Vu la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 5 octobre 1989, présentée par le préfet du Calvados ; le préfet du Calvados demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 27 juillet 1989 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté ses déférés dirigés contre les délibérations des 18 février 1985, 10 février 1986, et 2 mars 1987 relatives à l'adoption des budgets primitifs de la commune pour les années considérées, en tant qu'elles prévoient l'inscription auxdits budgets de dépenses d'un montant respectif de 1 000 000 de F, 1 060 000 F et 1 100 000 F destinées au versement d'indemnités de logement aux instituteurs de écoles primaires privées situées sur le territoire de la commune ;
2°) annule lesdites délibérations pour excès de pouvoir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire, notamment son article 2 ;
Vu la loi du 19 juillet 1889 ;
Vu la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés modifiée par la loi n° 77-1285 du 25 novembre 1977 et la loi n° 85-97 du 25 janvier 1985 ;
Vu les décrets n°s 60-389 et 60-390 du 22 avril 1960 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Daussun, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Vincent, avocat de la ville de Caen,
- les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le préfet du Calvados fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté ses déférés dirigés contre les délibérations du conseil municipal de Caen en date des 18 février 1985, 10 février 1986 et 2 mars 1987 adoptant les budgets primitifs de la commune pour les années considérées en tant qu'elles prévoient l'inscription de dépenses d'un montant respectif de 1 000 000 F, 1 060 000 F et 1 100 000 F destinées au versement d'indemnités de logement aux instituteurs des écoles privées situées sur le territoire de la commune ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le préfet du Calvados avait notamment fait valoir devant le tribunal administratif que les dépenses décidées par le conseil municipal de Caen étaient dépourvues d'intérêt communal ; que le tribunal administratif a omis de répondre à ce moyen qui n'était pas inopérant ; que le jugement étant ainsi entaché d'irrégularité doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les déférés présentés par le préfet du Calvados devant le tribunal administratif ;
Sur la légalité des délibérations attaquées :
Considérant que les délibérations attaquées ont pour objet et pour effet à la fois de faire bénéficier les instituteurs des écoles privées de la commune d'un complément de rémunération et d'accorder une aide indirecte aux écoles dans lesquelles ces instituteurs exercent leurs fonctions ;
Sur la légalité des délibérations en tant qu'elles font bénéficier les instituteurs des écoles privées de la commune d'un complément de rémunération :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire : "L'établissement des écoles primaires élémentaires publiques (...) est une dépense obligatoire pour les communes. Sont également des dépenses obligatoires, dans toute école régulièrement créée : le logement de chacun des instituteurs attachés à ces écoles (...)" ; que ces dispositions, confirmées par l'article 4 de la loi du 19 juillet 1889 relative aux dépenses ordinaires de l'instruction primaire publique, ne mettent à la charge des communes le logement des instituteurs ou les indemnités représentatives, qu'en ce qui concerne les écoles primaires élémentaires publiques ; que, faute pour le législateur d'en avoir étendu le bénéfice aux instituteurs des écoles privées placées ou non sous le régime de l'un des contrats prévus par la loi du 31 décembre 1959, ces dispositions ne peuvent servir de base légale aux délibérations attaquées ;
Considérant que si l'article 15 de la loi du 31 décembre 1959 dispose que : "Les règles générales qui déterminent les conditions de service et de cessation d'activité des maîtres titulaires de l'enseignement public ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient sont applicables également et simultanément aux maîtres justifiant du même niveau de formation, habilités par agrément ou par contrat à exercer leurs fonctions dans les établissements liés à l'Etat par contrat (...)", ces dispositions qui régissent exclusivement les relations entre les maîtres des établissements privés sous contrat et l'Etat ne sauraient davantage légalement fonder les délibérations attaquées ;
Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article L.122-26 du code des communes : "Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune" ; que les instituteurs des écoles privées de Caen placées ou non sous le régime de l'un des contrats prévus par la loi du 31 décembre 1959 modifiée n'ont pas de lien juridique avec la commune ; que l'attribution à ces personnes d'une indemnité représentative de logement ne présente aucun caractère d'utilité communale ; qu'il suit de là qu'en leur accordant l'avantage en cause, le conseil municipal a excédé les pouvoirs qu'il tient de l'article L.122-26 précité du code des communes ;
Sur la légalité des délibérations attaquées en tant qu'elles attribuent une aide indirecte aux écoles privées :
Considérant que la loi du 30 octobre 1886 interdit aux collectivités publiques d'accorder, en dehors des cas prévus par la loi du 31 décembre 1959, une aide directe ou indirecte aux écoles primaires ou maternelles privées ;
Considérant, en premier lieu, que les délibérations litigieuses en tant qu'elles accordent une indemnité de logement aux instituteurs des écoles privées de la commune qui ne sont pas placées sous le régime de l'un des contrats prévus par la loi du 31 décembre 1959, méconnaissent l'interdiction édictée par la loi du 30 octobre 1886 ; Considérant, en deuxième lieu, que la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés définit limitativement les conditions dans lesquelles des fonds publics peuvent, par dérogation à la loi du 30 octobre 1886, être utilisés au bénéfice des écoles primaires privées ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1959 dans sa rédaction issue de la loi du 25 janvier 1985 : "Les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat (d'association) sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public" ; que l'article 5 de la même loi dispose que : "Les communes peuvent participer dans les conditions qui sont déterminées par décret aux dépenses des établissements privés qui bénéficient d'un contrat simple" ; qu'il résulte de l'article 7 du décret n° 60-389 du 22 avril 1960 relatif au contrat d'association passé avec l'Etat par les établissements d'enseignement privés et de l'article 7 du décret n° 60-390 de la même date relatif au contrat simple, que les seules dépenses de fonctionnement que la commune a l'obligation de prendre en charge, s'il s'agit de classes élémentaires sous contrat d'association, ou la faculté de prendre en charge, s'il s'agit soit de classes maternelles sous contrat d'association soit de classes élémentaires ou maternelles sous contrat simple, sont les dépenses de fonctionnement matériel de ces classes ; que les charges afférentes au logement des instituteurs exerçant dans ces classes ne constituent pas des dépenses de fonctionnement matériel de ces classes et ne peuvent donc légalement être assumées par une commune ; qu'il suit de là que les délibérations litigieuses du conseil municipal de Caen, en tant qu'elles accordent une aide indirecte aux écoles privées sous contrat de la commune, sont intervenues en méconnaissance des articles 4 et 5 précités de la loi du 31 décembre 1959 et des décrets pris pour leur application ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados est fondé à soutenir que les délibérations litigieuses en tant qu'elles inscrivent au budget primitif de la commune de Caen pour les années 1985, 1986 et 1987 les sommes nécessaires au versement d'indemnités de logement aux instituteurs des écoles privées sont entachées d'excès de pouvoir et à en demander pour ce motif, l'annulation ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 27 juillet 1989 est annulé.
Article 2 : Les délibérations du conseil municipal de Caen en date des 18 février 1985, 10 février 1986 et 2 mars 1987, en tant qu'elles inscrivent au budget primitif de la commune pour les années 1985, 1986 et 1987 les sommes nécessaires au versement d'indemnités de logement aux instituteurs des écoles privées de la commune, sont annulées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au préfet du Calvados, à la ville de Caen, au ministre du budget et au ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.