Vu les procédures suivantes :
Le président du gouvernement de la Polynésie française a déféré au tribunal administratif de la Polynésie française, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, la société Libb 2, prise en la personne de son gérant, ainsi que M. B... A..., entrepreneur, et a conclu à ce que ce tribunal, d'une part, constate que les faits établis par le procès-verbal dressé le 12 décembre 2013 constituaient la contravention prévue et réprimée par l'article 27 de la délibération n° 2004-34 de l'assemblée territoriale du 12 février 2004, d'autre part, condamne les prévenus au paiement de l'amende correspondante ainsi qu'au versement de la somme de 21 millions de francs CFP en remboursement des frais nécessaires à la remise en état du domaine.
Par un jugement n° 1400066 du 27 août 2014, le tribunal administratif a condamné la société Libb 2 et M. A... au paiement solidaire à la Polynésie française d'une amende de 150 000 francs CFP et de la somme de 21 millions de francs CFP en remboursement des frais nécessaires à la remise en état du domaine.
Par un arrêt nos 14PA04696, 14PA05106 du 4 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel de la société Libb 2, annulé ce jugement pour irrégularité mais, statuant par la voie de l'évocation, a condamné la société Libb 2 seule au paiement à la Polynésie française de la même amende et de la même somme que précédemment.
Par une décision n° 404068 du 22 septembre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de la société Libb 2, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris.
Par un arrêt n°s 17PA03165, 17PA03170 du 22 janvier 2019, la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel de la société Libb 2, à nouveau annulé le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française pour irrégularité mais, statuant par la voie de l'évocation, a condamné la société Libb 2 et la société " Jean-Luc A... " au paiement solidaire à la Polynésie française de la même amende et de la même somme que précédemment.
1° Sous le n° 430550, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 7 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Libb 2 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt sauf en son article 1er annulant le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes du président du gouvernement de la Polynésie française ;
3°) de mettre à la charge du gouvernement de la Polynésie française la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 430624, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mai et 11 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le même arrêt sauf en son article 1er annulant le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes du président du gouvernement de la Polynésie française ;
3°) de mettre à la charge du gouvernement de la Polynésie française la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code monétaire et financier ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 ;
- le code de l'aménagement de la Polynésie française ;
- les délibérations de l'assemblée de la Polynésie française n° 68-136 du 12 décembre 1968 et n° 2004-34 du 12 février 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de la société Libb 2 et de M. A... et à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat du Gouvernement de la Polynésie française ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le président du Gouvernement de la Polynésie française a déféré comme prévenus d'une contravention de grande voirie la société Libb 2, prise en la personne de son gérant, et M. A..., entrepreneur individuel, en leur reprochant d'avoir réalisé des travaux d'extraction de matériaux coralliens sur le domaine public maritime sans autorisation administrative. Par un jugement du 27 août 2014, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la société Libb 2 et l'entreprise Jean-Luc A... à payer solidairement à la Polynésie française une amende de 150 000 francs CFP au titre de l'action publique et à lui verser, au titre de l'action domaniale, la somme de 21 000 000 francs CFP. Saisie en appel par la société Libb 2, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement pour irrégularité par un arrêt du 4 juillet 2016 puis, statuant par la voie de l'évocation, a condamné la seule société Libb 2 au versement des mêmes sommes. Par une décision n° 404068 du 22 septembre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, sur le pourvoi de la société Libb 2, annulé cet arrêt. La société Libb 2 et M. A... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 22 janvier 2019 en tant que, par ce nouvel arrêt, la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur renvoi de l'affaire et après avoir annulé le jugement pour irrégularité, a condamné la société Libb 2 et M. A... à payer solidairement à la Polynésie française une amende de 150 000 francs CFP au titre de l'action publique et, au titre de l'action domaniale, la somme de 21 000 000 francs CFP.
2. Les pourvois de la société Libb 2 et de M. A... sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les pourvois :
3. Afin de satisfaire au principe de motivation des décisions de justice, rappelé à l'article L. 9 du code de justice administrative, le juge administratif doit répondre, à proportion de l'argumentation qui les étaye, aux moyens qui ont été soulevés par les parties auxquelles sa décision fait grief et qui ne sont pas inopérants. Lorsque le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur un pourvoi en cassation formé contre une décision juridictionnelle, annule cette décision et renvoie l'affaire aux juges du fond, ceux-ci restent saisis de l'ensemble des moyens soulevés depuis le début de la procédure et qui n'ont pas été expressément abandonnés. La société Libb 2 avait soutenu, notamment dans sa requête enregistrée le 27 novembre 2014 sous le n° 14PA05106 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, que le procès-verbal de contravention de grande voirie servant de base aux poursuites à son encontre n'avait pas de date certaine, n'était pas exact quant à la localisation des parcelles concernées, ni suffisamment précis quant à l'ampleur des extractions dont il lui était fait grief. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de la société Libb 2, ayant annulé l'arrêt du 4 juillet 2016 de la cour administrative d'appel de Paris et renvoyé l'affaire à cette cour, il appartenait dès lors à celle-ci de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant.
