Vu la procédure suivante :
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), subrogé dans les droits de M. A...B...sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui rembourser le montant de l'indemnité transactionnelle qu'il a versée à M. B...en réparation de l'infection nosocomiale contractée par celui-ci dans cet établissement. Par un jugement n° 0802888 du 18 septembre 2012, le tribunal administratif, après avoir mis en cause la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin, a partiellement fait droit à sa demande et aux conclusions du recours subrogatoire dirigé par cette caisse contre les Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
Par un arrêt n° 12NC01877, 12NC01878 du 5 décembre 2013, après avoir joint les appels de l'ONIAM et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Nancy a relevé les sommes que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont été condamnés à verser à l'ONIAM et à la CPAM du Bas-Rhin.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 février et 7 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg demandent au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat des Hôpitaux universitaires de Strasbourg , à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. (...) / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue (...) " ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...B...a été pris en charge par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg pour traiter les suites douloureuses d'une chute, dans un service de neurochirurgie du 7 mars au 6 avril 2002 puis dans un service de rhumatologie du 6 au 30 avril 2002 ; qu'il a présenté au cours de cette hospitalisation une infection par staphylocoque doré diagnostiquée le 9 avril 2002 ; que les suites de cette infection ont rendu nécessaire le remplacement par une prothèse de sa hanche droite, le 3 mai 2002, puis de sa hanche gauche, le 15 novembre 2002 ; que, par un avis du 4 mai 2005, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Alsace a retenu le caractère nosocomial de cette infection ; que l'assureur des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ayant refusé de faire une offre d'indemnisation à M. B..., l'ONIAM s'est substitué à cet assureur, en application des dispositions précitées de l'article L. 1142-15, pour proposer à la victime une indemnisation transactionnelle de 127 522, 70 euros ; que M. B...a accepté cette indemnisation le 25 avril 2007 ; que l'ONIAM s'est trouvé, de ce fait, subrogé à hauteur des sommes versées dans les droits de M. B... contre l'auteur du dommage ; que l'office a formé devant le tribunal administratif de Strasbourg un recours subrogatoire dirigé contre les Hôpitaux universitaires de Strasbourg auquel le tribunal, après avoir appelé en la cause la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin, a partiellement fait droit par un jugement du 18 septembre 2012 en condamnant notamment les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser à l'ONIAM une somme de 40 000 euros, ainsi qu'une somme de 6 000 euros au titre de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15, et à la CPAM du Bas-Rhin la somme de 94 971, 81 euros ; que la cour administrative d'appel de Nancy, statuant après les avoir joints sur les appels de l'ONIAM et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, a, par un arrêt du 5 décembre 2013, porté ces sommes, respectivement, à 58 416, 62 euros, 8 762, 54 euros et 102 656, 32 euros ; que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg demandent l'annulation de cet arrêt ; que, par un pourvoi incident, l'ONIAM demande l'annulation de l'arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions relatives à l'indemnisation du préjudice professionnel de M. B...pour la période postérieure au 31 juillet 2006 ;
Sur le pourvoi principal :
En ce qui concerne la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg :
3. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; que ces dispositions font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère ne soit rapportée ; que seule une infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'était ni présente ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale ;
4. Considérant que, pour juger que l'infection de M. B...présentait un caractère nosocomial de nature à engager la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, la cour administrative d'appel de Nancy a relevé, d'une part, que deux examens réalisés les 16 mars 2002 et 19 mars 2002 n'avaient pas révélé d'infection chez l'intéressé, d'autre part, que la durée d'incubation d'une infection à staphylocoque doré n'était pas compatible avec l'hypothèse d'une infection contractée avant le début de sa prise en charge et, enfin, que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg n'apportaient aucune preuve d'une cause étrangère de cette infection ; qu'elle a, au surplus, constaté que toutes les causes d'infection envisagées par les experts mandatés par la CRCI d'Alsace se rapportaient aux conditions de prise en charge de M. B...dans cet établissement ; qu'elle a ainsi suffisamment motivé son arrêt sur ce point et ne l'a entaché ni d'erreur de droit ni de dénaturation ;
En ce qui concerne le préjudice professionnel de M. B...:
5. Considérant, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel ou d'un recours de l'ONIAM, subrogé dans les droits de la victime en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime ou à l'ONIAM, subrogé dans ses droits, dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ; que lorsqu'il procède à l'évaluation des préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'ONIAM subrogé dans des droits de la victime en application des dispositions de l'article L. 1142-15, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime ;
6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme " ; qu'eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de son incapacité ; que, dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice ;
7. Considérant que, pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il appartenait aux juges du fond, pour la période postérieure à la consolidation, au titre de laquelle M. B...a bénéficié d'une rente d'invalidité, de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par l'intéressé en raison de l'infection contractée lors de son hospitalisation entraînait des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une pension d'invalidité ; que, pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la pension, il y avait lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels après consolidation et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la pension ; que, dès lors qu'il était jugé que la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg était intégralement engagée, sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, le montant intégral des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle devait être mis à la charge de cet établissement public ; que l'ONIAM, subrogé dans les droits de M. B...à concurrence des sommes versées au titre de l'indemnisation transactionnelle du 25 avril 2007, devait se voir allouer, le cas échéant et dans cette limite, une somme correspondant à la part de ces postes de préjudice non réparée par la pension, évaluée ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le solde étant versé à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ;
8. Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour s'est bornée à retenir que la pension d'invalidité de M. B...était en lien avec l'infection nosocomiale contractée par celui-ci et à accorder à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin le remboursement des arrérages de cette pension échus du 6 octobre 2004 jusqu'au 8 novembre 2013, ainsi que le remboursement au fur et à mesure de leur échéance des arrérages à échoir à compter du 9 novembre 2013 ; qu'en procédant de la sorte, la cour n'a pas mis en oeuvre la méthode rappelée ci-dessus ; que son arrêt est, par suite, entaché d'une erreur de droit sur ce point ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il fixe les sommes mises à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg au titre des préjudices professionnels de M.B..., en mettant à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg le versement à l'ONIAM d'une somme de 18 416, 62 euros et le versement à la CPAM du Bas-Rhin d'une somme de 33 277, 22 euros au titre des indemnités journalières et d'une somme de 34 482, 36 euros au titre de la pension d'invalidité, ainsi que le remboursement à cette caisse des arrérages à échoir de cette pension ; que l'arrêt doit également être annulé en tant qu'il met à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg les intérêts sur ces sommes ;
Sur le pourvoi incident :
10. Considérant que l'annulation, sur le pourvoi principal, de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il statue sur les préjudices professionnels de la victime prive d'objet le pourvoi incident de l'ONIAM, qui conteste ce même arrêt en tant qu'il ne retient pas une incidence professionnelle de l'infection ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par l'ONIAM et par la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin soient mises à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 5 décembre 2013 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé en tant qu'il fixe les sommes mises à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg au titre des préjudices professionnels de M. B...en mettant à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg le versement à l'ONIAM d'une somme de 18 416, 62 euros et le versement à la CPAM du Bas-Rhin d'une somme de 33 277, 22 euros au titre des indemnités journalières et d'une somme de 34 482, 36 euros au titre de la pension d'invalidité, ainsi que le remboursement à cette caisse des arrérages à échoir de cette pension, et met à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg les intérêts sur ces sommes.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans la limite de la cassation prononcée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de l'ONIAM.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'ONIAM et par la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
Copie en sera adressée à M. A...B....