Vu les procédures suivantes :
La société Serin Constructions métalliques a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement la région Midi-Pyrénées et la société de construction et gestion Midi-Pyrénées (COGEMIP) à lui verser la somme de 1 212 015,64 euros assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts en règlement du solde de la part relative au marché passé pour le lot n° 2 " clos et couvert " de la reconstruction du lycée Gallieni à Toulouse. Par un jugement n° 1204959 du 24 février 2016, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n°s 16BX01290, 16BX01304, du 26 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, sur appel de la région Midi-Pyrénées et de la société de construction et gestion Midi-Pyrénées (COGEMIP), fixé les pénalités mises à la charge de la société Serin Constructions métalliques à la somme de 4 693 038,75 euros TTC, arrêté le solde négatif de sa part du marché du lot n° 2 relatif au sous-lot n° 2-2 à la somme de 4 285 388,21 euros, condamné la société à verser ce montant à la région Midi-Pyrénées devenue la région Occitanie, réformé le jugement attaqué en ce qu'il avait de contraire à l'arrêt et, d'autre part, sur requête de la région et de la COGEMIP, déclaré sans objet les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué.
1° Sous le n° 422615, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 juillet, 26 octobre 2018 et 8 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Giraud-Serin, venant aux droits de la société Serin Constructions métalliques, demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes présentées devant la cour administrative d'appel de Bordeaux ;
3°) de mettre à la charge de la région Occitanie et de la COGEMIP la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 425080, par une requête, enregistrée le 26 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Giraud-Serin demande au Conseil d'Etat de surseoir à l'exécution de l'arrêt du 26 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux jusqu'à ce qu'il ait été statué sur son pourvoi en cassation.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de la société Giraud-Serin, venant aux droits de la société Serin Constructions métalliques, et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la région Occitanie ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi de la société Giraud-Serin enregistré sous le n° 422615 et sa requête enregistrée sous le n° 425080 sont dirigés contre le même arrêt du 26 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le pourvoi :
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un acte d'engagement du 28 novembre 2006, la région Midi-Pyrénées, ayant comme maître d'ouvrage délégué la société de construction et gestion Midi-Pyrénées (COGEMIP), a confié à un groupement conjoint d'entreprises dont le mandataire commun était la société Thomas et Danizan, le lot n° 2 " clos et couvert " dans le cadre des travaux de reconstruction du lycée Gallieni à Toulouse, pour un montant total de 41 403 683,24 euros TTC, porté par avenants à la somme de 46 462 505,32 euros. La société Serin Constructions métalliques, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Giraud-Serin, membre de ce groupement, s'est vu confier, parmi les sept sous-lots du lot n° 2, le sous-lot n° 2-2 relatif aux travaux de charpente métallique et des planchers des bâtiments " enseignements " et " ateliers ". A la suite d'un différend né entre la société Serin Constructions métalliques et le maître d'ouvrage à propos du règlement du solde de sa part du marché du lot n° 2, portant notamment sur le montant des pénalités de retard, la société a saisi le tribunal administratif de Toulouse qui, par un jugement du 24 février 2016, a condamné solidairement la région Midi-Pyrénées et la COGEMIP à verser à la société Serin Constructions métalliques, en règlement du solde de sa part de marché, la somme de 1 212 015,64 euros assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation. Par un arrêt du 26 juin 2018, contre lequel se pourvoit la société Giraud-Serin, la cour administrative de Bordeaux a, d'une part, sur appel de la région Midi-Pyrénées et de la COGEMIP, établi le montant des pénalités de retard mises à la charge de la société Serin Constructions métalliques à la somme de 4 693 038,75 euros TTC, arrêté le solde négatif de sa part du marché à la somme de 4 285 388,21 euros, condamné cette société à verser ce montant à la région Midi Pyrénées devenue la région Occitanie et réformé le jugement attaqué en ce qu'il avait de contraire à l'arrêt.
3. En premier lieu, aux termes des stipulations de l'article 20.7 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux, applicable au marché en litige : " Dans le cas d'entrepreneurs groupés pour lesquels le paiement est effectué à des comptes séparés, les pénalités (...) sont réparties entre les cotraitants conformément aux indications données par le mandataire, sauf stipulations différentes du cahier des clauses administratives particulières. Dans l'attente de ces indications (...) les pénalités sont retenues en totalité au mandataire (...) ". Il résulte de ces stipulations que s'il incombe au maître de l'ouvrage de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l'ensemble des entreprises, il appartient au seul mandataire commun de répartir entre les entreprises les pénalités dont il fait l'avance jusqu'à ce qu'il ait fourni les indications nécessaires à leur répartition. En cas d'inaction du mandataire commun le maître de l'ouvrage est tenu de lui imputer la totalité des pénalités. Dans cette hypothèse, sauf s'il est dans l'impossibilité de recouvrer effectivement le montant de ces pénalités sur le mandataire, le maître de l'ouvrage ne peut les imputer à une autre entreprise.