4. Un jugement de première instance annulé par le juge d'appel est réputé n'être jamais intervenu. Par suite si, confirmant un élément du dispositif attaqué, le juge d'appel peut se prononcer sur un moyen soulevé devant lui en adoptant les motifs qui avaient déjà été retenus à son sujet par le juge de première instance, dès lors que cette réponse est elle-même suffisante et n'appelle pas de nouvelles précisions, ce juge d'appel qui, ayant annulé le jugement pour irrégularité, statue sur la demande par la voie de l'évocation en qualité de juge de première instance ne saurait, sans méconnaître l'exigence de motivation des décisions de justice, justifier son arrêt par simple référence au jugement annulé. En l'espèce, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement attaqué devant elle pour irrégularité, a écarté le moyen tenant à l'insuffisante précision du procès-verbal " par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 5 à 10 de leur jugement ". En statuant ainsi, la cour a méconnu le principe de motivation des décisions de justice. Il en résulte, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Libb 2 est fondée à demander l'annulation, en tant qu'ils lui font grief, des articles 2 à 4 de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Il incombe au juge de la répression des contraventions de grande voirie, lorsque sont poursuivis devant lui plusieurs prévenus à raison de la même contravention, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties, la régularité des conditions de l'engagement des poursuites et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des prévenus. Il en résulte qu'en cette matière, un prévenu peut utilement se prévaloir devant le juge de cassation de l'insuffisance de la réponse du juge du fond au moyen, soulevé par un autre prévenu, tiré de l'imprécision du procès-verbal de contravention. Dès lors, M. A... est également fondé, pour les motifs exposés au point 4 et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation, en tant qu'ils lui font grief, des articles 2 à 4 de l'arrêt qu'il attaque.
6. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire. " Il incombe, par suite, au Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond.
Sur le règlement au fond du litige :
7. Le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française, statuant sur les poursuites dirigées par le président du gouvernement de la Polynésie française tant contre la société Libb 2 que contre M. A..., a été irrévocablement annulé pour irrégularité par l'article 1er de l'arrêt du 22 janvier 2019. Il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'évoquer l'affaire et de statuer sur ces poursuites.
En ce qui concerne l'engagement des poursuites :
8. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impartit aux agents verbalisateurs de délai, à partir du jour où ils ont constaté l'infraction, pour rédiger le procès-verbal de contravention.
9. En deuxième lieu, si le procès-verbal ayant en l'espèce servi de base aux poursuites mentionne comme lieu de l'infraction la parcelle cadastrée section CA n° 8, alors que, ainsi qu'il ressort d'un plan cadastral produit devant le tribunal administratif, les travaux ont été réalisés sur la parcelle cadastrée CA n° 17, il résulte des mentions du même procès-verbal, qui n'ont pas été contredites dans le cadre de l'instruction, que les travaux ont eu lieu au point kilométrique 15 800, au droit de la terre " Tevaitapuhuaraau ", dans la commune associée de Faanui à Bora-Bora. Les travaux d'extraction reprochés aux prévenus y sont précisément décrits. Le procès-verbal est assorti d'une carte, d'une photographie aérienne et de photographies des excavations. La première des deux dates qui y figure, le 25 avril 2013, est à l'évidence celle du constat de l'infraction, alors que la seconde, le 12 décembre 2013, est celle à laquelle le procès-verbal a été rédigé. Enfin, les noms des contrevenants - la société Libb 2 prise en la personne de son gérant ainsi que M. A... - y ont dûment été relevés. Dans ces conditions, ce procès-verbal est suffisamment précis pour fonder les poursuites.
10. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, " dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention ", l'autorité compétente " fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal ". L'observation de ce délai de dix jours n'étant pas prescrite à peine de nullité, le moyen tiré de ce qu'il aurait été méconnu ne peut être utilement invoqué. Pour autant, la notification tardive du procès-verbal ne saurait porter atteinte aux droits de la défense. A cet égard, la circonstance que le procès-verbal de contravention de grande voirie n'a été notifié à la société Libb 2 que le 13 janvier 2014 alors qu'il avait été dressé le 12 décembre 2013, et procédait d'un constat d'infraction remontant au 25 avril précédent, n'a pas, en l'espèce, privé les personnes poursuivies de la possibilité de rassembler les éléments de preuve utiles à leur défense. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'atteinte portée aux droits de la défense doit être écarté.
