Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 20 décembre 1999 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.C.I. LE COMPLEXE, dont le siège est ... ; la S.C.I. LE COMPLEXE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 17 juin 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur recours du ministre de l'équipement, du logement, du transport et du tourisme, d'une part, annulé le jugement du 29 novembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à la société requérante la décharge de la participation pour dépassement du coefficient d'occupation des sols à laquelle elle a été assujettie au titre des travaux autorisés par un permis de construire délivré le 7 octobre 1988 par le maire de Paris en vue de la restructuration d'un bâtiment situé 42-42 bis, rue de Lourmel, à Paris (15ème) et, d'autre part, remis intégralement à sa charge cette participation d'un montant de 469 300 F ;
2°) de prononcer la décharge de la participation litigieuse ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de lui rembourser cette participation avec intérêts ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 97-1239 du 29 décembre 1997 ;
Vu le décret n° 83-1261 du 30 décembre 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mahé, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la S.C.I. LE COMPLEXE,
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces soumises au juge du fond que, par un permis de construire délivré le 20 février 1987, la S.C.I. LE COMPLEXE a été autorisée à restructurer les deux étages d'un immeuble à usage de bureaux, à accroître la superficie du deuxième étage et à bâtir deux étages supplémentaires destinés à l'habitation, l'ensemble de ces opérations aboutissant à une augmentation de la surface hors oeuvre nette de 539,67 m et faisant apparaître, au regard du plan d'occupation des sols de Paris approuvé le 28 février 1977, alors en vigueur, une insuffisance théorique de terrain de 166,94 m ; qu'à la suite des aménagements autorisés par le permis de construire modificatif du 14 septembre 1987 et des justifications que la société a produites concernant la démolition de diverses constructions, cette insuffisance théorique a été ramenée à 46,93 m ; qu'un nouveau permis de construire modificatif, délivré le 7 octobre 1988, a autorisé la création d'une véranda au quatrième étage et l'aménagement de deux places de stationnement dans la cour ; que ce permis, qui augmentait la surface hors oeuvre nette de l'ensemble de 29,6 m, est toutefois resté sans incidence sur l'insuffisance théorique de terrain constatée en raison de l'entrée en vigueur anticipée, le 4 juillet 1988, d'un nouveau plan d'occupation des sols de Paris modifiant les règles de construction dans la zone concernée ; que le 20 décembre 1988, le maire de Paris a informé la S.C.I. LE COMPLEXE de son assujettissement à une participation pour dépassement du coefficient des sols de 469 300 F en raison de l'insuffisance théorique de terrain de 46,93 m résultant du permis de construire du 20 février 1987, tel que modifié par celui du 14 septembre 1987 ; qu'enfin, un dernier permis de construire, délivré le 10 avril 1992, a permis à la société requérante de fermer les loggias du bâtiment, de ne pas détruire un garage et de conserver un plancher intermédiaire entre le rez-de-chaussée et le premier étage, augmentant ainsi la surface hors oeuvre nette de 261,11 m, sans qu'aucune participation supplémentaire ne soit demandée, eu égard aux nouvelles règles d'urbanisme applicables ; que la S.C.I. LE COMPLEXE a contesté la participation de 469 300 F à laquelle elle avait été assujettie devant le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement en date du 29 novembre 1995, en a prononcé la décharge, pour un motif tiré de la publicité insuffisante dont aurait fait l'objet l'arrêté du 30 mars 1984, fondant la compétence du maire de Paris pour asseoir et liquider la participation pour dépassement du coefficient d'occupation des sols ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a annulé ce jugement et remis à la charge de la société requérante la participation contestée, en se fondant sur les dispositions de l'article 31 de la loi du 29 décembre 1997, en vertu desquelles "sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont réputées régulières les impositions assises et liquidées jusqu'au 9 novembre 1995 en application de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme et sur le fondement de l'arrêté du préfet de Paris en date du 30 mars 1984, en tant qu'elles seraient contestées pour un motif tiré de l'incompétence du maire de Paris résultant du défaut d'affichage de l'arrêté précité" ;
Considérant que la cour administrative d'appel de Paris n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la participation contestée trouvait son fondement dans le permis de construire délivré le 7 octobre 1988, postérieurement à l'entrée en vigueur des nouvelles règles d'urbanisme, et ne pouvait, par conséquent, être calculée sur la base des coefficients d'occupation du sol anciennement applicables ; qu'en omettant de se prononcer sur ce moyen, qui n'était pas inopérant, la Cour a entaché son arrêt d'une insuffisance de motifs ; qu'il y a lieu dès lors d'en prononcer l'annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que, pour écarter l'application des dispositions précitées de la loi du 29 décembre 1997, qui font obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir de la publicité insuffisante dont l'arrêté du 30 mars 1984 aurait fait l'objet, la société requérante soutient que ces dispositions sont incompatibles avec l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'avec l'article 1er de son premier protocole additionnel ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle" ; que cet article ne peut être utilement invoqué devant le juge de l'impôt, qui ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations à caractère civil, quand bien même il fait application d'une législation ayant pour effet de priver rétroactivement le contribuable de la possibilité d'obtenir la décharge d'une imposition ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention