Vu la procédure suivante :
La société Ryanair a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 108 852 355 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2009, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du régime de différenciation des redevances aéroportuaires selon la destination des vols, issu des arrêtés du 24 janvier 1956 relatif aux conditions d'établissement et de perception des redevances d'atterrissage et du 26 février 1981 fixant les conditions d'établissement et de perception des redevances d'usage des installations aménagées pour la réception des passagers et des marchandises sur les aéroports de France métropolitaine et d'outre-mer, et, à titre subsidiaire, de désigner un expert afin d'évaluer son préjudice.
Par un jugement n° 1004926/2-1 du 4 juin 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 13PA03009 du 30 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Ryanair contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mars et 8 juin 2017 et le 1er octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ryanair demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le règlement (CE) n° 2408/92 du Conseil du 23 juillet 1992 ;
- le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;
- le règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 ;
- le code des transports ;
- l'arrêté du 24 janvier 1956 fixant les conditions d'établissement et de perception des redevances d'atterrissage et d'usage des dispositifs d'éclairage à percevoir sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique ;
- l'arrêté du 26 février 1981 fixant les conditions d'établissement et de perception des redevances d'usage des installations aménagées pour la réception des passagers et des marchandises sur les aéroports de France métropolitaine et d'outre-mer ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Clément Malverti, maître des requête,
- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société Ryanair, et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire ;
1. Considérant que, par une décision du 28 janvier 2009, la Commission européenne, statuant sur une plainte de la société Ryanair mettant en cause le régime français de différenciation des redevances par passager et des redevances d'atterrissage selon la destination du vol, résultant d'un arrêté du 24 janvier 1956 et d'un arrêté du 26 février 1981, a retenu, pour les seules redevances par passager, que cette différenciation en fonction de la destination du vol constituait une aide d'Etat, au sens de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, présentant le caractère d'une aide existante et ne pouvant être regardée comme compatible avec le marché commun ; que la Commission, après avoir constaté que les autorités françaises avaient pris les mesures nécessaires à la suppression de ce régime d'aide, a estimé qu'il n'était pas nécessaire de proposer des mesures utiles supplémentaires ;
2. Considérant que, après l'intervention de cette décision de la Commission, la société Ryanair a introduit une demande indemnitaire devant la juridiction administrative pour rechercher l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'existence de cette différenciation tarifaire des redevances par passager et des redevances d'atterrissage selon la destination du vol entre le 1er mai 1997 et le 31 octobre 2009 ; que, par un jugement du 4 juin 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande ; que, par un arrêt du 30 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Ryanair contre ce jugement ; que la société Ryanair se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel que, dans son mémoire en réplique enregistré le 9 juin 2016, la société Ryanair soutenait que, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal administratif sur ce point, la responsabilité de l'Etat devait être regardée comme engagée avant même l'intervention de la décision de la Commission du 28 janvier 2009, en raison du caractère d'aide d'Etat incompatible avec le marché commun de la différenciation des redevances par passager en fonction de la destination du vol reconnu par la décision de la Commission ; que l'arrêt attaqué ne se prononce pas sur cette argumentation ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Ryanair est fondée à soutenir que l'arrêt qu'elle attaque est insuffisamment motivé et à demander, pour ce motif, son annulation ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant, en premier lieu, que selon le paragraphe 1 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne, anciennement son article 93 devenu ensuite l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, " la Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces États. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun " ; qu'il résulte de ces stipulations, ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes notamment dans son arrêt C-387/92 du 15 mars 1994, qu'une aide existante doit être considérée comme légale et peut continuer à être exécutée tant que la Commission n'a pas constaté son incompatibilité avec le marché commun ; que l'examen des aides existantes par la Commission, dans le cadre de la procédure organisée, à la date du litige, par le règlement du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE, peut conduire la Commission à proposer à l'Etat membre, pour l'avenir, les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun, au nombre desquelles peut figurer la suppression ou la modification de l'aide jugée incompatible avec le marché intérieur ; qu'il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée pour méconnaissance