La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/12/2017 | FRANCE | N°401947

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 28 décembre 2017, 401947


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 401947, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet et 28 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil supérieur du notariat demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 402067, par une requête somma

ire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 2 août et 2 no...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 401947, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet et 28 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil supérieur du notariat demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 402067, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 2 août et 2 novembre 2016 et les 13 septembre et 10 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le groupement des huissiers de justice officiers vendeurs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la même ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 402093, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août et 28 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'union nationale des huissiers de justice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le II de l'article 1er de la même ordonnance, en ce qu'il place le recouvrement judiciaire et l'ensemble des opérations constitutives d'un tel recouvrement dans le secteur concurrentiel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de commerce ;

- la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ;

- la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- l'ordonnance du 26 juin 1816 qui établit, en exécution de la loi du 28 avril 1816, des commissaires-priseurs judiciaires dans les villes chefs-lieux d'arrondissement, ou qui sont le siège d'un tribunal de grande instance, et dans celles qui, n'ayant ni sous-préfecture ni tribunal, renferment une population de cinq mille âmes et au-dessus ;

- l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du syndicat national des commissaires-priseurs judiciaires et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du groupement des huissiers de justice officiers vendeurs.

1. Considérant qu'aux termes du III de l'article 61 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de dix mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi pour créer une profession de commissaire de justice regroupant les professions d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, de façon progressive, en prenant en considération les règles de déontologie, les incompatibilités et les risques de conflits d'intérêts propres à l'exercice des missions de chaque profession concernée, ainsi que les exigences de qualification particulières à chacune de ces professions. " ; que le conseil supérieur du notariat et autres demandent l'annulation de l'ordonnance du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice prise sur le fondement de ces dispositions ; qu'il y a lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par une seule décision ;

Sur les interventions :

2. Considérant que le syndicat national des commissaires-priseurs judiciaires justifie d'un intérêt suffisant au maintien de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi, ses interventions sont recevables ;

Sur les consultations préalables :

3. Considérant, d'une part, que l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Autorité de la concurrence, qui a été saisie du projet d'ordonnance par le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique le 4 mai 2016 et a rendu un avis circonstancié le 20 mai suivant, n'aurait pas disposé d'un délai suffisant pour se prononcer ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait que soient consultés le conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, la chambre nationale des commissaires-priseurs et la chambre nationale des huissiers de justice ; que la mention, dans l'étude d'impact de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, indiquant que ces organismes seraient consultés sur le projet d'ordonnance est sans incidence à cet égard ;

Sur les moyens relatifs au monopole des commissaires de justice en matière d'inventaires, prisées et ventes aux enchères publiques :

