Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 393853, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 septembre et 30 décembre 2015 et 7 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des avocats de France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 juillet 2015 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides fixant les modalités d'organisation de l'entretien en application de l'article L. 723-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 394591, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 novembre 2015 et 9 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Avocats pour la défense des droits des étrangers et ELENA France demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 juillet 2015 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides fixant les modalités d'organisation de l'entretien en application de l'article L. 723-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Clément Malverti, auditeur,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat du syndicat des avocats de France, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et de ELENA France et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
1. Considérant que les requêtes du syndicat des avocats de France et des associations Avocats pour la défense des droits des étrangers et ELENA France sont dirigées contre la même décision du 30 juillet 2015 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides fixant les modalités d'organisation de l'entretien personnel des demandeurs d'asile par cet Office ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
2. Considérant, en premier lieu, que l'article 11 de la loi du 29 juillet 2015 a créé l'article L. 723-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoit que les modalités d'organisation de l'entretien personnel du demandeur d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sont définies par le directeur général de l'office ; que le directeur général tenait ainsi de ces dispositions la compétence pour adopter la décision attaquée qui fixe les modalités d'organisation de cet entretien personnel sans que puisse y faire obstacle la circonstance que le législateur ait également prévu que les conditions d'instruction des demandes d'asile sont fixées par décret en Conseil d'Etat ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du troisième paragraphe de l'article 23 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " Les États membres autorisent un demandeur à se présenter à l'entretien personnel accompagné du conseil juridique ou d'un autre conseiller reconnu en tant que tel ou autorisé à cette fin en vertu du droit national " ; que le huitième alinéa de l'article L. 723-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Le demandeur peut se présenter à l'entretien accompagné soit d'un avocat, soit d'un représentant d'une association de défense des droits de l'homme, d'une association de défense des droits des étrangers ou des demandeurs d'asile, d'une association de défense des droits des femmes ou des enfants ou d'une association de lutte contre les persécutions fondées sur le sexe ou l'orientation sexuelle (...) " ;
4. Considérant qu'aux termes du 1° du I de l'article 2 de la décision attaquée : " Pour faciliter la préparation et l'organisation de l'entretien et dans la mesure du possible, l'avocat ou le représentant de l'association souhaitant accompagner un demandeur à l'entretien prévient au préalable l'office de sa présence au moins 7 jours avant l'entretien en procédure normale et 4 jours avant en procédure prioritaire, par courriel à l'adresse mentionnée sur la convocation. Cette modalité ne concerne pas les demandes d'asile présentées en rétention de sûreté " ; qu'il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que les délais mentionnés pour prévenir l'office de la présence d'un tiers lors de l'entretien personnel ne présentent pas un caractère impératif ; que, par ailleurs, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire à l'avocat ou au représentant de l'association de se présenter à l'entretien dans l'hypothèse où ces délais n'auraient pas été respectés ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l'édiction de ces délais porterait atteinte au droit du demandeur de se présenter à l'entretien personnel avec un avocat ou un représentant d'association ne peut qu'être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que le troisième paragraphe de l'article 31 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " Les Etats membres veillent à ce que la procédure d'examen [des demandes de protection internationale] soit menée à terme dans les six mois à compter de l'introduction de la demande " ; que le dernier alinéa de l'article 23 de cette directive prévoit que " L'absence d'un conseil juridique ou d'un autre conseiller n'empêche pas l'autorité compétente de mener un entretien personnel avec le demandeur " ; qu'aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 723-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'absence d'un avocat ou d'un représentant d'une association n'empêche pas l'office de mener un entretien avec le demandeur " ;
6. Considérant que le 2° du I de l'article 2 de la décision attaquée dispose que : " L'absence d'un avocat ou d'un représentant d'une association n'empêche pas que l'entretien soit mené avec le demandeur. Aussi, la demande de report d'un entretien à l'initiative d'un avocat ou d'un représentant d'une association ne pourra pas être acceptée. Si l'avocat ou le représentant d'une association arrive en retard, il rejoint l'entretien et l'officier de protection poursuit celui-ci " ; que ces dispositions, édictées dans le souci de concilier le droit pour le demandeur d'asile de se faire assister par un tiers et les nécessités du fonctionnement de l'office afin d'assurer l'examen dans les meilleurs délais des demandes d'asile, ne méconnaissent pas les dispositions législatives précitées transposant la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du troisième paragraphe de l'article 23 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Les États membres autorisent un demandeur à se présenter à l'entretien personnel accompagné du conseil juridique ou d'un autre conseiller reconnu en tant que tel ou autorisé à cette fin en vertu du droit national./ Les États membres peuvent prévoir que le conseil juridique ou autre conseiller ne peut intervenir qu'à la fin de l'entretien personnel " ; qu'aux termes du huitième alinéa de l'article L. 723-6 du CESEDA : " (...) L'avocat ou le représentant de l'association ne peut intervenir qu'à l'issue de l'entretien pour formuler des observations. " ;
