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10/11/2021 | FRANCE | N°447059

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 10 novembre 2021, 447059


Vu la procédure suivante :

M. A... F... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 20 septembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile sur le fondement de l'article

L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une décision n° 19048945 du 30 septembre 2020, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à la demande de M. F... et lui a reconnu la qualité de réfugié.

Par un pourvoi sommair

e et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 novembre 2020 et 23 février 2021 au secr...

Vu la procédure suivante :

M. A... F... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 20 septembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile sur le fondement de l'article

L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une décision n° 19048945 du 30 septembre 2020, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à la demande de M. F... et lui a reconnu la qualité de réfugié.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 novembre 2020 et 23 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de renvoyer l'affaire devant la Cour nationale du droit d'asile ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à

New-York le 31 janvier 1967 relatifs aux réfugiés ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'OFPRA et à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. A... F... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des stipulations de la section F de l'article 1er de la convention de Genève : " Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiées ; / c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ". Il résulte des dispositions de l'article L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables au présent litige que le statut de réfugié n'est pas accordé aux personnes qui relèvent de l'une des clauses d'exclusion prévues à la section F de l'article 1er de la convention de Genève, ainsi qu'aux personnes qui sont les instigatrices ou les complices des crimes ou des agissements mentionnés à cette section ou qui y sont personnellement impliquées.

2. En premier lieu, par une décision du 20 septembre 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté la demande d'asile présentée par M. F..., ressortissant syrien, au motif qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Par la décision attaquée du 30 septembre 2020, la Cour nationale du droit d'asile, après avoir visé l'argumentation de l'OFPRA selon laquelle M. F... devait être regardé, sur la base des mêmes faits, comme ayant également commis, avant son arrivée en France, un crime grave de droit commun au sens du b) du même F et cité ces stipulations, a fait droit au recours de M. F... en jugeant qu'aucune clause d'exclusion ne pouvait lui être opposée. Par suite, l'OFPRA n'est pas fondé à soutenir que la cour aurait insuffisamment motivé sa décision et commis une erreur de droit en omettant de se prononcer sur l'application de la clause d'exclusion prévue au b) du F de l'article 1er de la convention de Genève.

3. En deuxième lieu, constituent des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ceux qui sont susceptibles d'affecter la paix et la sécurité internationale, les relations pacifiques entre Etats ainsi que les violations graves des droits de l'homme. Il résulte des dispositions mentionnées au point 1 que l'exclusion du statut de réfugié prévue par le c) du F de l'article 1er de la convention de Genève est subordonnée à l'existence de raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité dans les agissements qu'il mentionne peut être imputée personnellement au demandeur d'asile, sans qu'il soit besoin d'établir sa culpabilité. Pour opposer cette clause d'exclusion à un demandeur d'asile qui a appartenu à ou a entretenu des liens avec une organisation ayant commis des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, il y a lieu de rechercher et d'établir, au cas par cas, les raisons sérieuses qui permettent, autrement que par déduction du contexte dans lequel il a agi, de le regarder comme ayant contribué à ou facilité la commission de tels agissements, sur la base d'éléments matériels et intentionnels précis, tenant compte notamment du rôle qu'il a effectivement joué dans la perpétration des actes en cause, des responsabilités qu'il exerçait au sein de cette organisation, du degré de connaissance qu'il avait ou était censé avoir des activités de celle-ci, des éventuelles pressions auxquelles il aurait été soumis ainsi que de la possibilité effective dont il disposait d'empêcher la commission de ces agissements ou de s'en distancier sans courir de risques personnels graves.

4. Pour faire droit à la demande de M. F..., la Cour nationale du droit d'asile, après avoir cité les stipulations du c) de la section F de l'article 1er de la convention de Genève et rappelé qu'il lui appartenait de rechercher si les éléments de fait résultant de l'instruction étaient de nature à fonder de sérieuses raisons de penser que le demandeur était personnellement impliqué dans des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, a jugé que cette clause d'exclusion ne pouvait être opposée au demandeur eu égard aux activités exclusivement médicales auxquelles il s'était livré, à l'absence de participation, même indirecte, aux actes de torture perpétrés par les services du régime syrien dans les établissements où il a été affecté et dont il a pu être témoin, et à l'incapacité dans laquelle il se trouvait de faire obstacle à ces agissements répréhensibles, quand bien même il a gravi les échelons de la police syrienne jusqu'à en être promu colonel en 2012. Par suite, contrairement à ce que soutient l'OFPRA, la Cour, qui a suffisamment motivé sa décision, n'a pas exigé de preuve formelle de l'implication de M. F... dans des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies et n'a dès lors pas entaché sa décision d'erreur de droit.

