N° C.19.0066.N
ETHIAS, s.a.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. F. D. K.,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
2. ZONE DE POLICE LOCHRISTI–MOERBEKE–WACHTEBEKE–ZELZATE, représentée par son collège de police.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 28 juin 2018 par la cour d'appel de Gand.
Le conseiller Geert Jocqué a fait rapport.
Le premier avocat général Ria Mortier a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. En vertu de l'article 62, alinéa 2, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, l'assureur répond des sinistres causés par la faute, même lourde, du preneur d'assurance, de l'assuré ou du bénéficiaire. Toutefois, l'assureur peut s'exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat.
Cette disposition exclut l'exonération de l'assureur pour des cas de faute lourde déterminés en termes généraux.
2. Les juges d’appel ont constaté et considéré que :
- le premier défendeur est, selon la demanderesse, exclu du bénéfice de son assurance à tout le moins sur la base de l'article 3a de ses conditions générales, qui dispose ce qui suit :
« Sont exclus de l'assurance : la responsabilité pour les dommages causés intentionnellement ou par une faute lourde.
Sont considérés comme ‘fautes lourdes’ :
- les actes commis en état d'ivresse ou sous l'influence de stupéfiants, utilisés sans prescription médicale ;
- tout manquement aux lois, règles ou usages propres à l'activité assurée lorsqu'il ne peut qu’être évident, pour toute personne versée dans la matière, qu'un dommage en résultera quasi inévitablement. Il s’agit notamment du non-recouvrement manifeste d'impôts, de contributions ou d'autres prélèvements » ;
- l’article 62 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances (ancien article 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre) exclut que l’assureur puisse s’exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés en termes généraux ;
- les cas exclus de faute lourde doivent être déterminés expressément et limitativement dans le contrat d'assurance ;
- le simple ajout, ici à l'article 3a de la disposition suivant laquelle « Il s’agit notamment du non-recouvrement manifeste d'impôts, de contributions ou d'autres prélèvements » n’en est pas moins encore formulé de manière trop générale et ne permet pas au premier défendeur de délimiter avec suffisamment de précision les comportements donnant lieu à une faute lourde et exclus à ce titre de la couverture ;
- la demanderesse souligne que le premier défendeur est une « personne versée dans la matière » ;
- le fait que le premier défendeur ait assumé la gestion financière de la commune de Lochristi ne signifie toutefois pas qu'il était également parfaitement rompu à l’exercice de la fonction de comptable spécial ;
- il n’est pas question ici du « non-recouvrement » d’impôts/
contributions/prélèvements par le premier défendeur.
3. Les juges d'appel qui, par ces motifs, considèrent que « [la demanderesse] ne peut se prévaloir de l'article 3a (nul) de ses conditions générales » ont légalement justifié leur décision.
Dans la mesure où il invoque la violation de l'article 62 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
4. Le moyen, en cette branche, n’explique pas comment et en quoi les juges d'appel ont violé la liberté d'entreprendre.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est imprécis et, partant, irrecevable.
5. En ordre subsidiaire, la demanderesse demande à la Cour de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « Les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté du commerce et de l'industrie garantie par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, sont-ils violés par l'article 62 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, interprété en ce sens que l'assureur ne peut se libérer de ses obligations que dans les cas de faute lourde prévus au cas par cas et de manière limitative dans le contrat d'assurance ? ».
6. La Cour constitutionnelle n'est pas compétente pour statuer sur une question préjudicielle relative à la violation d’une loi par une loi.
7. Il n’y a dès lors pas lieu de poser une question préjudicielle sur la compatibilité de l'article 62, alinéa 2, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté du commerce et de l'industrie garantie par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique.
[…]
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Geert Jocqué, les conseillers Bart Wylleman et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du quatre juin deux mille vingt par le président de section Eric Dirix, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sabine Geubel et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.