Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 août et 26 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des industries de la protection des plantes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-791 du 30 juin 2015 relatif aux conditions d'exercice par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail de ses missions concernant les autorisations préalables à la mise sur le marché et à l'expérimentation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants en tant qu'il introduit dans le code rural et de la pêche maritime les articles R. 253-5 et R. 253-12 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive n° 91/414/CEE du 15 juillet 1991 ;
- le règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 ;
- le règlement n° 546/2011 du 10 juin 2011 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 ;
- la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de l'Union des industries de la protection des plantes ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 juin 2017, présentée par l'UIPP ;
Considérant ce qui suit :
1. Le règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE fixe la procédure et les critères d'examen et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques au sein de l'Union européenne. En vertu de l'article 51 de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, la compétence pour la délivrance, la modification et le retrait des autorisations de mise sur le marché de ces produits a été confiée au directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Pour l'application de ces dispositions a été édicté le décret du 30 juin 2015 relatif aux conditions d'exercice par l'ANSES de ses missions concernant les autorisations préalables à la mise sur le marché et à l'expérimentation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants.
2. L'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, du cinquième alinéa de l'article R. 253-5 du code rural et de la pêche maritime, créé par le c du 1° de l'article 1er de ce décret, d'autre part, de l'article R. 253-12 du même code, créé par le h du 1° de l'article 1er de ce décret, en tant seulement qu'il prévoit que le silence gardé par l'ANSES dans les délais impartis pour statuer sur des demandes d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques vaut décision de rejet.
Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du cinquième alinéa de l'article R. 253-5 du code rural et de la pêche maritime :
3. En vertu de l'article 29 du règlement n° 1107/2009, un produit phytopharmaceutique ne peut être autorisé que si, au terme d'une procédure d'examen obéissant à des principes uniformes d'évaluation et d'autorisation, il satisfait à un certain nombre d'exigences tenant à sa composition, à son efficacité et à ses effets sur l'environnement. Conformément au paragraphe 6 de cet article, les principes uniformes d'évaluation et d'autorisation à respecter ont été précisés dans le règlement n° 546/2011 du 10 juin 2011 portant application du règlement n° 1107/2009 en ce qui concerne les principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques.
4. Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 253-5 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du c du 1° de l'article 1er du décret attaqué, les décisions relatives aux demandes d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques prises par le directeur général de l'ANSES sont " précédées d'une évaluation conduite (...) conformément aux principes uniformes d'évaluation et d'autorisation mentionnés au paragraphe 6 de l'article 29 du règlement n° 1107/2009 " et, aux termes du cinquième alinéa du même article : " Le ministre chargé de l'agriculture peut préciser, par arrêté, des modalités d'application des principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques ".
5. En se bornant à prévoir que le ministre chargé de l'agriculture a la faculté de prendre par arrêté des modalités d'application des principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques fixés par le règlement n° 546/2011, ces dispositions n'ont pour effet ni de modifier la portée, ni d'ajouter aux dispositions de ce règlement. Par suite, le moyen tiré de ce que le cinquième alinéa de l'article R. 253-5 du code rural et de la pêche maritime méconnaîtrait le règlement n° 546/2011 au motif qu'en vertu de l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, un règlement est directement applicable dans tout Etat membre, doit être écarté.
Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime en tant qu'il prévoit que le silence gardé par l'ANSES dans les délais impartis pour statuer sur des demandes d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques vaut décision de rejet :
En ce qui concerne la conformité de décisions implicites de rejet aux règles fixées par les règlements n° 1107/2009 et n° 546/2011 :
6. En vertu de l'article 37, paragraphe 1, du règlement n° 1107/2009, l'Etat membre saisi d'une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique ou d'une demande de renouvellement ou d'extension d'une telle autorisation doit statuer dans un délai de douze mois.
7. Toutefois, d'une part, en vertu des articles 37, paragraphes 3 et 4, et 47, paragraphe 3, de ce règlement, les demandes d'autorisation de mise sur le marché concernant le même produit phytopharmaceutique et les mêmes utilisations que ceux figurant dans le dossier de demande d'autorisation d'une substance active non encore approuvée, les demandes concernant un produit phytopharmaceutique qui fait l'objet d'une demande d'autorisation en cours d'examen par un autre Etat membre appartenant à la même zone géographique au sens de l'article 3, point 17 du règlement et les demandes concernant un produit phytopharmaceutique à faible risque doivent donner lieu à une décision respectivement dans les six mois suivant l'approbation de la substance active, dans les 120 jours suivant soit la réception du rapport d'évaluation et de la copie de l'autorisation de l'autre Etat membre ou dans les 120 jours suivant la date de leur présentation.