précitée : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ; qu'il résulte des termes mêmes de ces stipulations que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat de mettre en oeuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts ; que l'article 31 de la loi du 29 décembre 1997 a pour seul objet de rendre insusceptible d'être invoqué devant le juge de l'impôt le moyen tiré de ce que l'arrêté du 30 mars 1984, bien qu'inséré en caractères apparents dans un des journaux quotidiens du département de Paris et publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de Paris et de la préfecture de police, n'aurait pas fait l'objet d'une publicité suffisante faute d'un affichage dans les locaux de la préfecture et de la mairie de Paris ; qu'ainsi, cette loi a pour effet de permettre le paiement de taxes d'urbanisme mises à la charge de contribuables qui remplissaient toutes les conditions de fond pour y être assujettis, et qu'elle ne prive pas de la possibilité de contester l'impôt par tout autre moyen de procédure ou de fond ; que dès lors, dans les circonstances de l'espèce, à supposer que la possibilité d'obtenir la décharge pour vice de procédure d'une imposition constitue un bien au sens des stipulations précitées, la loi du 29 décembre 1997 ne saurait être regardée, compte tenu de son objectif et de sa portée, comme méconnaissant le respect dû aux biens du contribuable en vertu de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, dès lors, que la société requérante n'est pas fondée à demander que l'application de la loi du 29 décembre 1997 soit écartée ; que par suite, le motif tiré de l'incompétence du maire de Paris pour asseoir et liquider les taxes contestées, sur lequel le tribunal administratif de Paris s'est fondé pour prononcer leur décharge, ne peut être maintenu ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société requérante à l'appui de sa demande en décharge ;
Considérant que la S.C.I. LE COMPLEXE soutient que la participation qui lui est demandée doit être calculée en fonction des règles d'urbanisme en vigueur, non pas lorsque le projet initial a été autorisé, mais lorsqu'il a trouvé son aspect définitif, à la suite des modifications autorisées par le permis de construire du 10 avril 1992 ;
Considérant que le fait générateur de la participation pour dépassement du coefficient d'occupation des sols est la délivrance du permis de construire ; que cette participation doit donc être déterminée selon les règles applicables à la date à laquelle le permis a été accordé ; que la délivrance d'un permis modificatif ne peut constituer le fait générateur d'une nouvelle participation se substituant à la précédente que dans le cas où ce permis doit, compte tenu de l'ampleur des modifications apportées au projet initial, être regardé comme un nouveau permis de construire se substituant au permis initial ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le permis de construire du 10 avril 1992 s'est borné à autoriser la société requérante à fermer les loggias du bâtiment, à ne pas détruire un garage et à conserver un plancher intermédiaire entre le rez-de-chaussée et le premier étage ; que si ces transformations ont porté la surface hors oeuvre nette du bâtiment de 1 070,49 m à 1 331,6 m, elles n'ont remis en cause ni la conception générale du projet, ni l'implantation des bâtiments, ni leur hauteur ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le permis du 10 avril 1992 ne comportait pas de modification d'une importance suffisante pour pouvoir être regardé comme un permis nouveau se substituant au permis initial ;
Considérant que, contrairement à ce qu'affirme la société requérante, l'insuffisance de terrain entrant dans le calcul de la participation contestée a été ramenée de 166,94 m à 46,93 m, non pas en application des nouvelles règles d'urbanisme entrées en vigueur le 4 juillet 1988, mais du fait des aménagements autorisés par le permis de construire modificatif du 14 septembre 1987 et des justifications apportées concernant la démolition de diverses constructions ; que la circonstance que le permis de construire modificatif délivré le 7 octobre 1988 visait le plan d'occupation des sols mis en application anticipée le 4 juillet 1988 n'implique pas que l'administration ait dû, ni d'ailleurs entendu, faire application de ce nouveau plan au permis de construire du 20 février 1987, tel que modifié par celui du 14 septembre 1987 ; qu'il y a donc lieu d'écarter le moyen tiré de ce que, de l'aveu même du service, la participation en litige aurait dû être calculée sur la base des règles d'urbanisme mises en application anticipée le 4 juillet 1988 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'équipement, des transports et du logement est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a accordé à la S.C.I. LE COMPLEXE la décharge de la participation pour dépassement du coefficient d'occupation des sols à laquelle elle a été assujettie pour un montant de 469 300 F ;
Considérant que la S.C.I. LE COMPLEXE demande qu'il soit enjoint à l'Etat de lui rembourser la participation dont elle a été déchargée par le jugement du tribunal administratif de Paris du 29 novembre 1995 ; qu'il résulte de ce qui précède que lesdites conclusions n'ont plus d'objet ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la S.C.I. LE COMPLEXE la somme qu'elle a demandée devant la cour administrative d'appel de Paris au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 17 juin 1999 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 29 novembre 1995 sont annulés.
Article 2 : La participation pour dépassement du coefficient d'occupation du sol d'un montant de 469 300 F (71 544,32 euros) à laquelle la S.C.I. LE COMPLEXE a été assujettie est remise intégralement à sa charge.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de la S.C.I. LE COMPLEXE.
Article 4 : Les conclusions de la S.C.I. LE COMPLEXE tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 15 000 F (2 286,74 euros) au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la S.C.I. LE COMPLEXE et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.