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31/12/2020 | FRANCE | N°431167

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 31 décembre 2020, 431167


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... E... demande au Conseil d'Etat :

1° d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande, adressée le 17 avril 2019, tendant à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 10 août 2017 modifiant l'arrêté du 6 mars 1995 fixant la liste des assurés sociaux qui doivent être affiliés à une caisse d'assurance maladie autre que la caisse du lieu de résidence, en

tant qu'il fait relever les personnes écrouées du centre national de gestion de ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... E... demande au Conseil d'Etat :

1° d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande, adressée le 17 avril 2019, tendant à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 10 août 2017 modifiant l'arrêté du 6 mars 1995 fixant la liste des assurés sociaux qui doivent être affiliés à une caisse d'assurance maladie autre que la caisse du lieu de résidence, en tant qu'il fait relever les personnes écrouées du centre national de gestion de la protection sociale des personnes écrouées ;

2° de modifier ou annuler cet arrêté.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... C..., maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme A... D..., rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 381-30 du code de la sécurité sociale : " Les personnes écrouées bénéficient de la prise en charge de leurs frais de santé, assurée par le régime général à compter de la date de leur mise sous écrou. / Par dérogation au premier alinéa, lorsque les personnes écrouées bénéficiant d'une mesure d'aménagement de peine ou d'exécution de fin de peine dans les conditions prévues aux sections 5 et 6 du chapitre II du titre II du livre V du code de procédure pénale exercent une activité professionnelle dans les mêmes conditions que les travailleurs libres, la prise en charge de leurs frais de santé est assurée par le régime d'assurance maladie et maternité dont elles relèvent au titre de cette activité (...) ". Aux termes de l'article L. 381-30-1 du même code : " Les personnes écrouées mentionnées au premier alinéa de l'article L. 381-30 bénéficient de la dispense d'avance des frais et de la prise en charge par le régime général de la part garantie par ce régime, de la participation mentionnée au I de l'article L. 160-13 et du forfait journalier mentionné à l'article L. 174-4. (...) ". Aux termes de l'article R. 312-1 du même code : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires et sous réserve des dispositions du deuxième alinéa ci-dessous, les assurés sociaux relevant du régime général de sécurité sociale relèvent de la caisse primaire d'assurance maladie dans la circonscription de laquelle ils ont leur résidence habituelle. / Un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale peut apporter à la règle énoncée au premier alinéa ci-dessus des dérogations motivées (...) par la situation des assurés au regard des dispositions du livre III du présent code (...) ".

2. Par un arrêté du 10 août 2017, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont modifié l'arrêté du 6 mars 1995 fixant la liste des assurés sociaux qui doivent être affiliés à une caisse d'assurance maladie autre que la caisse du lieu de résidence, en prévoyant désormais à son article 7 que : " Tout assuré, rattaché au régime général en application de l'article L. 381-30 du code de la sécurité sociale, relève du pôle interrégional du Centre national de gestion de la protection sociale des personnes écrouées (CNPE) dont dépend l'établissement pénitentiaire dans lequel il est placé sous écrou ".

3. M. E... doit être regardé comme demandant au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite résultant du silence gardé par le ministre des solidarités et de la santé sur sa demande du 17 avril 2019 tendant à l'abrogation de l'article 7 de l'arrêté du 6 mars 1995 et, d'autre part, d'enjoindre à ce ministre d'abroger ces dispositions. Le requérant, qui s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé, soutient que les dispositions qu'il critique, d'une part, portent atteinte aux principes d'égalité et de non-discrimination en ce qu'elles opèrent une distinction injustifiée entre assurés sociaux au préjudice des personnes détenues et, d'autre part, méconnaissent les dispositions du code de procédure pénale définissant le régime d'exécution des peines en ce qu'elles font obstacle à ce qu'une personne détenue en situation de handicap bénéficie du suivi du médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie de son lieu de résidence, ce qui constituerait en outre un traitement inhumain ou dégradant prohibé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