8. D'autre part, en vertu respectivement des articles R. 253-11 et R. 253-14 du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction issue du décret attaqué, premièrement, les demandes relatives à des produits pharmaceutiques comprenant des micro-organismes, des médiateurs chimiques comme les phéromones et les kairomones et des substances naturelles d'origine végétale, animale ou minérale doivent donner lieu à une décision dans le délai de six mois ou, s'il s'agit d'un produit phytopharmaceutique à faible risque, de 120 jours, délais qui sont portés à huit mois lorsque l'ANSES consulte un autre Etat membre, et, deuxièmement, les demandes de changement d'emballage et d'étiquetage ou de changement de classement reposant sur de nouvelles études d'un produit déjà autorisé, les demandes relatives aux produits génériques mentionnés à l'article 34 du règlement n° 1107/2009, les demandes portant sur des modifications des conditions d'emploi prévues par l'autorisation de mise sur le marché d'un produit déjà autorisé ou des mentions qui s'y rapportent, les demandes d'extension de l'autorisation pour des usages mineurs ou de changement mineur de la composition d'un produit déjà autorisé et les demandes d'autorisation d'un produit de seconde gamme ou d'un produit de revente doivent donner lieu à une décision dans le délai de six mois.
9. Aux termes de l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du c du 1° de l'article 1er du décret attaqué : " A l'exception des demandes mentionnées à l'article R. 253-7 et au paragraphe 1 de l'article 41 du règlement n° 1107/2009, sur lesquelles le silence gardé par l'Agence dans les délais qui lui sont impartis pour statuer vaut décision d'acceptation, le silence gardé par l'autorité compétente dans les délais qui lui sont impartis par le présent chapitre et par ce règlement pour statuer sur les autres demandes vaut décision de rejet ". Il résulte de ces dispositions que les demandes d'autorisation de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique, autres que celles mentionnées à l'article 41, paragraphe 1, du règlement n° 1107/2009 et à l'article R. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, peuvent donner lieu à des décisions implicites de rejet, donc à des décisions non motivées, à l'expiration des délais impartis pour statuer sur ces demandes prévus par les dispositions mentionnées aux points 6 à 8.
10. L'UIPP soutient que les dispositions de l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime citées au point 9 méconnaissent l'exigence de motivation des décisions relatives aux demandes d'autorisation de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique dans un délai de douze mois qui résulterait du second alinéa du point 5 de l'introduction aux parties I et II de l'annexe au règlement d'application n° 546/2011.
11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de l'arrêt rendu le 26 juin 2003 dans l'affaire C-233/00, Commission c/ République française, que des dispositions de droit européen prévoyant que des décisions doivent être motivées dans un certain délai impliquent que l'autorité publique fournisse d'office, et non sur requête du demandeur, les motifs de ses décisions. Toutefois, dans le cas de décisions implicites, ces motifs peuvent, dans le délai imparti, être communiqués de façon séparée.
12. Lorsque les éventuelles décisions implicites de rejet des demandes d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques interviennent dans un délai inférieur à douze mois, ce qui est le cas pour les demandes particulières d'autorisation de mise sur le marché mentionnées aux points 7 et 8, elles peuvent en tout état de cause être suivies de la communication des motifs du rejet avant l'expiration du délai de douze mois.
13. Par ailleurs, les dispositions du règlement d'application n° 546/2011 invoquées par l'UIPP figurent en introduction des deux parties d'un règlement pris pour l'application du règlement n° 1107/2009, qui ne prévoit pas d'obligation de motivation des décisions d'autorisation ou de refus d'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. En vertu de l'article 29, paragraphe 6, de ce règlement n° 1107/2009, ce règlement d'application ne peut pas comporter de modifications substantielles des principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques énoncés à l'annexe VI à la directive n° 91/414/CEE du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, lesquels n'incluaient pas de principe de motivation systématique de toutes les décisions de refus d'autorisation de mise sur le marché dans un délai de douze mois. Ainsi, si elles prévoient que les Etats membres doivent en règle générale motiver les décisions de refus d'autorisation de mise sur le marché dans le délai de douze mois à compter de la mise à disposition d'un dossier complet, ces dispositions ne s'opposent pas à ce que des demandes d'autorisation de mise sur le marché, telles que les demandes d'autorisation de mise sur le marché mentionnées au point 6, puissent faire l'objet de décisions implicites de rejet dans un délai de douze mois, à charge pour l'administration de communiquer les motifs de telles décisions sur demande de leur destinataire, dans le délai d'un mois prévu par les dispositions codifiées à l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration.
14. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime méconnaîtrait les dispositions combinées des règlements n° 1107/2009 et n° 546/2011 peut être écarté.
En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime :
15. En premier lieu, aux termes de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction résultant du 2° du I de l'article 1er de la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens et repris aux articles L. 231-1, L. 231-4 et L. 231-5 du code des relations entre le public et l'administration : " I. - Le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation. / (...) Le premier alinéa n'est pas applicable et, par dérogation, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (...) 4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d'Etat, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France (...) / II. - Des décrets en Conseil d'Etat et en conseil des ministres peuvent, pour certaines décisions, écarter l'application du premier alinéa du I eu égard à l'objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration. (...) ". Ainsi, sauf à ce qu'elles correspondent à l'une des catégories dérogatoires de décisions implicites mentionnées au I de l'article 21 précité, notamment à ce qu'elles soient nécessaires au respect de dispositions de droit européen, des dispositions prévoyant des décisions implicites de rejet ne peuvent être édictées que par décret en Conseil d'Etat et en conseil des ministres.
16. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier des arrêts rendus les 14 juin 2001 et 6 novembre 2008 dans les affaires C-230/00, Commission c/ Royaume de Belgique et C-381/07, Association nationale pour la protection des eaux et rivières, que s'opposent à un régime d'autorisation tacite les dispositions de droit européen qui prévoient explicitement un régime d'autorisation expresse ou qui fixent des conditions ayant un effet équivalent, par exemple en prévoyant qu'une autorisation soit précédée d'une évaluation préalable ou soit assortie de prescriptions.
17. En l'espèce, il résulte du règlement n° 1107/2009, notamment de ses articles 29 et 36, que l'autorisation de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique doit être précédée d'une évaluation indépendante, objective et transparente et s'accompagner de prescriptions quant aux produits végétaux sur lesquels il peut être utilisé et à ses conditions d'emploi. Ainsi, les dispositions prévoyant que le silence gardé par l'ANSES dans les délais impartis pour statuer sur une demande d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques vaut décision de rejet sont nécessaires au respect par la France de ses engagements européens. La circonstance que les demandes présentées en application de l'article R. 253-14 du code rural et de la pêche maritime sont dispensées d'une nouvelle évaluation préalable est sans incidence sur cette nécessité, dès lors que les décisions auxquelles elles donnent lieu peuvent être assorties de prescriptions. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime méconnaîtrait l'article 21 précité, en tant qu'il a prévu, par simple décret en Conseil d'Etat, que le silence gardé sur ces demandes valait décision de rejet, doit être écarté.
18. En deuxième lieu, si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / (...) c) l'obligation pour l'administration de motiver ses décisions (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse, non pas aux Etats membres, mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de ce que l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime méconnaîtrait ces stipulations ne peut qu'être écarté.
19. En troisième lieu, l'existence d'un régime de rejet implicite en cas de silence gardé dans les délais impartis pour statuer est sans incidence sur l'obligation pour l'ANSES d'examiner les demandes d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques dans les délais prévus par le règlement n° 1107/2009 et d'autoriser la mise sur le marché de produits qui remplissent les conditions fixées par ce règlement. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime constituerait un détournement de procédure au motif qu'il déchargerait les autorités françaises d'examiner les demandes d'autorisation de mise sur le marché dans les délais impartis doit être écarté.
20. En quatrième lieu, le régime de rejet tacite prévu par l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime fait naître des décisions dans des délais précis, qui peuvent être contestées devant le juge administratif. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article R. 253-12 du code rural et de la pêche maritime méconnaîtrait le principe de sécurité juridique et le droit à une protection juridictionnelle effective, garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'UIPP doit être rejetée.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'UIPP est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des industries de la protection des plantes, au Premier ministre, au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.