N° C.18.0146.N
FL BEHEER, s.p.r.l.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. COMMUNE DE BRASSCHAAT, représentée par le collège des bourgmestre et échevins,
2. RÉGION FLAMANDE, représentée par le gouvernement flamand en la personne du ministre flamand de l'Administration intérieure,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2018 par la cour d'appel d'Anvers.
Le 22 novembre 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Geert Jocqué a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
1. Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.
L'article 18 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose que, nonobstant l'écoulement des délais prévus par les lois et règlements particuliers, les actes et règlements des diverses autorités administratives ainsi que les décisions des juridictions autres que celles visées à l'article 16 de la présente loi peuvent, s'ils sont fondés sur une disposition d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution, qui a été ensuite annulée par la Cour constitutionnelle, ou d'un règlement pris en exécution d'une telle norme, faire, selon le cas, l'objet des recours administratifs ou juridictionnels organisés à leur encontre dans les six mois à dater de la publication de l'arrêt de la Cour constitutionnelle au Moniteur belge.
2. L'article 159 de la Constitution est l'expression d'un principe général du droit à valeur constitutionnelle selon lequel le juge ne peut appliquer une disposition qui viole une norme supérieure. Il s'ensuit que tout organe doté d'un pouvoir de juridiction a le devoir de vérifier la légalité interne et externe de tout acte administratif sur lequel se fonde une demande, une défense ou une exception.
3. La circonstance qu'un acte administratif ne soit plus susceptible d'annulation après l'écoulement du délai de six mois dont il est question à l'article 18 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ne s'oppose pas, en règle, à ce que les cours et tribunaux puissent en écarter l'application sur la base de l'article 159 de la Constitution dans le cadre d'une demande en répétition de l'indu.
4. Les juges d'appel ont constaté et considéré que :
- le 27 février 2012, le collège des bourgmestre et échevins de la première défenderesse a délivré un permis de lotir pour les terrains sis à Brasschaat, Sionkloosterlaan, 31 ;
- le permis de lotir pose notamment comme condition que les lots ne seront proposés à la vente que lorsque les charges sociales imposées auront été versées à la caisse communale ;
- par arrêt n° 145/2013 du 7 novembre 2013, la Cour constitutionnelle a annulé les articles du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 relatif à la politique foncière et immobilière, plus précisément en son chapitre 3, titre 1er, livre IV, qui établissent les charges sociales ;
- par exploit du 28 mai 2014, la demanderesse a réclamé le remboursement jusqu'à concurrence de 50.719,42 euros en principal, des charges sociales qu'elle avait payées le 27 mars 2012 ;
- pour justifier le caractère indu du paiement effectué, la demanderesse se réfère à l'arrêt n° 145/2013 du 7 novembre 2013 par lequel la Cour constitutionnelle annule, avec effet rétroactif, les articles du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 relatif à la politique foncière et immobilière, qui arrêtent les charges sociales dans les permis de lotir ;
- les défenderesses font valoir à bon droit que l'annulation de dispositions décrétales par la Cour constitutionnelle n'implique pas que les actes administratifs fondés sur ces dispositions disparaissent automatiquement de l'ordre juridique. En effet, les actes administratifs sont les suites, non des dispositions décrétales annulées, mais de l'intervention du pouvoir exécutif ;
- de ce fait, un acte administratif subsiste aussi longtemps qu'il n'a pas été abrogé, retiré ou annulé ;
- seule sa validité est affectée par l'annulation des dispositions décrétales sur lesquelles il est fondé, raison pour laquelle l'acte administratif peut être contesté moyennant le respect des formalités prescrites par le décret ;
- si la charge sociale est certes fondée sur une disposition décrétale, elle trouve cependant son origine dans le permis de lotir délivré, qui applique cette disposition décrétale. C'est en effet ce permis en tant qu'acte administratif qui impose à la demanderesse le paiement de la charge sociale ;
- la demanderesse ne démontre pas qu'elle a contesté le permis de lotir, qui lui a été délivré le 27 février 2012, devant la députation de la province d'Anvers sur la base de l'article 4.7.21 du Code flamand de l'aménagement du territoire dans les six mois de la publication, le 10 février 2014, de l'arrêt d'annulation de la Cour constitutionnelle, soit avant le 11 août 2014.
5. Les juges d'appel qui, sur la base de ces énonciations, ont considéré qu'« en l'absence de recours introduit en temps utile auprès de la députation, aucun défaut de validité ne peut plus être reproché au permis de lotir délivré, que le permis de lotir est devenu définitif et irrévocable et subsiste dans l'ordre juridique, sans pouvoir être déclaré inapplicable sur la base de l'article 159 de la Constitution », n'ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur les autres griefs :
6. Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Gand.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Beatrijs Deconinck, président, le président de section Alain Smetryns et les conseillers Geert Jocqué, Bart Wylleman et Ilse Couwenberg, et prononcé en audience publique du neuf janvier deux mille vingt par le premier président Beatrijs Deconinck, en présence de l'avocat général Johan Van der Fraenen, avec l'assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sabine Geubel et transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.