5. En prévoyant que tout assuré, rattaché au régime général en application de l'article L. 381-30 du code de la sécurité sociale, relève du pôle interrégional du Centre national de gestion de la protection sociale des personnes écrouées dont dépend l'établissement pénitentiaire dans lequel il est placé sous écrou, les ministres chargés de la sécurité sociale ont mis en oeuvre la faculté offerte par l'article R. 312-1 du code de la sécurité sociale pour éviter que l'exécution d'une peine privative de liberté n'entraîne une rupture dans les droits de ces personnes, notamment lors du placement initial sous écrou et en cas de changement d'établissement pénitentiaire. Ce rattachement à une caisse autre que celle du lieu de résidence habituelle de l'assuré social, qui ne régit pas les conditions d'intervention du service du contrôle médical, est sans incidence sur les prestations dont les personnes détenues peuvent bénéficier au titre du régime général de la sécurité sociale, dans les conditions et limites fixées aux articles L. 381-30 et L. 381-30-1 du code de la sécurité sociale. Cette différence de traitement est ainsi justifiée par un motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la mesure en cause et n'est pas manifestement disproportionnée au regard de ce motif. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté critiqué méconnaîtrait le principe d'égalité ni, en tout état de cause, l'interdiction des discriminations en raison du lieu de résidence ou du handicap résultant de l'article 225-1 du code pénal.

6. En second lieu, d'une part, aux termes du I de l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale : " Le contrôle médical porte sur tous les éléments d'ordre médical qui commandent l'attribution et le service de l'ensemble des prestations de l'assurance maladie, maternité et invalidité ainsi que des prestations prises en charge en application des articles L. 251-2 et L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles (...) ". Aux termes de l'article L. 323-4-1 du même code : " Au cours de toute interruption de travail dépassant trois mois, le médecin conseil en liaison avec le médecin traitant peut solliciter le médecin du travail, dans des conditions définies par décret, pour préparer et étudier, le cas échéant, les conditions et les modalités de la reprise du travail ou envisager les démarches de formation (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 5213-2 du code du travail : " La qualité de travailleur handicapé est reconnue par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 241-5 du code de l'action sociale et des familles. Cette reconnaissance s'accompagne d'une orientation vers un établissement ou service d'aide par le travail, vers le marché du travail ou vers un centre de rééducation professionnelle. (...) ". Et aux termes de l'article D. 573 du code de procédure pénale : " Le service pénitentiaire d'insertion et de probation, avec la participation, le cas échéant, des autres services de l'Etat, des collectivités territoriales et de tous organismes publics ou privés, favorise l'accès aux droits et aux dispositifs d'insertion de droit commun des détenus et personnes qui lui sont confiées par les autorités judiciaires (...) ".

7. Il résulte des dispositions du code de la sécurité sociale citées au point 6 que la mission incombant au service du contrôle médical de contrôler les éléments d'ordre médical qui commandent l'attribution et le service de l'ensemble des prestations de l'assurance maladie, maternité et invalidité, vise notamment à prévenir la désinsertion professionnelle des assurés sociaux. Toutefois, en application de l'article L. 5213-2 du code du travail, également cité au point 6, l'orientation de la personne ayant la qualité de travailleur handicapé vers un établissement ou service d'aide par le travail, vers le marché du travail ou vers un centre de rééducation professionnelle relève de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. Par ailleurs, il incombe au service pénitentiaire d'insertion et de probation de favoriser, en vue de leur réinsertion, l'accès des détenus aux dispositifs d'insertion de droit commun, avec lesquels ce service est en contact au niveau local. Contrairement à ce que soutient M. E..., la circonstance que l'arrêté litigieux dispose que les personnes détenues relèvent non de la caisse primaire d'assurance maladie de sa résidence mais d'un pôle interrégional du Centre national de gestion de la protection sociale des personnes écrouées n'a pas pour conséquence de les priver de la possibilité de bénéficier d'une aide à la réinsertion professionnelle, y compris en cas de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir, en tout état de cause, que les dispositions qu'il critique méconnaîtraient l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui interdit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants ou l'article 707 du code de procédure pénale qui prévoit que toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté, afin d'éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre des solidarités et de la santé, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que le ministre aurait illégalement refusé d'abroger l'article 7 de l'arrêté du 6 mars 1995 fixant la liste des assurés sociaux qui doivent être affiliés à une caisse d'assurance maladie autre que la caisse du lieu de résidence. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction doivent également être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... E... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice et à la Caisse nationale d'assurance maladie.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 431167
Date de la décision : 31/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2020, n° 431167
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Walazyc
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:431167.20201231
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