Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 novembre et 16 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Twin Jet demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) la suspension de l'exécution, d'une part, de la décision n° 1601-D2 du 1er septembre 2016 de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI) prise sur la saisine n° 1601 relative à la demande d'homologation des tarifs de la société Aéroports de Paris pour la période tarifaire 2016 et, d'autre part, de la délibération de la société Aéroports de Paris du 1er septembre 2016 adoptant ces tarifs ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société requérante soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'exécution des décisions contestées porte une atteinte grave et immédiate, d'une part, à ses intérêts privés du fait de la chute brutale de son résultat net que ces décisions entraînent et, d'autre part, à l'intérêt public tenant au maintien du service public de la liaison aérienne entre Limoges et Paris Orly et entre Périgueux et Paris Orly ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision d'homologation attaquée ;
- elle méconnaît les règles de fixation et d'évolution du montant des redevances aéroportuaires fixées par le code de l'aviation civile et est entachée d'erreur de qualification juridique des faits ;
- elle méconnaît le principe d'égalité des usagers devant le service public;
- elle méconnaît le principe de libre prestation de services au sein de l'Union européenne et le principe d'égale concurrence entre les prestataires de services de transport aérien ;
- elle méconnaît les principes d'objectivité, de transparence et de non-discrimination attachés aux tarifs d'utilisation des infrastructures qualifiées de facilités essentielles ;
- elle est entachée d'un vice de forme en ce qu'elle a été prise par une autorité dont l'organisation et le fonctionnement sont irréguliers ;
- elle est entachée d'un de vice de forme en ce qu'elle n'a pas été précédée d'une délibération du conseil d'administration d'Aéroports de Paris portant fixation du montant des redevances aéroportuaires ;
- elle est entachée d'un vice de forme en ce qu'à supposer que cette délibération existe, Aéroports de Paris ne l'a pas notifié par lettre recommandée à l'Autorité de supervision indépendante ;
- elle est entachée d'un de vice de forme en ce que la saisine de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires n'a pas été accompagnée d'un avis régulier de la commission consultative économique de l'aérodrome ;
- la décision litigieuse méconnaît le principe du contradictoire ;
- elle porte atteinte au principe de sécurité juridique ;
- elle a été rendue en méconnaissance des règles fixées par le règlement intérieur de l'Autorité de supervision indépendante.
Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 15, 16 et 19 décembre 2016, la société Aéroports de Paris demande, d'une part, le rejet de la requête et, d'autre part, que soit mis à la charge de la société Twin Jet la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 15 et 19 décembre 2016, l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires conclut au rejet de la requête, dès lors que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive n° 2009/12/CE du 11 mars 2009 ;
- le code de l'aviation civile;
- le décret n° 2016-825 du 23 juin 2016;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Twin Jet et, d'autre part, Aéroports de Paris et l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 19 décembre 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de la société Twin Jet ;
- le représentant de la société Twin Jet ;
- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires ;
- les représentants de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires ;
- les représentants d'Aéroports de Paris;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence ; que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
2. Considérant que par une décision rendue publique le 26 janvier 2016, la société Aéroports de Paris a fixé le tarif des redevances aéroportuaires applicable pour la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2017 ; que par une décision du 21 janvier 2016, le directeur du transport aérien du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer a homologué cette décision tarifaire ; que, par une ordonnance n°398090 du 19 avril 2016, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté les conclusions présentées notamment par la société Twin Jet tendant à la suspension de l'exécution de ces deux décisions, au motif que la condition d'urgence n'était pas satisfaite ; que la demande d'annulation de ces deux décisions est toujours pendante devant le Conseil d'Etat ; que par délibération du 1er septembre 2016, le conseil d'administration de la société Aéroports de Paris a adopté une proposition de nouvelle grille tarifaire pour la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2017 ; que cette proposition a été adressée le même jour à l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires mentionnée aux articles R.224-8 à R.224-10 du code de l'aviation civile, telle qu'instituée par le décret du 23 juin 2016 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile ; que cette nouvelle grille tarifaire, qui se traduit par une baisse de redevance dite " d'atterrissage " par rapport au montant fixé en janvier 2016 pour la même période, a été homologuée par une décision n°1601-D2 du même jour et s'est substituée à la précédente, à effet du 1er avril 2016 ; que la société Twin Jet demande la suspension de l'exécution de cette décision ainsi que de la délibération du conseil d'administration de la société Aéroports de Paris ;
