Vu le recours du MINISTRE DU BUDGET enregistré le 5 avril 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande que le Conseil d'Etat annule l'arrêt en date du 5 février 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement en date du 28 décembre 1989 par lequel le tribunal administratif de Lille a accordé à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1983, réduction de la même taxe au titre des années 1980 à 1982 et réduction de la taxe sur les salaires mise à sa charge au titre des années 1981 à 1983, et l'a condamné à verser à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord la somme de 30 000 F au titre de l'article R.222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'article 7-1 de la loi 91-716 du 26 juillet 1991 portant diverses mesures d'ordre économique et financier ;
Vu l'article 75 de la loi 91-647 du 10 juillet 1991 ;Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Le Roy, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Odent, avocat de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi :
Considérant qu'aux termes de l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts pris en application des articles 271 et 273 du code : "Les assujettis qui ne réalisent pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction sont autorisés à déduire une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les biens constituant des immobilisations égales au montant de cette taxe multiplié par le rapport existant entre le montant annuel des recettes afférentes à des opérations ouvrant droit à déduction et le montant annuel des recettes afférentes à l'ensemble des opérations réalisées" ; que le 1 de l'article 231 du même code dans sa rédaction applicable aux cours des années 1981 à 1983 dispose que "Les sommes payées à titre de traitements, salaires, indemnités et émoluments y compris la valeur des avantages en nature, sont soumises à une taxe sur les salaires égale à 4,25 % de leur montant, à la charge des personnes ou organismes qui paient des traitements, salaires, indemnités et émoluments lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 256-I, du d) du 1° de l'article 261-C et de l'article 260-B du code général des impôts, dans leur rédaction applicable avant le 29 juillet 1991, que les opérations portant sur les devises, visées au d) du 1° de l'article 261-C d) sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée mais peuvent y être assujetties sur option ; que, dans ce cas, le montant des recettes provenant de ces opérations doit être pris en compte, pour le rapport défini à l'article 212 de l'annexe II précité, tant au numérateur qu'au dénominateur, et pour le rapport défini au 1 de l'article 231 précité, au dénominateur seulement ;
Considérant qu'au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, les opérations de change, et notamment de change manuel, même si elles donnent lieu à un contrat d'achat et de vente portant sur les devises, consistent en un échange d'instruments de paiement, dans lequel l'intervention de l'établissement bancaire ne peut être regardée que comme une prestation de service, dont la rémunération est constituée par la commission perçue et le profit de change réalisé ; que c'est cette rémunération, et non le prix total des devises échangées, qui constitue pour l'établissement bancaire qui procède à l'opération la recette ou le chiffre d'affaires, au sens tant de l'article 212 précité de l'annexe II au même code, qui a transposé l'article 19-1 susmentionné de la 6ème directive du conseil des communautés européennes en date du 17 mai 1977, relatif au calcul du prorata de déduction, que du 1 de l'article 231 précité du code généraldes impôts ;
Considérant, par suite, qu'en regardant les opérations de change manuel réalisées par la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord comme des ventes de biens meubles corporels dont les recettes au sens de l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts et le chiffre d'affaires au sens du 1 de l'article 231 du même code comprenaient l'intégralité des sommes encaissées au cours desdites opérations, et non les seuls profits et autres rémunérations perçus par la Caisse en contrepartie de ces prestations de service, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, "le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir tirée par le ministre de la tardiveté des réclamations et demande de restitution du contribuable :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 3 à 5 du jugement du 28 décembre 1989 par lequel le tribunal administratif de Lille, par une inexacte application des dispositions précitées de l'article 212 de l'annexe II du code général des impôts, a accordé à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord, d'une part, la décharge des compléments d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités auxquels elle a été assujettie pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1983, d'autre part, la réduction des impositions à la taxe sur la valeur ajoutée mises à sa charge au titre de la période du 1er janvier 1980 au 31 décembre 1982, et de la taxe sur les salaires mise à sa charge au titre des années 1981 à 1983, ainsi que le rejet du surplus des demandes en ce sens de la Caisse, restant en litige après le non-lieu constaté par les premiers juges ; que si l'instruction de la direction générale des impôts n° 361-79 du 31 janvier 1979, qu'invoque la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord en se fondant sur l'article L.80-A du livre des procédures fiscales, qualifie les opérations de change manuel de "livraisons de biens meubles corporels", cette position n'a été admise qu'au point de vue de la "territorialité" et du fait générateur de l'impôt, et ne concerne pas l'assiette de la taxe ou l'étendue du droit à déduction ; qu'elle ne comporte donc sur ces deux derniers points aucune interprétation formelle de la loi fiscale dont le redevable pourrait se prévaloir ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens" ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord la somme qu'elle a demandée en appel au titre des sommes exposées par elle et non comprise dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy an date du 5 février 1991 est annulé.
Article 2 : Les articles 3 à 5 du jugement du tribunal administratif de Lille en date du 28 décembre 1989 sont annulés.
Article 3 : Les impositions à la taxe sur la valeur ajoutée et à la taxe sur les salaires, et les pénalités y afférentes auxquelles laCaisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 1980 au 31 décembre 1983 d'une part, au titre des années 1981 à 1983 d'autre part, sont remises intégralement à sa charge.
Article 4 : Les conclusions présentées en appel par la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord et tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Nord et au ministre du budget.