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31/12/2020 | FRANCE | N°434546

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 31 décembre 2020, 434546


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) a demandé au Conseil d'État, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la société Ecocert France, organisme certificateur, sur sa demande du 24 septembre 2012 tendant à ce que, par application de l'article 30 du règlement (CE) n° 834/2007, il soit mis fin à la publicité et à la commercialisation des viandes hachées commercialisées par la société Bionoor sous la marque " Tendre France ", certifiés " ha

lal " et portant la mention " agriculture biologique " et, d'autre part, d'enjoind...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) a demandé au Conseil d'État, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la société Ecocert France, organisme certificateur, sur sa demande du 24 septembre 2012 tendant à ce que, par application de l'article 30 du règlement (CE) n° 834/2007, il soit mis fin à la publicité et à la commercialisation des viandes hachées commercialisées par la société Bionoor sous la marque " Tendre France ", certifiés " halal " et portant la mention " agriculture biologique " et, d'autre part, d'enjoindre à cet organisme certificateur de faire droit à cette demande du 24 septembre 2012.

Par une décision n° 365447 du 20 octobre 2014, le Conseil d'État statuant au contentieux a attribué le jugement de ces conclusions au tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 1409869 du 21 janvier 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16VE00801 du 6 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a sursis à statuer sur l'appel formé par l'OABA contre ce jugement jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :

Les règles applicables du droit de l'Union européenne résultant notamment de l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007, dont les modalités d'application sont fixées par le règlement (CE) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 et du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 doivent-elles être interprétées comme autorisant ou interdisant la délivrance du label européen " agriculture biologique " à des produits issus d'animaux ayant fait l'objet d'un abattage rituel sans étourdissement préalable, conduit dans les conditions fixées par le règlement (CE) n° 1099/2009 '

Par un arrêt du 26 février 2019 (n° C-497/17), la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.

Par un arrêt n° 16VE00801 du 11 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 21 janvier 2016 ainsi que la décision implicite par laquelle la société Ecocert France a refusé de faire droit à la demande de l'association OABA du 24 septembre 2012 et a enjoint à la société Ecocert France de prendre, par application de l'article 30 du règlement (CE) n° 834/2007 du 28 juin 2007, les mesures propres à mettre fin à la publicité et à la commercialisation, par la société Bionoor, des produits de la marque " Tendre France " certifiés " halal " en ce qu'ils portent la mention " agriculture biologique ", dans un délai de quatre mois à compter de la notification de son arrêt.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat de la section du contentieux les 11 septembre et 11 décembre 2019 et le 24 août 2020, la société Bionoor demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 ;

- le règlement (CE) n° 889-2008 de la Commission du 5 septembre 2008 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêt n° C-497/17 du 26 février 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent-Xavier Simonel, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la Société Bionoor et au cabinet Colin - Stoclet, avocat de l'association OABA et à la SARL Didier, Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 21 janvier 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de l'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Ecocert France, organisme certificateur, de mettre fin à la publicité et à la commercialisation des viandes hachées de la marque " Tendre France " distribuées par la société Bionoor sous la certification " halal " et la mention " agriculture biologique ". Après que la Cour de justice de l'Union européenne se fut prononcée sur la question préjudicielle qu'elle lui avait soumise, la cour administrative d'appel de Versailles, par un arrêt du 11 juillet 2019, a annulé ce jugement et enjoint à la société Ecocert France de prendre les mesures demandées par l'association OABA. La société Bionoor se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Par l'arrêt Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) contre ministre de l'agriculture et de l'alimentation e.a. du 26 février 2019 (n° C-497/17), la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur la question préjudicielle qui lui avait été soumise par l'arrêt du 6 juillet 2017 de la cour administrative d'appel de Versailles, a retenu que l'apposition du logo de production biologique de l'Union européenne, qui caractérise l'observation de normes renforcées en matière de bien-être animal à tous les stades de la production dans le cadre de l'agriculture biologique, n'est pas autorisée pour des produits issus d'animaux ayant fait l'objet d'un abattage rituel sans étourdissement préalable, selon la forme d'abattage autorisée à titre dérogatoire uniquement afin d'assurer le respect de la liberté de religion, car ces produits n'ont pas été obtenus dans le respect des normes les plus élevées en matière de bien-être animal au moment de la mise à mort des animaux. Par cet arrêt, la Cour de justice a dit pour droit que : " Le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil, du 28 juin 2007, relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91, notamment son article 3 et son article 14, paragraphe 1, sous b), viii), lu à la lumière de l'article 13 TFUE, doit être interprété en ce sens qu'il n'autorise pas l'apposition du logo de production biologique de l'Union européenne, visé à l'article 57, premier alinéa, du règlement (CE) n° 889/2008 de la Commission, du 5 septembre 2008, portant modalités d'application du règlement n° 834/2007, tel que modifié par le règlement (UE) n° 271/2010, du 24 mars 2010, sur des produits issus d'animaux ayant fait l'objet d'un abattage rituel sans étourdissement préalable, conduit dans les conditions fixées par le règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil, du 24 septembre 2009, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, notamment par son article 4, paragraphe 4 ".