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, abrogé au 1er juillet 2022 par l'ordonnance attaquée : " Sont judiciaires au sens de la présente loi les ventes de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques prescrites par la loi ou par décision de justice, ainsi que les prisées correspondantes. / Les titulaires d'un office de commissaire-priseur dont le statut est fixé par l'ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 relative au statut des commissaires-priseurs prennent le titre de commissaires-priseurs judiciaires. Ils ont, avec les autres officiers publics ou ministériels et les autres personnes légalement habilitées, seuls compétence pour organiser et réaliser les ventes judiciaires de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques, et faire les inventaires et prisées correspondants. (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 1er de l'ordonnance attaquée : " Les commissaires de justice sont les officiers publics et ministériels qui ont seuls qualité, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, pour : (...) / 2° Procéder aux inventaires, prisées et ventes aux enchères publiques de meubles corporels ou incorporels prescrits par la loi ou par décision de justice ; (...) " ; que le dernier alinéa du I de ce même article prévoit : " Le présent I s'applique sans préjudice de la compétence des autres officiers publics ou ministériels et des autres personnes légalement habilitées. " ; que ces dispositions définissent le monopole des commissaires de justice plus largement que le monopole précédemment reconnu aux commissaires-priseurs judiciaires par l'article 29 de la loi du 10 juillet 2000, en ce qu'elles ont pour effet d'y inclure, sous la réserve prévue au dernier alinéa du I, non seulement les inventaires et prisées correspondant aux ventes judiciaires de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques, mais également les inventaires et prisées prescrits par la loi ou par décision de justice ne correspondant pas à de telles ventes ; qu'il résulte toutefois des dispositions du III de l'article 61 de la loi du 6 août 2015 précitée que le législateur n'a pas habilité le Gouvernement à étendre le champ du monopole matériel reconnu aux commissaires de justice au-delà de la seule réunion des monopoles des commissaires-priseurs judiciaires et des huissiers de justice ; que l'ordonnance attaquée a ainsi méconnu l'habilitation consentie par le législateur en tant qu'elle fait entrer les prisées et inventaires ne correspondant pas à une vente judiciaire de meubles corporels ou incorporels dans le champ du monopole des commissaires de justice, dont la définition relève du domaine de la loi ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre ces dispositions, il y a lieu de les annuler dans cette mesure ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit s'agissant de la réserve prévue au dernier alinéa du I de l'article 1er de l'ordonnance attaquée, que le moyen tiré de ce que celle-ci excéderait également l'étendue de l'habilitation consentie par le législateur en supprimant la compétence des notaires pour procéder à des ventes judiciaires de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 26 juin 1816 qui établit, en exécution de la loi du 28 avril 1816, des commissaires-priseurs judiciaires dans les villes chefs-lieux d'arrondissement, ou qui sont le siège d'un tribunal de grande instance, et dans celles qui, n'ayant ni sous-préfecture ni tribunal, renferment une population de cinq mille âmes et au-dessus, abrogé au 1er juillet 2022 par l'ordonnance attaquée : " (...) Les autres officiers publics ou ministériels habilités par leur statut à effectuer des prisées et des ventes judiciaires ou volontaires de meubles corporels aux enchères publiques peuvent y procéder dans leur ressort d'instrumentation, à l'exception des communes où est établi un office de commissaire-priseur judiciaire. " ; qu'en prévoyant que " les autres officiers publics ou ministériels habilités par leur statut à effectuer des prisées et ventes judiciaires de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques peuvent y procéder dans leur ressort d'instrumentation à l'exception des communes où est établi un office de commissaire de justice " et que " cette exception n'est pas applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ", l'article 2 de l'ordonnance attaquée se borne à reprendre les dispositions combinées de l'article 3 de l'ordonnance du 26 juin 1816 et de l'article 29 de la loi du 10 juillet 2000 cité au point 5, relatives au champ d'application territorial du monopole des commissaires-priseurs judiciaires, pour définir le champ d'application territorial du monopole des commissaires de justice sur les ventes judiciaires de meubles corporels et incorporels ; que, par suite, il n'excède pas les limites de l'habilitation consentie par le III l'article 61 de la loi du 6 août 2015 pour ce motif ;

8. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un État membre. La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux " ; qu'aux termes de l'article 56 du même traité : " (...) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation " ; qu'enfin, aux termes de l'article 57 de ce traité : " Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes " ;

9. Considérant qu'une restriction à la liberté d'établissement et à la liberté de prestation des services à l'intérieur de l'Union européenne peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le traité si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et si les mesures restrictives ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs assignés ; que les dispositions de l'ordonnance attaquée qui réservent aux commissaires de justice la compétence pour procéder, dans les communes où sont établis leurs offices, aux ventes aux enchères judiciaires et aux prisées y correspondant poursuivent un objectif d'intérêt général, qui est de garantir la qualité et la sécurité juridique de ces actes prescrits par la loi ou par décision de justice en en confiant la réalisation à des professionnels spécialement qualifiés et présentant des garanties d'indépendance et de probité ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ces restrictions seraient disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que le conseil supérieur du notariat n'est, par suite et en tout état de cause, pas fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée méconnaîtrait les principes de la liberté d'établissement et de la liberté de prestation des services à l'intérieur de l'Union européenne en tant qu'elle aura pour effet de restreindre le nombre de communes dans lesquelles les notaires peuvent légalement procéder à de telles ventes aux enchères et aux prisées y correspondant ;

10. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes du premier paragraphe de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne : " Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus " ; qu'aux termes de l'article 102 de ce traité : " Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.(...) " ; que le moyen tiré de la méconnaissance des articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui, au demeurant, n'est pas assorti de précisions suffisantes, notamment en ce qui concerne le marché pertinent sur lequel les commissaires de justice seraient susceptibles d'abuser d'une position dominante, ne saurait, en tout état de cause, être accueilli, dès lors que l'ordonnance attaquée ne peut être regardée comme ayant par elle-même pour objet ou pour effet de placer ces professionnels en situation d'abuser automatiquement d'une position dominante sur un ou plusieurs marchés ;

11. Considérant, en sixième lieu, que l'article 1er de la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Haut-Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle prévoit que les fonctions attribuées aux commissaires-priseurs judiciaires par les lois françaises y sont exercées par les huissiers de justice ou les notaires ; que, par suite, en prévoyant que les commissaires de justice exercent leur compétence dans ces départements, l'ordonnance attaquée se borne à tirer les conséquences de la fusion des professions d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire ; qu'il résulte des dispositions citées au point 7 que l'ordonnance attaquée ne porte pas atteinte, dans ces trois départements, à la compétence des notaires pour procéder à des ventes judiciaires de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques dans leur ressort d'instrumentation, y compris dans les communes où est établi un office de commissaire de justice ; que l'ordonnance attaquée n'excède, par suite, pas davantage, pour ce motif, les limites de l'habilitation consentie par le III l'article 61 de la loi du 6 août 2015 ;

Sur les moyens relatifs à l'accès des huissiers de justice en exercice à la profession de commissaire de justice :

12. Considérant qu'aux termes de l'article 25 de l'ordonnance attaquée : " (...) III. Jusqu'au 30 juin 2022, les professions de commissaires-priseurs judiciaires et d'huissier de justice restent considérées comme deux professions distinctes, avec chacune leurs offices propres. / (...) / Les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires en exercice, qui remplissent des conditions de formation spécifique prévues par décret en Conseil d'Etat, font suivre leur titre de la mention : " qualifié commissaire de justice ". Les sociétés constituées pour l'exercice de ces professions ou de l'une d'elles font suivre leur dénomination sociale de la mention : " société qualifiée commissaire de justice " lorsque l'un au moins des associés exerçant la profession en leur sein remplit ces conditions. / Les huissiers de justice, qui disposent d'une expérience professionnelle en matière de vente judiciaire de meubles aux enchères publiques, sont réputés satisfaire à la formation spécifique mentionnée à l'alinéa précédent. Les conditions d'appréciation et de validation de cette expérience sont fixées par décret en Conseil d'Etat. / (...) / IV. - A compter du 1er juillet 2022, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires sont réunis au sein de la profession de commissaire de justice. / (...) / V. - A compter du 1er juillet 2026, les professionnels en exercice ne remplissant pas les conditions de la formation spécifique mentionnée au septième alinéa du III cessent d'exercer. (...) " ;

13. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions du III de l'article 61 de la loi précitée du 6 août 2015 que le législateur a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour créer la profession de commissaire de justice en prenant en considération les exigences de qualification particulières aux professions d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire ; qu'il a ainsi entendu que le Gouvernement tienne compte, dans la définition des modalités d'accès des huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires en exercice à la nouvelle profession, de la nécessité de garantir un niveau de compétence homogène des commissaires de justice dans les matières relevant de la compétence des professions fusionnées en prévoyant, si nécessaire, une formation complémentaire des professionnels en exercice ; que, si les huissiers de justice sont déjà habilités, en vertu de l'article 3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, à procéder, dans les lieux où il n'est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, aux prisées et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et effets mobiliers corporels, cette activité constitue une activité accessoire de leur profession pour laquelle ils sont d'ailleurs soumis, s'agissant des ventes volontaires, à l'obligation d'avoir suivi une formation préalable d'une durée de soixante heures portant sur la réglementation, la pratique et la déontologie des ventes aux enchères, en application de l'article R. 321-18-1 du code de commerce ; que, contrairement à celle des commissaires-priseurs judiciaires, la formation initiale exigée des huissiers de justice ne comprend pas d'enseignement ou de pratique en matière d'histoire de l'art ; qu'enfin, l'article 25 de l'ordonnance attaquée tient compte de l'expérience éventuellement acquise par les huissiers de justice en exercice en matière de ventes judiciaires de meubles aux enchères publiques en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de définir les conditions dans lesquelles une telle expérience peut tenir lieu de formation dans cette matière ; que, par suite, le groupement des huissiers de justice officiers vendeurs n'est pas fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée excèderait les limites de l'habilitation consentie par le législateur ; qu'eu égard à l'objectif d'intérêt général rappelé ci-dessus, elle ne porte, en tout état de cause, pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des huissiers de justice en exercice ;

