Vu la procédure suivante :
La société Protection Sécurité Sud Réunion (PSSR) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du lot n° 1 d'un marché public de prestations de surveillance, gardiennage et sécurité incendie engagée par la région Réunion.
Par une ordonnance n° 1800367 du 31 mai 2018, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a fait droit à sa demande.
Par un pourvoi, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 juillet, 19 octobre et 12 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Réunion demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société PSSR ;
3°) de mettre à la charge de la société PSSR la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la Région Réunion et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société Protection Sécurité Sud Réunion.
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la région Réunion a lancé une consultation sous la forme d'une procédure adaptée en vue de la conclusion d'un marché ayant pour objet des prestations de surveillance, gardiennage et sécurité incendie ; que la société Réunion Air Sûreté (RAS) a été déclarée attributaire du lot n° 1 ; qu'estimant que l'offre de la société RAS était irrégulière et anormalement basse, la société Protection Sécurité Sud Réunion (PSSR), dont l'offre a été rejetée, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation de ce lot ; que la région Réunion se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 31 mai 2018 par laquelle le juge des référés précontractuels a fait droit à la demande de la société PSSR ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " I. - L'acheteur vérifie que les offres qui n'ont pas été éliminées en application du IV de l'article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. (...) / II. - Dans les procédures d'appel d'offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. (...) " ; qu'aux termes de l'article 60 du même décret : " I. - L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché public qu'il envisage de sous traiter. (...) / II. - L'acheteur rejette l'offre:/ (...) 2° Lorsqu'il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu'elle contrevient aux obligations applicables dans les domaines du droit de l'environnement, social et du travail établies par le droit français, le droit de l'Union européenne, la ou les conventions collectives ou par les dispositions internationales en matière de droit de l'environnement, social et du travail figurant sur une liste publiée au Journal officiel de la République française (...) " ;
3. Considérant, en premier lieu, que les dispositions citées au point précédent n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que soient pris en compte, pour apprécier la régularité d'une offre, des éléments fournis en réponse à des demandes de l'acheteur formulées sur le fondement du I de l'article 60 du décret du 25 mars 2016 ; que, par suite, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion n'a, en tout état de cause, pas commis d'erreur de droit en prenant en considération, pour estimer que l'offre de la société RAS était irrégulière, des éléments fournis par celle-ci en réponse à des demandes de justification de la région Réunion destinées à s'assurer que son offre n'était pas anormalement basse ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de l'annexe IV de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité : " Une indemnité de panier est accordée au personnel effectuant une durée minimale de travail de 6 heures continues. En cas de vacation de 12 heures une seule indemnité de panier est due. / Son montant est fixé à 3,30 € (...) " ; qu'en estimant que l'offre de la société RAS méconnaissait ces stipulations et était, par suite, irrégulière au seul motif qu'elle ne prévoyait, au titre de cette indemnité forfaitaire, qu'une somme de 0,388 euro par heure et par salarié affecté à l'exécution du marché, sans vérifier si ce montant moyen était suffisant au regard de la durée des vacations prévues par l'offre, dont une partie était inférieure à 6 heures de travail continues et n'ouvrait, dès lors, pas droit à l'indemnité de panier, le juge des référés précontractuels a entaché son ordonnance d'erreur de droit ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 3261-2 du code du travail : " L'employeur prend en charge, dans une proportion et des conditions déterminées par voie réglementaire, le prix des titres d'abonnements souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes ou de services publics de location de vélos " ; qu'en se bornant à relever, pour estimer que l'offre litigieuse était irrégulière, que celle-ci ne fixait aucun montant pour le remboursement des frais de déplacement des salariés entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes, en méconnaissance des dispositions précitées du code de travail, alors qu'il n'était pas établi que de tels remboursements seraient dus aux salariés de la société RAS dans le cadre de l'offre qu'elle soumettait, le juge des référés précontractuels a commis une autre erreur de droit ;
6. Considérant, en dernier lieu, qu'après avoir souverainement relevé que l'offre de la société RAS était basée sur un taux de prévoyance de 0,40 % alors que ce taux est fixé à 0,53 % par l'avenant de révision n° 1 du 4 juillet 2011 à l'accord du 10 juin 2002 relatif à la prévoyance, lequel s'est substitué à compter de sa date d'effet aux dispositions antérieures de l'article 14 des clauses générales de la convention collective nationale des entreprises de prévention et sécurité, le juge des référés précontractuels n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant que cette erreur était de nature à faire regarder l'offre soumise comme irrégulière et que, s'il était loisible au pouvoir adjudicateur d'inviter la société candidate à la régulariser, il ne pouvait pas procéder de lui-même à cette régularisation ; que ce motif ne justifiait le dispositif de l'ordonnance attaquée qu'en tant que le juge des référés a annulé la procédure de passation du marché à compter de l'examen de ces offres ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la région Réunion est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de La Réunion en tant seulement qu'elle a annulé la procédure de passation du marché en litige à un stade antérieur à la phase de sélection des offres ;
8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société PSSR ;
9. Considérant qu'aucun moyen n'est invoqué par cette société pour contester la régularité de la procédure litigieuse en amont de la phase de sélection des offres ; que, dans ces conditions, la demande de la société PSSR, en tant qu'elle se rapporte à la phase de la procédure antérieure à la sélection des offres, doit être rejetée ;
10. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de la société PSSR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Réunion la somme de 4 500 euros à verser à la société PSSR sur le même fondement au titre de l'ensemble de la procédure ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 31 mai 2018 du juge des référés du tribunal administratif de La Réunion est annulée en tant qu'elle a annulé la procédure de passation du lot n° 1 du marché public de service relatif à des prestations de surveillance, gardiennage et de sécurité incendie lancée par la région Réunion à un stade antérieur à la phase d'examen des offres.
Article 2 : La région Réunion versera à la société PSSR une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la région Réunion et de la demande présentée par la société PSSR devant le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Réunion et à la société Protection Sécurité Sud Réunion.
Copie en sera adressée à la société Réunion Air Sécurité.