N° C.18.0116.N
A. V. B.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
S. E.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 juin 2017 par la cour d'appel de Gand.
Le 16 août 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le premier président Beatrijs Deconinck a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. Conformément à l'article 1133, 3°, du Code judiciaire, une requête civile est ouverte si, entre les mêmes parties, agissant en mêmes qualités, il y a incompatibilité de décisions rendues sur le même objet et sur la même cause.
2. En vertu de l'article 1208, alinéa 1er, du Code civil, le codébiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l'obligation. Au nombre de ces exceptions figurent celles qui concernent la persistance de l'obligation, tel le paiement.
Le débiteur solidaire peut invoquer à son bénéfice la force de chose jugée des décisions judiciaires rendues entre le créancier et un codébiteur qui statuent sur une telle exception.
3. Il suit de ce qui précède que, lorsque les décisions concernent une demande introduite par un créancier pour la même dette contre des codébiteurs solidaires distincts, l'incompatibilité visée dans la loi peut résider dans le fait que la décision rendue sur la demande dirigée contre un débiteur en particulier prive de tout fondement juridique la demande dirigée contre un autre débiteur.
4. Il ressort des pièces de la procédure que :
- dans une instance antérieure, la cour d'appel d'Anvers a statué dans un arrêt du 9 mai 2016 sur la demande du défendeur dirigée contre la société anonyme DS Construct, en tant que débitrice « solidaire » avec la demanderesse du solde du prix de la cession des actions cédées au défendeur par convention du 19 mars 2007, ainsi que sur la demande du défendeur dirigée contre la société anonyme DS Construct et la demanderesse tendant à l'exécution de l'« article 5.C. de la convention ». Cet arrêt a déclaré non fondée la demande en paiement du prix de la cession au motif qu'il est prouvé à suffisance que « le prix de vente a été intégralement payé » comme l'atteste « la signature de la cession au registre des actions » ;
- dans la procédure intentée ultérieurement, la cour d'appel de Gand a statué, en tant que juge des saisies, dans un arrêt du 8 septembre 2015, sur l'exécution d'un jugement du 28 octobre 2009 condamnant la demanderesse, par défaut, à payer au défendeur le prix de la cession desdites actions. Cet arrêt a rejeté l'opposition formée à l'exécution forcée de ce jugement au motif que la demanderesse ne rapporte pas la preuve que le prix de la cession a été acquitté, dès lors que « la signature du registre des actions et la cession des actions n'impliquent [pas] que [la demanderesse] soit quitte de sa dette » ;
- la demanderesse a formé une requête civile contre l'arrêt du 8 septembre 2015 en raison de sa contrariété avec l'arrêt du 9 mai 2016 ;
- l'arrêt attaqué a rejeté cette requête au motif que la chose demandée n'est pas la même dans les deux causes et que la demande n'existe pas entre les mêmes parties et n'a pas été formée par elles et contre elles en mêmes qualités.
5. En considérant que les décisions ne sont pas incompatibles au motif que, dans l'arrêt du 9 mai 2016, la demande en paiement du solde du prix de la cession concerne uniquement la société et que la demande dirigée contre la demanderesse elle-même ne porte que sur l'exécution de l'article 5.C de la convention, alors que l'arrêt du 8 septembre 2015 a trait à la demande en paiement du solde du prix de la cession dirigée contre la demanderesse elle-même, de sorte que « la chose demandée n'est pas la même dans les deux causes et que la demande n'existe pas entre les mêmes parties et n'a pas été formée par elles et contre elles en mêmes qualités », les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Beatrijs Deconinck, président, les présidents de section Eric Dirix et Alain Smetryns et les conseillers Geert Jocqué et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du neuf janvier deux mille vingt par le premier président Beatrijs Deconinck, en présence de l'avocat général Johan Van der Fraenen, avec l'assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Ariane Jacquemin et transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.