fautive de la réglementation relative aux aides d'Etat à raison de la mise en oeuvre d'une aide existante pour la période antérieure à l'intervention de la décision de la Commission constatant son incompatibilité avec le marché commun ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Ryanair n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat pour la période antérieure à la décision de la Commission du 28 janvier 2009, à raison du caractère d'aide d'Etat de la différenciation tarifaire de la redevance par passager en fonction de la destination du vol, qui a été qualifiée, par cette décision, d'aide existante incompatible avec le marché commun ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 21 du règlement du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE prévoit que : " 1. Les États membres communiquent à la Commission des rapports annuels sur tous les régimes d'aides existants qui ne sont pas soumis à une obligation spécifique de présentation de rapports par une décision conditionnelle prise en application de l'article 7, paragraphe 4. / 2. Si, en dépit d'un rappel, un État membre omet de présenter un rapport annuel, la Commission peut agir conformément à l'article 18 à l'égard du régime d'aides concerné " ; que, si la société Ryanair soutient que l'Etat aurait commis une faute en n'informant pas la Commission, par la communication de rapports annuels, du régime d'aide en cause avant l'intervention de la décision du 28 janvier 2009, la circonstance, à la supposer fondée, que les autorités françaises n'auraient pas respecté les obligations résultant pour elles des termes de l'article 21 du règlement intéresse les rapports entre les autorités françaises et la Commission et ne peut, en tout état de cause, être regardée comme étant la cause directe du préjudice allégué par la société Ryanair ;
8. Considérant, en troisième lieu, que, par sa décision du 28 janvier 2009, la Commission, après avoir constaté que la différenciation de la redevance par passager en fonction de la destination du vol constituait une aide d'Etat existante incompatible avec le marché commun, a relevé que les autorités françaises avaient pris les mesures nécessaires à la suppression de l'aide et que les modifications réglementaires nécessaires pour garantir cette suppression étaient en cours de préparation et a, en conséquence, décidé de clôturer l'enquête en cours en matière d'aides d'Etat, sans prescrire aucune mesure supplémentaire ; que, dans ces conditions, la responsabilité de l'Etat ne saurait davantage être recherchée par la société Ryanair pour méconnaissance fautive de la réglementation relative aux aides d'Etat à raison du maintien, après la décision du 28 janvier 2009, de la différenciation litigieuse ;
9. Considérant, en quatrième lieu, que, ainsi que l'a relevé la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt C-92/01 du 6 février 2003, ni la liberté de prestation de services, garantie par l'article 49 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni les dispositions du règlement du Conseil du 23 juillet 1992 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intra-communautaires, refondu par le règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008, ne s'opposent à l'instauration de redevances aéroportuaires plus élevées pour les vols à destination d'autres Etats membres de l'Union à condition que ces redevances servent à rémunérer des services aéroportuaires nécessaires au traitement des passagers et que le coût des services fournis aux passagers à destination des autres Etats membres soit supérieur, dans la même proportion, au coût des services nécessaires au traitement des passagers des vols intérieurs ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient la société Ryanair, le coût des services rendus aux passagers est susceptible de varier selon la destination des vols, eu égard en particulier aux conditions du transit au sein des aérogares et aux installations de contrôle requises ; que l'arrêté du 24 janvier 1956 et l'arrêté du 26 février 1981 prévoyaient, le premier, pour la redevance d'atterrissage, le principe selon lequel le taux de la redevance pouvait différer selon que l'aéronef effectuait un trafic national ou international, le second, pour la redevance par passager, que celle-ci pouvait " être fixée à des taux différents selon la zone géographique de destination du vol " ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que ces arrêtés ne méconnaissent, par eux-mêmes, ni le principe de la libre prestation de services ni les dispositions des règlements du 23 juillet 1992 et du 24 septembre 2008 ; que la société requérante ne développe par ailleurs aucune critique contre les tarifs des redevances effectivement mis en oeuvre en application des ces arrêtés ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Ryanair n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire ainsi que ses conclusions tendant à la désignation d'un expert afin d'évaluer le préjudice qu'elle estime avoir subi ;
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la société Ryanair et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Ryanair la somme de 3 000 euros à verser à l'Etat, au titre de ces mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 30 décembre 2016 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société Ryanair devant la cour administrative d'appel de Paris et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.
Article 3 : La société Ryanair versera à l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Ryanair, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.