11. En quatrième lieu, en vertu des dispositions combinées du quatrième alinéa de l'article L. 774-2 et du 2° de l'article L. 774-11 du code de justice administrative, la notification du procès-verbal doit indiquer à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai d'un mois à compter de cette notification. Par suite, la société Libb 2 ne saurait utilement se plaindre de ce que le président du gouvernement de la Polynésie française, lui notifiant le procès-verbal de contravention, lui a imparti un délai d'un mois pour présenter ses observations au tribunal à une date où celui-ci n'était pas encore saisi.
12. En cinquième lieu, selon le dernier alinéa de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, il doit être dressé acte de la notification du procès-verbal de contravention, puis " cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance ". Toutefois, la présentation par l'autorité compétente de conclusions au juge de la répression des contraventions de grande voirie saisit valablement ce juge des poursuites. Aussi la société Libb 2 ne saurait-elle utilement se plaindre de ce que le président du gouvernement de la Polynésie française s'est borné à présenter une requête tendant à la condamnation des prévenus en y joignant le procès-verbal du 12 décembre 2013.
13. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la société Libb 2, le président du gouvernement de la Polynésie française a valablement engagé les poursuites.
En ce qui concerne l'action publique :
S'agissant de la prescription :
14. En vertu de l'article 9 du code de procédure pénale, l'action publique tendant à la répression des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. La prescription d'infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin. En vertu de l'article 7 de ce code puis, à compter de l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, de l'article 9-2 du même code, peuvent seules être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite de nature à interrompre la prescription en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif ou à l'exercice par le ministre de sa faculté de faire appel ou de se pourvoir en cassation. Ces actes d'instruction ou de poursuites interrompent la prescription à l'égard de tous les auteurs, y compris ceux qu'ils ne visent pas.
15. Si, comme la société Libb 2 le soutient à juste titre, le courrier de son architecte reçu par l'administration le 7 avril 2013, qui fait état de l'impossibilité d'interrompre les travaux d'extraction, établit qu'à cette date, ces travaux avaient déjà été engagés, ce même courrier montre, dans le même temps, que ces travaux n'étaient, alors, pas achevés. Par suite, le délai de prescription de l'action publique, qui n'avait pas encore couru, a été interrompu le 12 décembre suivant par l'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie. Aussi, ce délai n'était-il pas expiré lorsque, le 27 août 2014, le tribunal a condamné la société Libb 2 et M. A... à une peine d'amende. Il résulte de ce qui précède qu'à la date de la présente décision, l'action publique n'est pas prescrite.
S'agissant de la matérialité de l'infraction :
16. En vertu des dispositions du troisième alinéa de l'article 7 de la loi organique du 12 avril 1996, dont la teneur est reprise au deuxième alinéa de l'article 47 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, le domaine public maritime de la Polynésie française comprend en particulier, sous réserve des droits de l'Etat et des tiers, le sol et le sous-sol des eaux intérieures, notamment ceux des rades et des lagons. Après avoir rappelé, à l'article 2, la consistance de ce domaine, la délibération de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française, à l'article 6, dispose que : " Nul ne peut sans autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente, effectuer aucun remblaiement, travaux, extraction, installation et aménagement quelconque sur le domaine public (...) ".
17. En premier lieu, il est constant que la société Libb 2, maître d'ouvrage, et M. A..., entrepreneur, ont procédé au point kilométrique 15 800, au droit de la terre " Tevaitapuhuaraau ", dans la commune associée de Faanui à Bora-Bora, à des travaux d'extraction de matériaux coralliens en vue d'aménager une marina. Ainsi qu'il a été dit, le procès-verbal qui en a été dressé le 12 décembre 2013, et qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, indique que, sur une superficie d'environ 2 100 mètres carrés, 6 300 mètres cubes de matériaux ont été extraits. La société Libb 2 admet elle-même l'exactitude de ce procès-verbal en ce qui concerne la superficie du bassin dragué. L'étude d'impact, qui a été établie par elle, de même que, contrairement à ce qu'elle soutient, le tableau estimatif des volumes de terrassement qu'elle produit également, corroborent les indications du procès-verbal quant au volume de matériaux extrait. Dans ces conditions, l'autorité de poursuite démontre la nature comme l'ampleur des travaux entrepris sur le domaine public maritime.