3. Aux termes de termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. / 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Le paragraphe 3 de l'article 52 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne précise que : " Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue ". Aux termes de l'article 4 du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil : " 1. Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques relatives à leur application exposées à l'annexe I. L'animal est maintenu dans un état d'inconscience et d'insensibilité jusqu'à sa mort. / Les méthodes visées à l'annexe I qui n'entraînent pas la mort instantanée (ciaprès dénommées "simple étourdissement") sont suivies aussitôt que possible d'un procédé provoquant infailliblement la mort, comme la saignée, le jonchage, l'électrocution ou l'anoxie prolongée. / (...) / 4. Pour les animaux faisant l'objet de méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux, les prescriptions visées au paragraphe 1 ne sont pas d'application pour autant que l'abattage ait lieu dans un abattoir ".

4. En premier lieu, aucune des dispositions du règlement (CE) n° 834/2007 relatives à l'obtention du logo de production biologique et de son règlement d'application (CE) n° 89/2008, tels que les ont interprétés la Cour de justice, n'a d'effet sur la dérogation prévue au paragraphe 4 de l'article 4 du règlement (CE) n° 1099/2009 pour les méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux, dont la mise en oeuvre permet l'approvisionnement des consommateurs en produits carnés répondant aux prescriptions de ces rites, au nombre desquelles ne figure pas celle de la consommation de viandes commercialisées sous ce logo et, de la sorte, ne porte atteinte à l'exercice du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il en résulte que la cour administrative d'appel de Versailles, qui s'est prononcée sur la conformité du règlement (CE) n° 834/2007 et du règlement (CE) n° 889/2008 aux stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale par une motivation suffisante, n'a, contrairement à ce que soutient la société Bionoor, ni omis de répondre à son moyen d'appel tiré de ce que l'exclusion des produits issus d'animaux ayant été abattus sans étourdissement préalable du champ d'application du logo de production biologique de l'Union portait atteinte à la liberté religieuse ni commis d'erreur de droit en écartant ce moyen.

5. En deuxième lieu, une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi.

6. D'une part, ainsi qu'il est dit au point 4, la règlementation des conditions d'utilisation du logo de production biologique de l'Union, qui contrairement à ce que soutient la société Bionoor n'impose pas l'étourdissement des animaux dans le cadre de l'abattage rituel, est sans effet sur le respect des prescriptions des rites religieux, dont aucune n'a trait à la consommation des produits carnés commercialisés sous ce logo. La cour administrative d'appel de Versailles n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'exclusion des produits issus d'animaux ayant été abattus sans étourdissement préalable du champ d'application du logo de production biologique de l'Union ne créait aucune discrimination contraire aux stipulations combinées des articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. D'autre part, les stipulations du second alinéa de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne font pas obstacle à l'édiction, par l'autorité compétente, d'une réglementation de l'usage des biens, dans un but d'intérêt général, ayant pour effet d'affecter les conditions d'exercice du droit de propriété. Il appartient au juge compétent, pour apprécier la conformité d'une telle réglementation aux stipulations de cet article, d'une part, de tenir compte de l'ensemble de ses effets, d'autre part et en fonction des circonstances de l'espèce, d'apprécier s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de cette décision.

8. Eu égard à leurs effets dans l'utilisation commerciale du logo de production biologique de l'Union européenne pour la distribution de produits carnés, les dispositions du règlement (CE) n° 834/2007 tel que l'a interprété la Cour de justice doivent être regardées comme réglementant l'usage d'un bien au sens des stipulations du second alinéa de l'article 1er du premier protocole. Cependant, le refus d'accorder le bénéfice de ce logo, opposé à un opérateur économique qui ne satisfait pas aux prescriptions de ce règlement, ne porte atteinte à aucun bien au sens de ces stipulations. L'utilisation par la société Bionoor de ce logo étant dès l'origine dépourvue de base légale, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'exclusion des produits de cette société du bénéfice de ce logo ne créait aucune discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 14 de cette convention.

9. En troisième et dernier lieu, la cour, qui a écarté par un arrêt suffisamment motivé le moyen tiré par la société Bionoor de la méconnaissance de la liberté du commerce et de l'industrie, n'était pas tenue de répondre à la seule citation par celle-ci, au soutien de ce moyen et seulement à titre d'argument, de la décision du Conseil constitutionnel n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 faisant mention de la liberté d'entreprendre.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions du pourvoi de la société Bionoor doivent être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande, à ce titre, la société Bionoor. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Bionoor le versement de la somme de 3 000 euros à l'association OABA au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la société Bionoor est rejeté.

Article 2 : La société Bionoor versera la somme de 3 000 euros à l'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) au titre de l'article L. 761-7 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Bionoor, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à l'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), à la société Ecocert France et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 434546
Date de la décision : 31/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2020, n° 434546
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent-Xavier Simonel
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL ; CABINET COLIN - STOCLET ; SARL DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:434546.20201231
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