N°C.07.0217.N
1. H.E.,
2. T.L.,
Me Jean-Marie Nelissen Grade, avocat à la Cour de cassation,
contre
1.a. L.G.
1.b. D. W.,
2. FRADRIMO, société anonyme.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 octobre 2006 par la cour d'appel d'Anvers.
Le conseiller Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat général délégué André Van Ingelgem a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- articles 1134, 1184, 1582 et 1583 du Code civil ;
- articles 1er, alinéas 1er et 2, et 2 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, formant le titre XVIII « Privilèges et hypothèques » du Livre III du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Les juges d'appel ont rejeté la demande des demandeurs tendant à entendre dire pour droit que l'arrêt à intervenir tiendra lieu d'acte de vente qui pourra être présenté à la transcription auprès du conservateur des hypothèques, sur la base des motifs suivants :
« I. La validité du contrat de vente sous seing privé du 7 avril 2000 - son opposabilité à la curatelle
Selon la seconde défenderesse, le document ‘compromis/déclaration d'intention' sur lequel se fondent les demandeurs ne répond pas à l'article 1325 du Code civil et aucune vente n'a été valablement réalisée dès lors qu'il ne s'agit que d'une déclaration d'intention et les demandeurs n'ont jamais payé une somme de 446.208,34 euros (18.000.000 francs). En outre, la société faillie aurait choisi à juste titre de vendre à la seconde défenderesse parce qu'il s'agissait d'une vente plus intéressante.
L'article 1325 du Code civil invoqué par la seconde défenderesse ne concerne que la preuve entre les parties. Son non-respect ne peut être invoqué par des tiers. La seconde défenderesse est un tiers à l'égard de la vente sous seing privé du 7 avril 2000. En outre, les dispositions de l'article 1325 du Code civil ne s'appliquent pas en matière commerciale.
La cour d'appel considère, tout comme le premier juge, que la vente sous seing privé du 7 avril 2000 a été valablement conclue. Les parties concernées confirment que cette vente a été conclue conformément au concordat judiciaire qui a été accordé à la société faillie. Le contrat du 7 avril 2000 est obligatoire entre les parties, même si le contrat n'a pas été transcrit au bureau de la conservation des hypothèques compétent. La transcription vise uniquement l'opposabilité aux tiers. La demande reconventionnelle de la société faillie tendant à la nullité de la vente sous seing privé du 7 avril 2000 est rejetée. Elle n'est d'ailleurs pas expressément reprise par les curateurs.
Dans la mesure où les curateurs soulèvent que la vente sous seing privé du 7 avril 2000 ne peut leur être opposée en soutenant qu'ils sont des tiers, il y a lieu d'entendre par tiers au sens de l'article 1er de la loi du 16 décembre 1851 ceux qui ne sont pas parties à l'acte, qui peuvent faire valoir des droits réels et personnels concurrentiels auxquels il est porté atteinte dans l'acte et qui sont de bonne foi. En l'espèce, les curateurs ne peuvent faire valoir de droit réel sur le bien immobilier en question ni davantage un droit personnel concurrentiel. L'acte sous seing privé du 7 avril 2000 est opposable à la curatelle.
II. La demande d'exécution forcée de la vente sous seing privé du 7 avril 2000 - indemnité
Il est établi que la société faillie s'est rendue coupable d'un manquement contractuel en revendant à un tiers le bien immobilier dont il est question en l'espèce et qu'elle avait vendu auparavant aux demandeurs. La société faillie est contractuellement responsable à l'égard des demandeurs du chef du dommage subi par ces derniers.
Dès lors que l'acte notarié du 8 novembre 2000 n'est pas déclaré nul, les demandeurs ne peuvent plus demander que la décision tienne lieu de titre pour la vente qui leur est faite par acte sous seing privé du 7 avril 2000. Leur demande à ce propos n'est pas fondée. La réparation en nature n'est plus possible. Ils peuvent uniquement prétendre à une indemnité compensatoire. Ce dommage consiste notamment dans la perte de temps et dans les frais occasionnés par la conclusion de la vente sous seing privé du 7 avril 2000 et dans le supplément de prix dû à la recherche d'un bien équivalent. Dès lors qu'il n'y a pas d'éléments objectifs pour évaluer concrètement l'étendue du dommage, il y a lieu de désigner un expert. L'étendue du dommage est évaluée à titre provisionnel à 1 euro.
III. La nullité de l'acte notarié de vente/inopposabilité
Les demandeurs demandent l'annulation de l'acte notarié du 8 novembre 2000. En degré d'appel, les curateurs demandent eux aussi l'annulation de cet acte.