3. Considérant que la société Twin Jet soutient que la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les décisions litigieuses, même si elles prévoient une réduction du montant de la redevance dite " d'atterrissage " par rapport au montant initialement fixé en janvier 2016 pour la période tarifaire 2016, laissent persister pour cette même période des tarifs de redevances aéroportuaires supérieurs à ceux applicables au titre de la période tarifaire précédente, courant du 1er avril 2015 au 31 mars 2016, la hausse étant de 65% pour la redevance dite " d'atterrissage " prise isolément et de 35% si l'on tient compte de la baisse concomitante des tarifs de la redevance dite " de stationnement " et de la redevance " par passager " ; la société soutient qu'un tel rehaussement, d'un montant total annuel supérieur à celui de son bénéfice net, a pour effet de la placer en situation déficitaire pour l'exercice clos le 31 décembre 2016 et met en péril la poursuite de son activité d'exploitation des lignes aériennes Paris-Limoges, Paris-Périgueux et Paris-Le-Puy-en-Velay, portant ainsi une atteinte grave et immédiate tant à ses propres intérêts qu'à l'intérêt public qui s'attache à la poursuite de la desserte aérienne de ces trois villes ;
4. Considérant toutefois qu'il résulte des dispositions de l'article L.521-1 du code de justice administrative que la suspension de l'exécution d'une décision administrative présente le caractère d'une mesure provisoire ; qu'elle n'a en principe d'effets que pour l'avenir et n'emporte pas les mêmes conséquences qu'une décision d'annulation prononcée par le juge administratif, laquelle a une portée rétroactive ; que la circonstance que la mise en oeuvre, à compter du 1er avril 2016, des décisions contestées ait pu avoir pour effet de faire supporter à la société requérante, qui a déjà acquitté l'ensemble des sommes mises en recouvrement par Aéroports de Paris, une charge excessive est par elle-même sans incidence sur l'appréciation de l'urgence à prononcer la suspension, pour l'avenir, de l'exécution des décisions contestées ; qu'en tout état de cause, il résulte de l'instruction que les décisions contestées, qui ont eu pour effet de substituer rétroactivement, depuis le 1er avril 2016, de nouveaux tarifs inférieurs à ceux initialement homologués le 21 janvier 2016, ont fait naître le 1er septembre 2016 au bénéfice de la société Twin Jet une créance d'un montant de 27 469 euros sur la société Aéroports de Paris, de sorte que la suspension des effets passés de ces décisions serait défavorable à la requérante ; que s'agissant des effets futurs des décisions en cause, il résulte de l'instruction que celles-ci entraînent, par rapport aux tarifs applicables lors de la période tarifaire du 1er avril 2015 au 31 mars 2016, pour des appareils du type de ceux exploités par la société requérante, sur la base d'un taux de remplissage moyen des avions de 50%, et en tenant compte de la modulation de la redevance d'atterrissage en fonction du niveau acoustique des appareils, un surcoût de 8 à 9 € par passager, ce qui représente entre 1,2 et 9 % du prix des billets d'avion ; qu'il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit par le juge des référés du Conseil d'Etat dans son ordonnance précitée du 19 avril 2016, que les obligations de service public imposées à la société pour les liaisons qu'elle exploite à partir des aéroports parisiens ne fixent pas de plafond tarifaire, de sorte qu'elle est en principe en mesure de répercuter tout ou partie de la hausse des redevances aéroportuaires sur le prix des billets ; qu'il n'est en outre pas établi, en l'état de l'instruction et, compte tenu des conditions de la concurrence sur ces liaisons, que l'augmentation du prix du billet qui en résulterait entraînerait une réduction du volume des ventes de nature à en condamner l'exploitation à échéance de trois mois, période résiduelle d'application des décisions contestées ; que dans ces conditions, même dans l'hypothèse où la suspension de l'exécution des décisions contestées ne s'accompagnerait pas d'une remise en vigueur provisoire des tarifs supérieurs homologués en janvier 2016, il n'est pas établi, en l'état de l'instruction, que les décisions contestées portent une atteinte grave et immédiate à la situation financière de la société Twin Jet et à la pérennité de l'exploitation des liaisons concernées.
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence n'est pas satisfaite ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner si l'un au moins des moyens soulevés par la société requérante est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité des décisions litigieuses, la demande de suspension présentée par la requérante doit être rejetée, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge le versement à la société Aéroports de Paris de la somme que celle-ci demande au titre des mêmes dispositions ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société Twin Jet est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Aéroports de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Twin Jet, à la société Aéroports de Paris et à l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires.