Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 11 mai 2010, présentée par M. Fadoua A, demeurant chez ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 10 mai 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce que soit constatée l'illégalité de la décision du 20 avril 2010 du consul général de France à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de lui délivrer un visa court séjour, et à ce qu'il soit enjoint au consul général de France à Abidjan de réexaminer sa demande de visa et de lui délivrer un visa ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de procéder au réexamen de la demande et de lui délivrer le visa sollicité dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que la condition particulière d'urgence est remplie dès lors qu'il est convoqué le 27 mai 2010 devant la cour d'appel de Paris et qu'il a prévu de prendre un vol pour Paris le 13 mai 2010 afin de préparer sa défense ; que la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable reconnu par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puisqu'en premier lieu, il ne peut assurer seul sa défense en assistant à l'audience ; qu'en deuxième lieu, l'égalité des armes n'est pas respectée dès lors que la juridiction aura entendu plusieurs fois la partie civile et l'accusation sans l'avoir personnellement entendu ; qu'en troisième lieu, la décision contestée méconnaît le droit à un recours effectif dès lors que la cour d'appel de Paris serait amenée à juger hors sa présence des faits, qui ont déjà été jugés en son absence en première instance ; qu'il ne présente aucun risque pour l'ordre public dès lors qu'un mandat d'arrêt a été pris à son encontre et qu'il sera interpellé dès son arrivée en France et incarcéré dans l'attente de l'audience ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2010, présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient à titre principal que la requête est irrecevable puisque la requête ne comporte pas de moyens d'appel, faute de développer de nouveaux moyens par rapport à ceux de première instance ; qu'à titre subsidiaire, il est établi que M. A est un dangereux délinquant et que sa présence en France constituerait un risque pour l'ordre public dès lors que son incarcération n'est pas assurée et qu'il prévoit de rendre visite à son épouse ; que le refus de visa ne méconnaît pas les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en effet l'avis d'audience devant la cour d'appel de Paris ne peut tenir lieu de convocation ; que le conseil de M. A peut assurer sa défense ; que la comparution personnelle de M. A n'a pas été requise par le tribunal ; que la demande de visa ayant été établie pour rendre visite à son épouse, il est manifeste que le requérant n'a pas l'intention de se présenter à cette audience ; qu'en outre, la condition d'urgence particulière n'est pas remplie dès lors que rien n'oblige le requérant à entrer en France le 13 mai 2010 alors que l'audience n'a lieu que le 27 mai ; qu'en tout état de cause, la présence du requérant à cette audience n'est pas obligatoire ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part M. A et, d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 18 mai 2010 à 12 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;
- la représentante du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant qu'au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifié par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ;
Sur la fin de non recevoir opposée par l'administration à la requête d'appel :
Considérant que, contrairement à ce que soutient l'administration, la requête d'appel comporte bien l'exposé des moyens, conformément aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'administration à la requête d'appel de M. A doit être rejetée ;
Sur la requête d'appel :
Considérant que M. A, de nationalité ivoirienne, a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement le 12 novembre 2007 par le tribunal de grande instance de Bobigny, statuant en matière correctionnelle ; qu'il a sollicité un visa de court séjour dans le but de se rendre à l'audience, prévue le 27 mai 2010, au cours de laquelle la cour d'appel de Paris doit examiner l'appel qu'il a formé contre ce jugement ;
Considérant que la possibilité d'assurer de manière effective sa défense devant le juge a le caractère d'une liberté fondamentale ; qu'en vertu de l'article 410 du code de procédure pénale auquel renvoie, pour la procédure devant la chambre des appels correctionnels, l'article 512 du même code, le prévenu régulièrement cité en personne doit en principe comparaître devant la juridiction devant laquelle il a été appelé, à moins qu'il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé ; qu'il résulte de l'instruction qu'en l'espèce, M. A n'a pas renoncé à son droit de comparaître, mais a au contraire manifesté son intention de l'exercer, en vue d'assurer sa défense ; que si l'administration justifie le refus de visa par la menace pour l'ordre public que constituerait la présence de l'intéressé sur le territoire français, ce motif doit être écarté dès lors que M. A fait l'objet d'un mandat d'arrêt et devrait par suite, ainsi qu'il l'indique lui-même dans ses écritures, être appréhendé par les autorités de police lors de son arrivée sur le territoire national ; que, dans ces conditions, le refus de visa opposé à M. A doit être regardé comme portant à son droit d'assurer de manière effective sa défense devant le juge une atteinte grave et manifestement illégale ; qu'il en résulte que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour rejeter la demande de M. A, le fait que le refus de visa ne porterait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
Considérant toutefois qu'il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur la fin de non recevoir ainsi que sur la demande de première instance ;
Sur la fin de non recevoir opposée par l'administration à la requête de première instance :
Considérant que l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui impose la saisine de la commission des recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France comme préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, ne s'oppose pas à ce que le juge des référés soit directement saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant au prononcé d'une des mesures de sauvegarde que cette disposition l'habilite à prendre ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir, tirée de l'absence de saisine préalable de la commission des recours, doit être rejetée ;
Sur la demande de suspension :
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, le refus de visa opposé à M. A porte à son droit d'assurer de manière effective sa défense devant le juge une atteinte grave et manifestement illégale ; que, compte tenu de la proximité de la date de l'audience devant la cour d'appel de Paris, fixée au 27 mai 2010, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de délivrer à M. A le visa sollicité dans un délai de trois jours à compter de la présente ordonnance ; qu'il n'y pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens ;
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 10 mai 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de délivrer à M. A le visa sollicité dans un délai de trois jours à compter de la présente ordonnance.
Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de conclusions de M. A est rejeté.
Article 5: La présente ordonnance sera notifiée à M. Fadoua A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.