18. En deuxième lieu, il résulte de la lettre même de l'article 6 de la délibération du 12 février 2004 que les travaux d'extraction, quelle que soit la destination des matériaux extraits, et notamment quand bien même ils seraient réemployés en remblais, lorsqu'ils sont réalisés sur le domaine public maritime polynésien, sont soumis à une autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente, distincte par son objet de l'éventuelle autorisation d'occuper la dépendance correspondante.
19. En troisième lieu, ni l'arrêté du 30 août 2007, qui autorisait certes la société Libb 2 à occuper la dépendance en cause, ni la convention du 19 février 2008 qui avait fixé les modalités de cette occupation, ne comporte la moindre autorisation expresse de procéder à l'extraction de matériaux coralliens. Par suite, et à supposer même que ces actes n'aient pas été caducs à la date de l'infraction, la société Libb 2 ne saurait utilement s'en prévaloir pour soutenir qu'elle était autorisée à procéder aux travaux en litige. Par ailleurs, conformément à l'article LP. 114-10 du code de l'aménagement de la Polynésie française et à l'article 34 de la délibération du 12 février 2004, les autorisations de travaux immobiliers ne valent pas autorisation d'extraire des matériaux sur le domaine public. Dès lors, la société Libb 2 ne saurait non plus utilement se prévaloir des permis de travaux immobiliers qui lui ont été délivrés les 4 juin 2007 et 31 janvier 2008. Enfin, l'autorisation prévue à l'article 6 de la délibération du 12 février 2004 ne pouvant être tacite, la société Libb 2 ne peut pas davantage se prévaloir utilement de la circonstance que l'administration aurait été prévenue de ses projets par une étude d'impact, une notice explicative ou des échanges de courriels.
20. Il résulte de ce qui précède que le président du gouvernement de la Polynésie française est fondé à soutenir que, au 25 avril 2013, des travaux d'extraction de matériaux coralliens avaient été réalisés sur le domaine public maritime en méconnaissance de l'obligation, prévue à l'article 6 de la délibération du 12 février 2004, de justifier d'une autorisation préalable.
S'agissant de la contravention :
21. En premier lieu, il appartient au juge de la répression des contraventions de grande voirie de rechercher, au besoin d'office, si, à la date des faits relevés à l'encontre de l'auteur d'atteintes portées au domaine public, ces atteintes étaient réprimées par une contravention de grande voirie. Il doit dans ce cas, avant de statuer au titre de l'action publique, également vérifier qu'à la date à laquelle il statue, l'atteinte portée au domaine public constitue toujours une telle contravention.
22. En vertu de l'article 62 de la loi organique du 12 avril 1996, dont les dispositions ont été reprises et précisées à cet égard par l'article 22 de la loi organique du 27 février 2004, l'assemblée de la Polynésie française peut édicter des contraventions de grande voirie pour réprimer les atteintes au domaine public qui lui est affecté, le produit des condamnations étant alors versé à son budget. L'article 27 de la délibération du 12 février 2004 dispose, tant au 25 avril 2013 qu'à la date de la présente décision, que les infractions à l'interdiction, prévue à l'article 6, de procéder à des extractions sur le domaine public sans autorisation préalable, constatées en particulier par les agents assermentés des administrations chargées de la gestion et de la conservation du domaine public, constituent des contraventions de grande voirie. Il s'ensuit que les faits constatés par le procès-verbal du 12 décembre 2013 constituaient au 25 avril 2013, comme ils constituent encore à la date de la présente décision, des contraventions de grande voirie.
23. En second lieu, il ressort de l'ensemble des dispositions législatives applicables aux contraventions de grande voirie que les dommages causés au domaine public maritime au cours de l'exécution de travaux effectués par un entrepreneur engagent, sauf cas de force majeure ou faute de l'administration assimilable à la force majeure, non seulement la responsabilité des personnes pour lesquelles ces travaux sont exécutés, mais aussi celle de l'entrepreneur. Par suite, la contravention est imputable, en sa qualité de maître d'ouvrage à la société Libb 2, qui ne saurait utilement faire valoir, à cet égard, qu'elle ne savait pas avoir besoin d'une autorisation préalable, ainsi qu'à M. A..., en sa qualité d'entrepreneur chargé des travaux.
24. Il résulte de ce qui précède que le président du gouvernement de la Polynésie française est fondé à soutenir que la société Libb 2 et M. A... se sont rendus coupables d'une contravention de grande voirie.
