contre le demandeur la peine de mort, a fait application d'un décret prévoyant la peine de mort pour des faits d'espionnage, alors que ce décret avait été pris en vertu de la loi du 13 avril 1938, qui n'autorisait le Gouvernement qu'à prendre des mesures indispensables pour faire face aux dépenses nécessitées par la défense nationale et redresser les finances et l'économie de la nation, et que, dès lors, la condamnation se trouve entachée d'illégalité ;
Attendu que la répression de l'espionnage constitue une mesure de sécurité qui est susceptible de réduire les risques de guerre et qui garantit l'efficacité des sacrifices consentis par le pays en vue de sa défense ; qu'elle exerce ainsi une influence tant sur les dépenses nécessitées par la défense nationale que sur l'économie du pays ;
D'où il suit que, en prenant le décret du 17 juin 1938, le Gouvernement n'a pas excédé les pouvoirs à lui conférés par la loi du 13 avril 1938 ;
Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen, pris de la violation des articles 99, 100, 105, de la loi du 13 janvier 1938, portant révision du code de justice militaire pour l'armée de mer, 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs et manque de base légale, violation des droits de la défense, en ce qu'il résulte du jugement attaqué que, aux trois questions concernant les faits imputés au sieur X..., il a été répondu par la mention "coupable", alors qu'il doit être expressément et uniquement répondu aux questions par les mots "oui" ou "non" et que la mention "coupable" ne correspond pas aux énonciations sacramentelles imposées à la résolution des questions ;
Attendu que le pourvoi fait grief au jugement attaqué de ce que, aux trois questions concernant les faits imputés au demandeur, il a été répondu par la mention "coupable", alors que, aux termes de l'article 99 du code de justice maritime, il devait être répondu par "oui" ou "non" ; Attendu que, si ledit article 99 prescrit que "chaque juge exprime son opinion en déposant dans l'urne un bulletin préparé portant l'un des mots "oui" ou "non", aucune disposition légale n'exige que l'un de ces mots figure dans le jugement lui-même ;
Que ce qui, seul, importe à la validité d'une déclaration de culpabilité, c'est que l'énonciation en soit claire, précise, exempte d'équivoque et d'ambiguïté ;
Que, à cet égard, les réponses faites par la mention "coupable" satisfont pleinement au voeu de la loi ;
Que le quatrième moyen doit donc être rejeté ;
Sur le cinquième moyen, pris de la violation des articles 14, 18, 105 de la loi du 13 janvier 1938 portant révision du code de justice militaire pour l'armée de mer, 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de base légale, en ce qu'il résulte des mentions du jugement attaqué que, parmi les juges composant le tribunal maritime, figuraient trois enseignes de vaisseau de première classe, alors que, s'agissant du jugement d'un enseigne de 2ème classe, le tribunal maritime devait obligatoirement comprendre notamment, un enseigne de vaisseau de 1ère classe, deux enseignes de vaisseau de 2ème classe, ou, à défaut seulement, enseignes de vaisseau de 1ère classe, et qu'il n'a pas été justifié, en l'espèce, de l'impossibilité de faire appel à deux enseignes de vaisseau de 2ème classe.
Attendu que, aux termes de l'article 14 du code de justice maritime, la composition du tribunal, en ce qui concerne les juges militaires, pour le jugement d'un enseigne de vaisseau de 2ème classe, est la suivante :
Un capitaine de vaisseau ou capitaine de frégate ;
Un capitaine de corvette ;
Un lieutenant de vaisseau ;
Un enseigne de vaisseau de 1ère classe ;
Deux enseignes de vaisseau de 2ème classe, ou, à défaut, enseignes de vaisseau de 1ère classe ;
Attendu que, si trois enseignes de vaisseau de 1ère classe ont été appelés à composer le tribunal maritime qui a rendu le jugement attaqué, il y a présomption qu'aucun enseigne de vaisseau de 2ème classe n'était disponible ;
Que le cinquième moyen n'est donc pas fondé ;
Et attendu que le jugement est régulier en la forme, et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par le tribunal maritime ;
REJETTE.