La demande d'annulation des demandeurs a été indiquée en marge.
Sur la base de l'article 1er de la loi du 16 décembre 1851 seule l'inopposabilité de la transcription de l'acte notarié du 8 novembre 2000 peut être demandée. Les demandeurs ne sont pas une partie au contrat de vente du 8 novembre 2000 qui peut en demander la nullité sur la base de vices de consentement.
La seconde défenderesse conteste s'être rendue coupable de tierce complicité dans la rupture du contrat.
Au sens de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, est censé avoir contracté en fraude le tiers qui, lors de la conclusion du contrat, connaît le contrat antérieur translatif de propriété du bien immobilier. En l'espèce, la seconde défenderesse savait au moment où son droit est né qu'il existait un compromis préalable avec les demandeurs. Le contrat sous seing privé du 19 avril 2000 mentionne que ‘2.2. A ce propos, le vendeur attire l'attention de l'acheteur sur le fait qu'un compromis de même nature a déjà été conclu avec un tiers candidat-acheteur, fût-ce moyennant les mêmes conditions suspensives'. La seconde défenderesse a sciemment collaboré à la rupture du contrat par la société faillie. Elle savait qu'en raison de son achat la société faillie se rendait coupable de rupture du contrat vis-à-vis des demandeurs, raison pour laquelle elle s'est laissée garantir par la société faillie par le contrat du 8 novembre 2000. Cette constatation, infraction à la norme générale de prudence, nécessite l'application de l'article 1383 du Code civil vis-à-vis des demandeurs. La tierce complicité reste applicable même si une règle de publicité a été créée pour les biens immobiliers.
La vente du 8 novembre 2000 doit être déclarée inopposable aux demandeurs.
La demande des curateurs tendant à l'annulation de la vente du 8 novembre 2000 est une demande nouvelle qui n'a pas été introduite devant le premier juge. Les curateurs représentent la société faillie en tant que partie au procès. Le failli a toujours insisté en première instance pour rejeter la demande des demandeurs tendant à l'annulation de l'acte notarié de vente du 8 novembre 2000. Cette vente est opposable à la curatelle. Le bien immobilier en question a disparu définitivement du patrimoine de la société faillie. Les curateurs ont simplement poursuivi l'instance introduite par la société faillie. Ils n'interviennent pas en tant que représentants de la masse mais en tant que représentants légaux de la société faillie. La curatelle est tenue de respecter la vente faite par la société faillie à la seconde défenderesse. La masse des créanciers ne peut se prévaloir d'un droit conflictuel.
La circonstance que les demandeurs peuvent s'adresser à la partie cocontractante, n'empêche nullement que la seconde défenderesse puisse être interpellée pour le même dommage. Il ne s'agit pas ici de droits purement contractuels qui ne peuvent être réclamés qu'entre parties et qui ne peuvent être détournés vers un tiers sous le couvert d'une action contractuelle. Dès lors que les fautes de la seconde défenderesse et de la société faillie ont contribué de manière commune au même dommage, elles sont toutes deux tenues in solidum vis-à-vis des demandeurs ».
Griefs
(...)
Seconde branche
L'article 1582 du Code civil dispose que la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre à la payer. Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé.
Conformément à l'article 1583 du Code civil elle est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.
L'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 dispose que tous actes entre vifs à titre gratuit ou onéreux, translatifs ou déclaratifs de droits réels immobiliers, seront transcrits en entier sur un registre à ce destiné, au bureau de la conservation des hypothèques dans l'arrondissement duquel les biens sont situés. Jusque-là, ils ne pourront être opposés aux tiers qui auraient contracté sans fraude.
Conformément à l'article 2 de la loi hypothécaire de la loi du 16 décembre 1851, seuls les jugements et les actes authentiques seront soumis à la transcription.
La convention translative d'un bien immobilier implique l'obligation de collaborer à la passation de l'acte authentique (articles 1134, 1582 et 1583 du Code civil et articles 1er, alinéa 1er, et 2 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851).
Au cas où une partie refuse de collaborer à la passation de l'acte authentique, l'autre partie peut réclamer un jugement tenant lieu de titre (article 1er, alinéa 2, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851).
Le simple fait que l'acte de vente n'est pas transcrit est sans influence sur le droit de propriété de celui qui acquiert le bien immobilier. L'acquéreur est propriétaire à part entière en vertu des articles 1582 et 1583 du Code civil.