8. Considérant que le 4° du I de l'article 2 de la décision attaquée dispose que : " Conformément à l'article L. 723-6 alinéa 8 [du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile], l'officier de protection instructeur mène l'entretien et sollicite les observations de l'avocat ou du représentant d'une association à l'issue de l'entretien. L'avocat ou le représentant d'une association ne peut donc pas prendre la parole de sa propre initiative au cours de l'entretien. En conséquence, l'avocat ou le représentant d'une association ne s'adresse pas directement à l'interprète et ne s'entretient pas seul avec le demandeur d'asile pendant l'entretien " ; que ces dispositions ne font que préciser, sans les méconnaître, les conditions de mise en oeuvre des dispositions législatives précitées, qui prévoient que l'avocat ou le représentant de l'association ne peut intervenir qu'à l'issue de l'entretien, conformément à la possibilité ouverte aux Etats membres par la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
9. Considérant, en quatrième lieu, que contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, la décision attaquée n'interdit nullement au tiers accompagnant le demandeur d'asile de transmettre à l'office des éléments complémentaires postérieurement à la tenue de l'entretien personnel ;
10. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes du 4° du I de l'article 2 de la décision attaquée : " Un officier de protection ne peut pas mener un entretien en présence d'un avocat ou du représentant d'une association qu'il connaît personnellement " ; qu'en édictant une telle règle, qui implique que lorsque l'officier pressenti pour mener l'entretien connaît personnellement l'avocat ou le représentant d'une association accompagnant le demandeur d'asile, un autre officier soit désigné, le directeur de l'office n'a pas commis d'illégalité ;
11. Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes du 3° du I de l'article 2 de la décision attaquée : " Lors de l'arrivée de l'avocat ou du représentant d'une association à l'office, son identité, sa qualité d'avocat ou de représentant d'association conformément à l'article L. 723-6 précité sont vérifiées par les agents de l'office. L'avocat ou le représentant d'une association sont soumis aux consignes générales de sécurité en vigueur dans l'établissement. Concernant les demandeurs d'asile en zone d'attente ou ceux en centre de rétention dont l'entretien se déroulera par visioconférence, cette vérification est opérée par les agents de la police aux frontières ou des centres de rétention " ; que, contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, ces dispositions n'imposent pas par elles-mêmes la fouille du tiers accompagnateur par les agents de sécurité de l'office ;
12. Considérant, en septième lieu, que l'obligation pour le tiers accompagnant le demandeur d'asile d'éteindre son téléphone portable pendant l'entretien personnel ne saurait être regardée comme de nature à porter atteinte au droit du demandeur d'asile d'être assisté par un avocat ou un représentant d'association pendant l'entretien ;
13. Considérant, en huitième lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa du II de l'article 2 de la décision attaquée : " En cas d'impossibilité technique de procéder à l'enregistrement sonore, la transcription fait l'objet d'un recueil de commentaires. Si le demandeur refuse de confirmer que le contenu de la transcription reflète correctement l'entretien, les motifs de son refus sont consignés dans son dossier. Un tel refus n'empêche pas l'office de statuer sur la demande d'asile " ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée, en ne permettant pas au demandeur d'asile de prendre connaissance de la transcription de l'entretien et de signer cette transcription, porterait atteinte aux droits de la défense du demandeur d'asile manque en fait ;
14. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 24 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Lorsque des demandeurs ont été identifiés comme étant des demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales, les États membres veillent à ce qu'un soutien adéquat leur soit accordé pour qu'ils puissent, tout au long de la procédure d'asile, bénéficier des droits et se conformer aux obligations prévus par la présente directive (...) " ; que l'article L. 723-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit en ce sens que : " Pendant toute la durée de la procédure d'examen de la demande, l'office peut définir les modalités particulières d'examen qu'il estime nécessaires pour l'exercice des droits d'un demandeur en raison de sa situation particulière ou de sa vulnérabilité (...)./ L'office peut statuer par priorité sur les demandes manifestement fondées ainsi que sur les demandes présentées par des personnes vulnérables identifiées comme ayant des besoins particuliers en matière d'accueil en application de l'article L. 744-6 ou comme nécessitant des modalités particulières d'examen./ Lorsque l'office considère que le demandeur d'asile, en raison notamment des violences graves dont il a été victime ou de sa minorité, nécessite des garanties procédurales particulières qui ne sont pas compatibles avec l'examen de sa demande en procédure accélérée en application de l'article L. 723-2, il peut décider de ne pas statuer ainsi " ; que l'article L. 723-6 de ce code dispose que : " L'office convoque le demandeur à un entretien personnel. Il peut s'en dispenser s'il apparaît que : (...)/ 2° Des raisons médicales, durables et indépendantes de la volonté de l'intéressé interdisent de procéder à l'entretien./ Chaque demandeur majeur est entendu individuellement, hors de la présence des membres de sa famille. L'office peut entendre individuellement un demandeur mineur, dans les mêmes conditions, s'il estime raisonnable de penser qu'il aurait pu subir des persécutions ou des atteintes graves dont les membres de la famille n'auraient pas connaissance. (...)/ Si le demandeur en fait la demande et si cette dernière apparaît manifestement fondée par la difficulté pour le demandeur d'exposer l'ensemble des motifs de sa demande d'asile, notamment ceux liés à des violences à caractère sexuel, l'entretien est mené, dans la mesure du possible, par un agent de l'office du sexe de son choix et en présence d'un interprète du sexe de son choix " ;
15. Considérant que la décision attaquée, si elle n'envisage pas de manière spécifique la situation des demandeurs d'asile vulnérables, ne saurait avoir pour effet de faire obstacle à l'application des garanties procédurales spécifiques prévues, pour les demandeurs d'asile vulnérables, par les articles L. 723-3 et L. 723-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la décision attaquée porterait atteinte au droit d'asile et méconnaîtrait les exigences de la directive du 26 juin 2013 ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision qu'ils attaquent ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes du syndicat des avocats de France et des associations Avocats pour la défense des droits des étrangers et ELENA France sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat des avocats de France, à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, à l'association ELENA France et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.