Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Méridionale du Bâtiment (SMB), la société Sicom, M. D... B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le département du Gard à leur verser, à titre principal, la somme de 2 545 438,92 euros en réparation de leur préjudice subi du fait des promesses non tenues par le département et, à titre subsidiaire, une somme de 405 438,92 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Par un jugement n° 1201506 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 14MA03826 du 1er avril 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société SMB et autres, condamné le département du Gard à verser une somme de 172 158,20 euros à la société SMB et une somme de 7 976,12 euros à la société Sicom en réparation de leur préjudice.
Par une décision n° 400406 du 6 décembre 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi par le département du Gard, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille.
Par un arrêt n° 17MA04764 du 22 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société SMB et autres contre le jugement du 3 juillet 2014 du tribunal administratif de Nîmes.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 décembre 2018 et 21 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sicom, la société SMB, M. B... et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce dernier arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge du département du Gard la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yohann Bouquerel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Méridionale du Bâtiment, de la société Sicom, de M. B... et de Mme A... et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du département du Gard ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un appel à projets en vue de transformer le bâtiment des archives départementales, situé dans le centre de Nîmes, en un ensemble immobilier incluant notamment des logements sociaux, le conseil général du Gard a, par délibération du 10 juin 2010, retenu la proposition de la société Méridionale du Bâtiment (SMB). Par lettre du 17 juin 2010, le président du conseil général du Gard a informé cette société que son offre était retenue et lui a accordé, sans attendre la signature du compromis de vente, l'autorisation de déposer une demande de permis de construire. Les 26 juillet et 14 octobre 2010, la société SMB a en conséquence sollicité deux autorisations d'urbanisme. Toutefois, par arrêté du 9 mars 2011, le préfet de la région Languedoc-Roussillon a décidé d'inscrire au titre de l'inventaire supplémentaire des monuments historiques une partie de l'immeuble concerné. Le conseil général du Gard a alors, par délibération du 19 octobre 2011, renoncé au projet initial et décidé de lancer une nouvelle consultation visant à la vente du bâtiment des archives départementales " au plus offrant ". La société SMB, ainsi que la société Sicom et deux porteurs de parts de cette société, ont demandé au tribunal administratif de Nîmes, à titre principal, de condamner le département du Gard à leur verser la somme de 2 545 438,92 euros en réparation du préjudice subi, au titre de la responsabilité délictuelle, et à titre subsidiaire, de condamner le département du Gard à leur verser solidairement la somme de 405 438,92 euros au titre de l'enrichissement sans cause. Par un jugement du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ces demandes. Les mêmes requérants se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 22 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi à la suite de la décision du 6 décembre 2017 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé son premier arrêt du 1er avril 2016, a rejeté leur appel contre ce jugement.
2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le département du Gard n'avait commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité, la cour administrative d'appel de Marseille a estimé que cette collectivité n'avait donné à la société SMB aucune garantie formelle quant à la réalisation de l'opération projetée et ne l'avait pas incitée à commencer le projet sans attendre la signature du contrat de vente. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui leur était soumis, notamment de la délibération de la commission permanente du 10 juin 2010 et du courrier du président du conseil général du 17 juin 2010, que le département avait fortement incité la société SMB à solliciter des autorisations d'urbanisme, lesquelles nécessitaient la réalisation d'études préalables, alors qu'aucun contrat n'avait été préalablement signé, les juges d'appel ont inexactement qualifié les faits de l'espèce. Par suite, la société Sicom et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
3. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
Sur la responsabilité pour faute :
En ce qui concerne les fautes alléguées :
4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'en incitant fortement la société SMB à solliciter des autorisations d'urbanisme, lesquelles nécessitaient la réalisation d'études préalables, avant que le contrat de vente ne soit signé, le département du Gard a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'en dépit des demandes d'information sur les suites données au projet, adressées par les requérants au département les 25 janvier 2011 et 9 février 2012, le conseil général ne les a officiellement informés de son abandon que le 26 mars 2012 alors que cette décision avait été prise cinq mois plus tôt, le 19 octobre 2011. Les intéressés sont donc fondés à soutenir qu'un tel retard constitue également une faute de nature à engager la responsabilité du département du Gard.
6. En troisième lieu, lorsque l'administration informe un soumissionnaire que son offre est acceptée, cette décision ne crée pour l'attributaire aucun droit à la signature du contrat. Dans ces conditions, la société SMB ne peut utilement se prévaloir de ce que la délibération du 10 juin 2010 acceptant son offre aurait été illégalement retirée, d'autant qu'au surplus, cette délibération prévoyait que la conclusion du contrat de vente était subordonnée au déclassement du bien concerné.
7. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des termes de la délibération du 19 octobre 2011, que le département du Gard a mis fin à l'opération telle qu'elle avait été envisagée au motif que l'inscription du bâtiment à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques rendait le projet de construction de logements sociaux irréalisable, du fait des contraintes financières et matérielles induites par la modification du régime juridique du bien. Contrairement à ce soutiennent les requérants, un tel motif constitue un motif d'intérêt général suffisant pour justifier l'abandon de l'opération. Le département du Gard n'a dès lors commis aucune faute en abandonnant le projet pour ce motif.
En ce qui concerne le partage de responsabilité :
8. Il résulte de l'instruction que les requérants, en leur qualité de professionnels de l'immobilier, ne pouvaient ignorer les aléas qui pèsent nécessairement sur la réalisation d'un programme immobilier réalisé dans un bâtiment ancien présentant un intérêt historique et architectural, tel que celui qui était projeté en l'espèce. En engageant des frais dans une telle opération sans disposer d'un contrat passé avec la collectivité propriétaire des lieux, ils ont ainsi commis une imprudence de nature à exonérer partiellement le département du Gard de sa responsabilité. Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à un partage de responsabilité et de ne tenir le département du Gard responsable que pour la moitié des dommages causés aux requérants.
En ce qui concerne les préjudices indemnisables :
9. Seuls les préjudices correspondant à des dépenses engagées en pure perte à la suite de la lettre du président du conseil général du Gard du 17 juin 2010 incitant les requérants à déposer des demandes d'autorisation d'urbanisme sont en lien de façon directe et certaine avec le fait générateur de la responsabilité de la collectivité. Il résulte de l'instruction, notamment des factures produites par les sociétés SMB et Sicom, dont il convient toutefois de déduire la taxe sur la valeur ajoutée, que la société Sicom est fondée à demander à ce titre le remboursement des frais correspondant à la maîtrise d'oeuvre d'un montant de 6 470 euros HT, aux bureaux de contrôle d'un montant respectif de 10 920 euros, 6 045 euros et 2 100 euros HT et aux études d'architectes d'un montant de 133 631,88 euros HT, soit un total de 159 166,88 euros HT. La société SMB est fondée, quant à elle, à demander le remboursement des honoraires d'architectes d'un montant de 43 680 euros HT et des honoraires d'un avocat d'un montant de 2 600 euros HT, soit un total de 46 280 euros HT.
10. En revanche, les dépenses correspondant à des commandes passées avant la lettre précitée du président du conseil général du 17 juin 2010 (honoraires de géomètres et frais d'études géotechniques) et les frais de gestion immobilière et de commercialisation (facture du 27 septembre 2010 de la société Gesimco) ne présentent pas de lien direct avec les fautes commises par le département et ne peuvent par suite ouvrir droit à indemnisation. En outre, dès lors que la réalisation de l'opération a été abandonnée par le département pour un motif d'intérêt général, résultant du classement du bâtiment à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, le préjudice correspondant au manque à gagner du fait de la perte de chance de réaliser l'ensemble de l'opération est dépourvu de lien direct avec les fautes commises par le département et ne saurait donc être indemnisé.
11. Par suite, il sera fait une exacte appréciation des préjudices subis par les requérants en condamnant le département du Gard, compte tenu du partage de responsabilité défini au point 8, à verser les sommes de 23 140 euros à la société SMB et 79 583,44 euros à la société Sicom. Ces sommes seront majorées des intérêts légaux à compter du 30 mars 2012, date de réception par le conseil général du Gard de la demande préalable formée par les sociétés requérantes, et de la capitalisation des intérêts à compter du 30 mars 2013, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.
Sur l'enrichissement sans cause :
12. Il n'est pas établi que certains des documents élaborés par les requérants dans le cadre des études préparatoires du projet auraient été réutilisés par le département du Gard dans le cadre du second appel à candidature et que le département se serait ainsi enrichi corrélativement à leur appauvrissement. Ils ne sont par conséquent pas fondés à demander la condamnation du département à leur verser une somme quelconque au titre de l'enrichissement sans cause.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande qu'à hauteur des sommes mentionnées au point 11.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et au titre de l'ensemble des instances engagées, de mettre à la charge du département du Gard la somme de 1 500 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des requérants qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 22 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Marseille et le jugement du 3 juillet 2014 du tribunal administratif de Nîmes sont annulés.
Article 2 : Le département du Gard est condamné à verser les sommes respectives de 23 140 euros à la société SMB et 79 583,44 euros à la société Sicom. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 30 mars 2012. Les intérêts échus le 30 mars 2013 seront capitalisés à cette date, puis à chaque échéance annuelle, pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le département du Gard versera la somme de 1 500 euros respectivement à la société Méridionale du Bâtiment, la société Sicom, M. B... et Mme A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par le département du Gard devant le tribunal administratif de Nîmes, la cour administrative d'appel de Marseille et le Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de la société Sicom et autres est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Sicom, représentante unique pour l'ensemble des requérants, et au département du Gard.