En vertu de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, l'acquéreur ne peut invoquer l'acte de vente vis-à-vis des tiers qui ont contracté sans fraude tant que l'acte n'est pas transcrit.
Toutefois, l'acquéreur peut invoquer l'acte qui n'a pas été transcrit vis-à-vis du tiers qui n'était pas de bonne foi.
Un tiers est censé avoir contracté avec fraude au sens de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 lorsque, lors de la conclusion du contrat, il connaissait l'existence du contrat antérieur translatif de propriété d'un bien immobilier.
En l'espèce, les juges d'appel ont constaté que les demandeurs ont acheté le bien immobilier le 7 avril 2000 et que la seconde défenderesse qui a acquis le bien par acte sous seing privé du 19 avril 2000, savait au moment de l'achat qu'il existait un compromis préalable avec les demandeurs, de sorte que la seconde défenderesse a contracté avec fraude au sens de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851.
Dans ces circonstances, les demandeurs pouvaient invoquer l'acte de vente sous seing privé vis-à-vis de la seconde défenderesse et réclamer l'exécution ultérieure du contrat et réclamer plus spécialement qu'un titre de propriété authentique soit établi et transcrit (articles 1134, 1184, 1582 et 1583 du Code civil et 1er, alinéa 2, et 2 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851).
La simple transcription de l'acte par la seconde défenderesse ne lui octroie pas un droit de propriété sur ledit bien immobilier. Le fait que le contrat conclu par la seconde défenderesse n'a pas été annulé n'empêche pas davantage que le contrat conclu avec les demandeurs soit exécuté. Le contrat de vente ultérieur ne pouvait en effet être opposé aux demandeurs en raison de la fraude de la seconde défenderesse.
En décidant que, bien que la seconde défenderesse ait contracté avec fraude, une réparation en nature n'est plus possible et que l'arrêt ne peut, dès lors, tenir lieu de titre de la vente pouvant être transcrit par le motif que l'acte de vente authentique du 8 novembre 2000 n'est pas annulé, les juges d'appel ont violé les articles 1134, 1184, 1582 et 1583 du Code civil et 1er, alinéas 1er et 2, et 2 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, formant le titre XVIII « Privilèges et hypothèques » du Livre III du Code civil.
III. La décision de la Cour
Quant à la seconde branche :
1. Aux termes de l'article 1582 du Code civil, la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre à la payer.
En vertu de l'article 1583 du même code, la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de plein droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.
2. En vertu de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, si le contrat de vente concerne un bien immobilier, l'acte de vente sera transcrit en entier sur un registre à ce destiné au bureau de la conservation des hypothèques dans l'arrondissement duquel le bien immobilier est situé et jusque-là les parties ne pourront opposer cet acte aux tiers qui ont un droit contesté et qui ont contracté sans fraude.
3. Le contrat de vente d'un bien immobilier implique pour les parties l'obligation de collaborer à la passation de l'acte authentique et ce en vue de sa transcription dans le registre à ce destiné au bureau de la conservation des hypothèques conformément à l'article 1er, alinéa 1er, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851.
Si une des parties refuse de collaborer, l'autre partie peut demander au juge un jugement qui tiendra lieu de titre pour la transmission, ce qui permettra aussi sa transcription comme le prévoit l'article 1er, alinéa 2, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851.
4.La circonstance que, après la conclusion d'un premier contrat de vente, le vendeur a conclu un second contrat de vente avec un tiers concernant le même bien immobilier dont l'acte a été transcrit entre-temps, ne fait pas obstacle à ce qu'une telle demande soit accueillie.
5.En décidant que la demande de la demanderesse tendant à ce que le jugement tienne lieu de titre pour la transmission ne peut être accueillie dès lors que l'acte notarié du 8 novembre 2000 n'est pas déclaré nul, les juges d'appel n'ont pas justifié légalement leur décision.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la demande des demandeurs tendant à l'exécution forcée du contrat du 7 avril 2000, sur la demande de dommages et intérêts des demandeurs à charge des défendeurs sub 1 et de la défenderesse sub 2 et sur la mesure d'instruction ordonnée dans le cadre de cette demande, et qu'il statue sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Ghislain Londers, le président de section Ernest Waûters, les conseillers Eric Dirix, Albert Fettweis et Alain Smetryns, et prononcé en audience publique du trente et un janvier deux mille huit par le premier président Ghislain Londers, en présence de l'avocat général délégué André Van Ingelgem, avec l'assistance du greffier adjoint Johan Pafenols.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Daniel Plas et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,