Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 27 novembre 1985 et 26 février 1986, présentés pour M. Pierre de Y..., demeurant 9, Rond-Point des Champs-Elysées à Paris (75008) ; M. de Y... demande que le Conseil d'Etat annule la décision en date du 8 octobre 1985, par laquelle le ministre de la culture a accordé le visa d'exploitation au film français de long métrage intitulé : "Que la vérité est amère" ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'industrie cinématographique ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Latournerie, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Choucroy, avocat de M. Pierre de Y...,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 19 du code de l'industrie cinématographique : "la représentation et l'exportation des films cinématographiques sont subordonnées à l'obtention de visas délivrés par le ministre chargé de l'information" ; qu'à défaut de toute disposition législative définissant les conditions de fait auxquelles est soumise la légalité des décisions accordant ou refusant les visas d'exploitation et d'exportation, les seules restrictions apportées au pouvoir du ministre sont celles qui résultent de la nécessité de concilier les intérêts généraux dont il a la charge avec le respect dû aux libertés publiques et, notamment, à la liberté d'expression ; qu'il appartient à la juridiction administrative, saisie d'un recours formé contre l'octroi d'un visa, de rechercher si le film qui a fait l'objet de la décision contestée devant elle est de nature à causer à ces intérêts un dommage justifiant une mesure d'interdiction ;
Considérant que, pour demander l'annulation de la décision du 8 octobre 1985, par laquelle le ministre de la culture a accordé le visa d'exploitation au film "Que la vérité est amère", M. de Y... soutient, en premier lieu, que ce film porte atteinte à sa personne ; que seuls des motifs tirés de l'intérêt général peuvent, en principe, justifier que la liberté d'expression puisse être limitée sur le fondement de l'article 19 précité du code de l'industrie cinématographique ; qu'il ne résulte pas du dossier que cette oeuvre cinématographique porte une grave atteinte aux droits fondamentaux des personnes mises en cause dans ce film, dans des conditions telles que l'ordre public en serait affecté ;
Considérant que le requérant soutient, en deuxième lieu, que le film objet du litige porte atteinte à la Résistance ; qu'il résulte du dossier que ce film, même s'il le fait de façon polémique, traite d'événements historiques qui remontent à de nombreuses années et ont fait déjà l'objet de larges débats dans l'opinion et de procès publics au cours desquels d'autres éclairages et d'autres informations ont été donnés ; que sa projection ne comportait ni une menace à l'ordre public ni une atteinte grave aux consciences ; qu'ainsi, en accordant le visa d'exploitation, le ministre de la culture n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 19 du code de l'industrie cinématographique ;
Considérant que M. de Y... soutient, en troisième lieu, que la projection du film risquait d'exerçer une influence sur des procès en diffamation qu'il avait engagés, d'une part, sur le procès de M. Klaus X..., d'autre part ; que, si la représentation publique d'un film cinématographique, eu égard notamment à la référence faite à des éléments d'un procès en cours ou à des personnes qui y sont en cause, comporte le risque sérieux d'apporter un trouble grave à la sérénité de l'appréciation des faits par la juridiction devant laquelle le procès est porté, le ministre est fondé à prendre les mesures restrictives que rend nécessaire la protection des droits et intérêts essentiels des parties ; qu'il ressort des pièces du dossier que ni les situations, ni les faits, tels qu'ils sont présentés dans le film dont s'agit, n'étaient de nature à justifier l'interdiction du film par le ministre ; que le moyen doit donc être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. de Y... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision, en date du 8 octobre 1985, par laquelle le ministre de la culture a accordé le visa d'exploitation au film intitulé : "Que la vérité est amère" ;
Article 1er : La requête de M. de Y... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. de Y..., à la société O K Bal et au ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du Bicentenaire.