S'agissant de la peine :
25. Aucune disposition applicable aux contraventions de grande voirie ne permet au juge administratif, dès lors qu'il a constaté la matérialité de ces infractions, de dispenser leur auteur de la condamnation aux amendes prévues par les textes et non frappées de prescription. Eu égard au principe d'individualisation des peines, il lui appartient cependant de fixer, dans les limites prévues par les textes applicables, le montant des amendes dues compte tenu de la gravité de la faute commise, qu'il apprécie au regard de la nature du manquement et de ses conséquences. Il ne saurait légalement condamner plusieurs prévenus solidairement au paiement de la même amende.
26. En vertu du troisième alinéa de l'article 27 de la délibération du 12 février 2004, les contrevenants peuvent être punis des peines d'amende définies dans le code pénal pour les contraventions de la cinquième classe. Selon l'article 131-13 du code pénal, qui régit les peines contraventionnelles encourues par les personnes physiques, le montant de l'amende est fixé, pour les contraventions de la cinquième classe, à 1 500 euros au plus. Par application de l'article 131-41 du même code, le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques. Enfin, l'article D. 712-1 du code monétaire et financier fixe la parité du franc CFP exprimée en millier d'unités à 8,38 euros.
27. Ainsi qu'il a été dit, l'infraction a consisté, sans l'autorisation adéquate, en le creusement d'un bassin de 70 mètres de long par 30 mètres de large dans le lagon de Bora-Bora, et en l'extraction de 6 300 mètres cubes de matériaux coralliens. C'est en principe à la société Libb 2, maître d'ouvrage, qu'il incombait de solliciter préalablement l'autorisation d'extraire ces matériaux. Toutefois cette société, qui disposait d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine ainsi que d'autorisations d'urbanisme, n'a rien dissimulé de ses projets de travaux aux services de la Polynésie française, lesquels ne l'ont pas avertie de ses obligations. Pour sa part, M. A..., entrepreneur, a certes réalisé les travaux incriminés pour le compte de la société Libb 2. Mais, contrairement à ce que le président du gouvernement de la Polynésie française soutient, il n'avait pas déjà été condamné pour une contravention de grande voirie par le jugement n° 0800260 du 25 novembre 2008 du tribunal administratif de la Polynésie française.
28. Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'infliger à la société Libb 2 une amende de 500 000 francs CFP et à M. A... une amende de 60 000 francs CFP.
En ce qui concerne l'action domaniale :
29. Le juge, saisi d'un litige relatif à l'évaluation par l'administration du dommage causé au domaine public par l'auteur d'une contravention de grande voirie, n'en remet pas en cause le montant, sauf si ce dernier présente un caractère anormal.
30. Il ressort des énonciations du procès-verbal que, selon les estimations de l'agent verbalisateur, les travaux de remise en état du domaine nécessitent la location d'une drague pendant 210 heures au prix unitaire de 10 000 francs CFP et la fourniture de 6 300 mètres cubes de matériaux coralliens au prix unitaire de 3 000 francs CFP, soit un coût respectivement de 2 100 000 francs CFP et de 18 900 000 francs CFP. Comme cela a été dit, l'ampleur des travaux d'extraction, et par là-même, l'ampleur des travaux nécessaires à la remise en état du domaine, sont établis. Le prix unitaire de 3 000 francs CFP des remblais coralliens à mettre en oeuvre correspond au prix de matériaux de remblai proposé par M. A... lui-même lors d'une consultation en mai 2010. Le coût horaire du recours à une drague a été établi à un montant inférieur aux tarifs de location des engins correspondants de la direction de l'équipement de la Polynésie française. Dans ces conditions, et contrairement à ce que la société Libb 2 soutient, il ne résulte pas de l'instruction que le montant auquel l'administration évalue la remise en état du domaine public présenterait un caractère anormal.
31. Il s'ensuit que le président du gouvernement de la Polynésie française est fondé à demander la condamnation solidaire de la société Libb 2 et de M. A... à verser à la collectivité territoriale la somme de 21 millions de francs CFP au titre des frais nécessaires à la remise en état du domaine.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Polynésie française qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à ce même titre à la charge de la société Libb 2, d'une part, et de M. A..., d'autre part, la somme de 2 000 euros chacun.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 de l'arrêt du 22 janvier 2019 sont annulés.
Article 2 : La société Libb 2 est condamnée à payer une amende de 500 000 francs CFP.
Article 3 : M. A... est condamné à payer une amende de 60 000 francs CFP.
Article 4 : La société Libb 2 et M. A... sont condamnés à verser solidairement à la Polynésie française la somme de 21 000 000 francs CFP en remboursement des frais nécessaires à la remise en état du domaine public.
Article 5 : La société Libb 2 versera la somme de 2 000 euros à la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : M. A... versera la somme de 2 000 euros à la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Les conclusions présentées par la société Libb 2 et M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à la société Libb 2, à M. B... A... et à la Polynésie française.