14. Considérant, en second lieu, que les dispositions précitées du V de l'article 25 de l'ordonnance attaquée, qui prévoient que " les professionnels en exercice ne remplissant pas les conditions de la formation spécifique mentionnée au septième alinéa du III cessent d'exercer ", ont pour seul objet de tirer les conséquences de la suppression de la profession d'huissier de justice et de la création de la profession de commissaire de justice, dont les conditions d'accès sont différentes, en aménageant un régime transitoire pour les professionnels en exercice ; qu'elles ne sauraient être interprétées comme instaurant une sanction à l'encontre des huissiers de justice ne remplissant pas la condition de formation mentionnée ; que, par suite, les moyens tirés de ce que l'ordonnance attaquée aurait excédé les limites de l'habilitation législative prévue par le III de l'article 61 de la loi du 6 août 2015 et méconnu le principe de l'individualisation des peines, protégé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elle prévoirait une sanction automatique de destitution des huissiers de justice concernés, ne peuvent qu'être écartés comme inopérants ; que doit également être écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe du respect des droits de la défense, dès lors que la définition de la procédure mise en oeuvre en application des dispositions du V de l'article 25 de l'ordonnance attaquée relève de la compétence du pouvoir réglementaire ;

Sur les moyens relatifs à la compétence des commissaires de justice en matière de signification de titres exécutoires :

15. Considérant qu'aux termes du I de l'article 1er de l'ordonnance attaquée : " Les commissaires de justice sont les officiers publics et ministériels qui ont seuls qualité, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, pour : / 1° Ramener à exécution les décisions de justice ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire ; / (...) / 3° Signifier les actes et les exploits, faire les notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n'a pas été précisé ; (...) " ; qu'aux termes de II du même article : " Les commissaires de justice peuvent en outre : / 1° Procéder au recouvrement amiable ou judiciaire de toutes créances ; (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que la signification d'un titre exécutoire, qui relève du monopole des commissaires de justice, est exclue du recouvrement judiciaire des créances auquel ceux-ci peuvent procéder en concurrence avec d'autres professionnels ; que le moyen tiré de ce que l'article 1er de l'ordonnance attaquée serait entaché d'une contradiction sur ce point et méconnaîtrait ainsi l'objectif constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la norme doit donc être écarté ; qu'il en va de même, en tout état de cause, du moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée méconnaîtrait le champ du monopole de la profession de commissaire de justice en ce qu'elle prévoit une dérogation en matière de recouvrement de créances ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le conseil supérieur du notariat et autres ne sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent qu'en tant qu'elle inclut, au 2° du I de son article 1er, les prisées et inventaires ne correspondant pas à une vente judiciaire de meubles corporels ou incorporels dans le champ matériel du monopole des commissaires de justice ;

17. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au conseil supérieur du notariat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter les conclusions présentées au même titre par le groupement des huissiers de justice officiers vendeurs et l'union nationale des huissiers de justice ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les interventions du syndicat national des commissaires-priseurs judiciaires sous les nos 401947, 402067 et 402093 sont admises.

Article 2 : Le 2° du I de l'article 1er de l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice est annulé en tant qu'il inclut les prisées et inventaires ne correspondant pas à une vente judiciaire de meubles corporels ou incorporels dans le champ matériel du monopole des commissaires de justice.

Article 3 : L'Etat versera au conseil supérieur du notariat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au conseil supérieur du notariat, au groupement des huissiers de justice officiers vendeurs, à l'union nationale des huissiers de justice et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 401947
Date de la décision : 28/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2017, n° 401947
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:401947.20171228
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award