5. En troisième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que M. F..., qui a suivi des études de médecine et intégré en 1995 la police syrienne, dont il a gravi les échelons progressivement, a exercé les fonctions de médecin à la prison centrale d'Adra en 1999 puis de 2000 à 2006, avant de reprendre des études de chirurgie et d'être affecté en janvier 2011 à l'hôpital de police d'Harasta dans la banlieue de Damas, d'abord comme chef du service des urgences puis comme chef du service de chirurgie générale à compter du mois de juillet 2011. Alors qu'il venait d'être promu au grade de colonel, il a été menacé de mort par un agent de la garde républicaine et a décidé de quitter ses fonctions et son pays en août 2012, d'abord pour la Jordanie, puis pour la France en septembre 2016.

6. Il ressort des énonciations non contestées de la décision de la Cour qu'entre 1999 et 2006, des actes de torture ont été régulièrement infligés à certains détenus dans les établissements pénitentiaires syriens, notamment à la prison d'Adra. Toutefois, il résulte des appréciations souverainement portées par la Cour, et exemptes de dénaturation, sur les pièces qui lui étaient soumises que M. F..., par ailleurs chargé de l'inspection sanitaire des locaux, s'est borné, sous l'autorité exclusive d'un médecin et sans recevoir d'instruction des autorités pénitentiaires ou des services de la police syrienne quant à la manière de pratiquer son art, à prodiguer aux détenus dont la prise en charge lui était confiée les soins qu'appelait leur état, sans qu'il ressorte des pièces du dossier qui lui était soumis qu'il aurait endossé une part personnelle de responsabilité dans l'infliction de blessures ou d'actes de torture à certains d'entre eux par les forces de sécurité. Contrairement à ce que soutient l'OFPRA, la circonstance que les services du ministère de l'intérieur syrien ne demandaient aucun rapport médical sur les détenus politiques ayant subi des mauvais traitements mais dont l'état ne nécessitait pas une prise en charge à l'extérieur et que M. F... s'abstenait de prendre parti, dans les rapports concernant les détenus transférés en-dehors de la prison, sur l'origine des blessures qu'il constatait ne fournit pas par elle-même de raisons sérieuses de penser qu'il a pu faciliter ou contribuer d'une quelconque manière à la commission d'actes de torture.

7. Il est également constant que des mauvais traitements ont été régulièrement infligés à des patients au sein de l'hôpital de police d'Harasta et que, après le déclenchement de la révolution syrienne en 2011, la garde républicaine s'est installée dans l'un des bâtiments de l'hôpital et y a pratiqué des actes de torture à l'encontre de manifestants et d'opposants arrêtés. Toutefois, la Cour a constaté, au vu des pièces qui lui étaient soumises et sur lesquelles elle a porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que M. F... y exerçait exclusivement des fonctions administratives et médicales et n'entretenait pas de lien avec les forces de sécurité, que, s'il a été témoin d'agissements répréhensibles de cette nature, il ne résultait pas de l'instruction qu'il aurait pu être en capacité d'y faire obstacle, au-delà de la réprobation qu'il a exprimée et de demandes tendant à ce que ces exactions cessent au sein de l'hôpital, et, enfin, qu'il a demandé que des sanctions disciplinaires soient prises contre des personnels de l'hôpital ayant insulté ou maltraité des patients, lesquels ont finalement été mutés. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les promotions successives dont l'intéressé a bénéficié au sein de la police trouveraient leur origine dans son implication personnelle dans le système répressif organisé par le régime syrien, alors que, sunnite originaire de la ville rebelle de Deraa, M. F... a fait l'objet à plusieurs reprises de soupçons et de mises en garde de la part de responsables de la sécurité et a dû fuir la Syrie dès le mois d'août 2012, alors qu'il venait d'être promu colonel.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que la Cour nationale du droit d'asile n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'au vu de l'instruction il n'y avait pas de raisons sérieuses de penser que M. F... était personnellement impliqué dans des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies et relevait par suite de la clause d'exclusion prévue au c) de la section F de l'article 1er de la convention de Genève.

9. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'est par suite pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Son pourvoi doit donc être rejeté.

10. M. F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Zribi et Texier, avocat de M. F..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'OFPRA le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est rejeté.

Article 2 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera la somme de 3 000 euros à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. F..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. A... F....

Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2021 où siégeaient :

Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. I... H..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme K... C..., M. L... D..., Mme B... M..., M. E... G..., M. François Weil, conseillers d'Etat et M. Réda Wadjinny-Green, auditeur-rapporteur.

Rendu le 10 novembre 2021

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Réda Wadjinny-Green

La secrétaire :

Signé : Mme J... N...


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 447059
Date de la décision : 10/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 nov. 2021, n° 447059
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP ZRIBI, TEXIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:447059.20211110
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