Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 10 avril 2019 par laquelle la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) a refusé de lui accorder une rente d'invalidité, ainsi que la décision du 12 juin 2019 portant rejet de son recours gracieux, et d'enjoindre à la caisse de lui accorder cette rente dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement du tribunal, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1905841 du 2 février 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 avril et 1er juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 1er juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du I de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Balat, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I. - Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. / (...) II. - Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. / (...) IV. - Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) ".
3. La requérante soutient que le I de l'article 21 bis précité méconnaît le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en tant qu'il réserve la présomption d'imputabilité au service de certains accidents et maladies professionnelles aux cas d'incapacité temporaire du fonctionnaire, à l'exclusion de son incapacité permanente.
4. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Les dispositions critiquées ont pour objet d'instaurer un congé au bénéfice des seuls fonctionnaires atteints d'une incapacité temporaire imputable au service, mécanisme à la charge de chaque employeur public. Ceux-ci sont placés dans une situation différente des fonctionnaires atteints d'une incapacité permanente, dont les conséquences sont prises en charge au moyen de dispositifs d'indemnisation adaptés au caractère durable de ses effets et qui ne sont pas à la charge directe de chaque employeur mais mutualisés entre les employeurs publics au sein des régimes spéciaux de retraites gérés par le service des retraites de l'Etat, pour les fonctionnaires de l'Etat, et par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. La différence de traitement qui en résulte est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. C'est dès lors sans méconnaître le principe d'égalité que le législateur a pu prévoir que la présomption d'imputabilité au service des accidents de service et des maladies professionnelles instituée par l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 ne s'appliquait qu'au congé pour incapacité temporaire imputable au service, sans l'étendre aux mécanismes de réparation de l'incapacité permanente des fonctionnaires. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le I de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être regardé comme non sérieux.
Sur les autres moyens :
5. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
6. Pour demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, Mme B... soutient, en outre, que le tribunal administratif de Strasbourg a :
- méconnu les stipulations de l'article 14 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel en rejetant sa demande au motif qu'elle n'établissait pas l'existence d'un lien direct entre le décès de son époux et le travail de ce dernier ;
- commis une erreur de droit en ne recherchant pas si les blessures de M. B... contractées ou aggravées en service étaient de nature à le placer dans l'impossibilité permanente de continuer ses fonctions et à entraîner sa mise à la retraite, et en recherchant si son décès avait eu pour cause déterminante les conditions du service, alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier si des circonstances particulières permettaient de regarder l'événement comme détachable du service ;
- entaché son jugement d'erreur de qualification juridique et de dénaturation en retenant que le malaise de M. B... n'était pas imputable au service alors qu'aucune circonstance particulière ne l'en détachait.
7. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B....
Article 2 : Le pourvoi de Mme B... n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., à la ministre de la transformation et de la fonction publiques et à la Caisse des dépôts et consignations.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la relance, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, au Défenseur des droits et au Conseil constitutionnel.