4. Lorsque le mandataire commun s'est acquitté de l'obligation énoncée au point précédent, en fournissant au maître d'ouvrage les indications nécessaires à la répartition des pénalités de retard entre les cotraitants, le maître de l'ouvrage ne peut se substituer au mandataire pour les modifier, mais est tenu de s'y conformer pour procéder à la répartition des pénalités entre les membres du groupement.
5. Les sociétés membres d'un groupement conjoint peuvent contester l'existence de retards imputables au groupement ainsi que le principe ou le montant des pénalités de retard qui lui sont infligées par le maître d'ouvrage, dans le cadre du règlement financier de leur part de marché. Si, elles entendent également contester la répartition ressortant du décompte général du groupement, que le maître d'ouvrage a opérée entre elles conformément aux indications fournies par le mandataire commun en application de l'article 20.7 du cahier des clauses administratives générales, il leur appartient, à défaut de trouver entre elles une résolution amiable, de présenter des conclusions dirigées contre les autres sociétés membres du groupement tendant au règlement, par le juge administratif, de la répartition finale de ces pénalités entre elles. Si le juge fait droit à leur demande, en totalité ou en partie, il en tient compte dans l'établissement du solde propre à chaque société membre. Ces sociétés peuvent, en outre, rechercher la responsabilité du mandataire commun si elles estiment qu'il a commis une faute pour avoir, en application de l'article 20.7 du cahier des clauses administratives générales, communiqué au maître d'ouvrage des indications erronées, imprécises ou insuffisantes, sous réserve qu'il en soit résulté pour elles un préjudice financier ou économique.
6. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le maître d'ouvrage, qui a fait usage, en l'espèce, de la " clé de répartition " des pénalités de retard entre membres du groupement conjoint du lot n° 2 fournie par le mandataire commun, était lié par ces indications données en application de l'article 20.7 du cahier des clauses administratives générales, et que, par suite, la société Giraud-Serin ne pouvait utilement contester, dans le cadre du recours qu'elle avait formé pour établir le solde de sa part de marché, le taux de 78,3 % que le maître d'ouvrage lui avait appliqué conformément à ces indications, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.
7. En deuxième lieu, si la société Giraud-Serin soutient que la cour n'a pas, pour fixer le montant des pénalités de retard qu'elle devait supporter, tenu compte à son égard d'un report d'exécution des travaux du 30 juillet au 17 octobre 2008, qui aurait permis de réduire à 80 jours le nombre de jours de retard arrêté par le maître d'ouvrage à 129 jours, la cour a souverainement jugé que le report invoqué ne concernait que les travaux de l'internat auxquels la société n'était pas associée et qu'aucun report d'exécution des travaux n'était intervenu s'agissant des travaux pour lesquels des retards avaient été retenus à l'encontre de la société. Elle n'a, par suite, pas entaché son arrêt d'erreur de droit en écartant le moyen tiré de ce que le maître d'ouvrage aurait implicitement renoncé à l'application des pénalités correspondantes.
8. En troisième lieu, les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.
9. Si, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations.
10. Lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.
11. Pour écarter la demande de modération des pénalités de retard formulée par la société Serin constructions métalliques, la cour administrative d'appel de Bordeaux s'est bornée à relever qu'une part importante des pénalités dont cette société était contractuellement redevable à l'égard du maître d'ouvrage était consécutive aux retards provoqués par son sous-traitant et son fournisseur, et qu'il lui était loisible d'engager une action contre ceux-ci devant le juge judiciaire en vue du recouvrement de la part des pénalités qui leur était imputable et dont le pourcentage avait été déterminé dans le cadre d'une expertise. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait seulement de rechercher si la demande de modération des pénalités formulée par la société titulaire pouvait être accueillie au regard des règles rappelées aux points 8 à 10, la cour a commis une erreur de droit.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué sur ce dernier point par le pourvoi, que la société Giraud-Serin est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la modération des pénalités de retard. Il y a lieu de renvoyer l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux afin qu'elle se prononce à nouveau sur ces conclusions et en tire les conséquences pour la détermination du solde de la part de marché relatif au sous-lot n° 2-2.
Sur la requête :
13. Le Conseil d'Etat se prononçant par la présente décision sur le pourvoi de la société Giraud-Serin, ses conclusions tendant au sursis à exécution de l'arrêt attaqué sont devenues dans objet.
Sur les frais du litige :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Occitanie et de la COGEMIP une somme à verser à la société Giraud-Serin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ou de mettre à la charge de cette société une somme à verser à la région Occitanie au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 26 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Giraud-Serin tendant à la modération des pénalités de retard.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Giraud-Serin est rejeté.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 425080 de la société Giraud-Serin.
Article 5 : Les conclusions présentées par la région Occitanie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Giraud-Serin et à la région Occitanie.
Copie en sera adressée à la société de construction et gestion Midi-Pyrénées.